Ce texte est la version écrite du numéro 14 de mon Podcast « Tout doit changer » disponible sur Spotify et Deezer mais aussi directement sur Acast
La question de l'identité nationale est un classique de la politique française. On se souvient d’ailleurs du ministère de l'Identité nationale en 2007. L’identité nationale n’est donc pas un nouveau sujet, et ce qui n’est pas nouveau non plus, c’est que c’est un sujet totem de la droite et un épouvantail pour la gauche.
Une gauche qui refuse absolument d’en parler autrement qu’en disant que ce n’est pas un vrai sujet, et qui a même tendance à l'associer de manière quasi immédiate à « droite toute ». Un peu comme lorsque la gauche associait, assez bêtement, le drapeau tricolore à l'extrême droite. Bref, tout cela est logique : c’est la confusion entre identité et nationalisme.
Eh bien, cela a évolué très récemment, et j’en suis heureux !
Bon, soyons honnêtes, cette évolution ne fait pas du tout l'unanimité, ce qui, au passage, montre bien à quel point la gauche est malheureusement régulièrement désespérante.
Commençons par lever deux cadavres qui encombrent le placard de l’identité nationale.Associer dans un même ministère l’identité nationale et l’immigration était évidemment une saloperie sans nom. Si l’on tenait à ne pas en faire un maroquin autonome, cela aurait eu bien plus de sens d’associer l’identité nationale à la culture.
Lier la question de l’identité nationale à celle de l’immigration est aussi scandaleusement vulgaire et crapuleux que de réduire l’identité nationale à la manière dont on devient français.
Nous vivons dans une société sans réel projet collectif, et un grand nombre de personnes ressentent une perte de sens dans ce qu’ils font, une inquiétude quant à ce qu’ils vont devenir et, finalement, un doute sur ce qu’ils sont.Et tout cela contribue à une désespérance assez générale, à un manque d'énergie, car à quoi bon se mobiliser si l'on ne sait pas vers où l'on va ? « C’est quand qu’on va où ? » dirait Renaud.
La politique globale est remplacée par la défense de causes, ce qui colle bien à la fragmentation de la société et à l’effacement d’une culture commune.
Tout cela, mélangé à la mondialisation des marchandises, de la culture et de l’information, mais aussi au désordre du monde et à l’accroissement des inégalités, crée un terrain très propice à l’inquiétude quant à son identité. Et comme on s’interdit de réfléchir, surtout à gauche, à ce qu’est notre identité nationale, eh bien, on la laisse être définie par les amoureux du regard en arrière et ceux dont la vision est très sélective. C’est bien dommage, car c’est ce qui inonde ensuite la sphère publique.Voilà pourquoi la gauche doit s’engager pleinement dans la réflexion sur l’identité nationale. Et en plus, c’est un sujet passionnant.
Si je vous demandais de répondre tout de suite en quelques phrases à la question « Qu’est-ce que la France ? », que répondriez-vous ? Et que répondraient celles et ceux qui sont dans votre bus ou votre métro, celles et ceux que vous croisez dans les magasins ou au travail ? Qu’est-ce que toutes ces réponses auraient en commun ?
Je suis convaincu que si nous étions collectivement plus clairs sur ce qu’est la France, si nous avions une conscience partagée et verbalisée de cela, alors la société irait mieux. Elle irait mieux, car elle se sentirait appartenir à un tout, être ensemble, former une communauté culturelle et de destin, qui partage des valeurs transmises et évolutives au fil des époques.
Eh bien, cela, c’est beaucoup plus de gauche que de droite, parce que cela renforce la société au lieu de la fractionner. Et réfléchir à ce qu'est la France est le préalable nécessaire à la réflexion sur ce qu'est être Français.
En s’irritant de la question de l’identité nationale, la gauche passe à côté d’un levier puissant pour graver dans les esprits les fondamentaux qu’elle défend ! Et puis aussi, évidemment, dénigrer le questionnement sur l’identité nationale, c'est mépriser l’énorme majorité de personnes pour qui c'est une question légitime. Et ça, c’est idiot quand on veut convaincre.
En l'absence d'un horizon commun clairement identifié et en raison des insécurités généralisées, il est naturel de se tourner vers soi-même et de vouloir restreindre son périmètre de solidarité. C’est bien pour compenser cette tendance naturelle qu’il faut réfléchir ensemble à notre identité ! Ne pas le comprendre, c’est signe que l’on va plutôt bien, et crier sur les toits qu’on ne voit pas à quoi cela sert, c’est signe qu’on ne se rend pas compte à quel point la société va mal.
Alors oui, n’ayons pas peur de débattre de ce qu’est l’identité nationale. Et juste après, mais bien dans cet ordre, nous pourrons débattre de ce qu’est « être Français ». Et nous serons alors très à l’aise pour dire que celles et ceux qui se focalisent sur la manière dont on est, ou dont on devient français, ne sont pas à la hauteur de ce qu’est notre pays.
Et je vous assure que réfléchir à tout cela est beaucoup plus utile que de réciter des lieux communs sur le Puy du Fou (où l'on n’est probablement jamais allé) ou de tourner en boucle à propos des « racines chrétiennes de la France » en faisant comme si l’enseignement, l’État civil et les hospices n’étaient pas des éléments clés de notre pays et aussi de nos paysages, car pendant plusieurs siècles, et oui, des religieuses et des religieux chrétiens ont joué un rôle majeur. Dire cela, ce n’est surtout pas dire que cela a une place dans la Constitution, mais nier cela, c’est évidemment conforter le discours ultra-conservateur.
La France, c’est le service public, une forte mutualisation des dépenses sociales, une instruction gratuite, un carrefour culturel au centre de l’Europe, une production artistique et intellectuelle reconnue dans le monde entier depuis des siècles, une passion pour la cuisine, pour la langue, des inventions majeures, une tradition de codification du droit et d’organisation des pouvoirs, une aspiration universelle, une crainte des identités autres que nationales, et aussi une histoire qui, non, n’a pas commencé avec la Révolution française.
Et c’est aussi, en même temps, une tradition d’auto-dénigrement couplée à son inverse : le sentiment qu’on éclaire encore autant le monde contemporain que l’ancien monde, un passé colonial, etc., etc. Travaillons toutes et tous sur ce qu’est la France selon nous, partageons et écrivons-le.
Réfléchir à ce qu'est la France, c'est réfléchir à nos valeurs. C’est bien davantage bâtir du commun qu’exclure des personnes. Réfléchir à ce qu'est la France, ce n'est pas faire le jeu de la droite, mais au contraire remettre sur le tapis quelque chose qui a vocation à fédérer la société.
Et c'est bien ce qui lui manque.
Nier la panique identitaire, une panique existentielle, c’est la renforcer, car cela conforte les paniquants dans l’idée qu’ils ne peuvent compter que sur eux, que les autres ne se rendent pas compte du danger. Et cela les enferme dans leurs trips régressistes très centrés sur l’étranger africain. Donc allons-y, parlons de ce qu’est la France et de ce que c’est qu’être français, prenons-les aux mots sans les juger ni les narguer, mais cessons de regarder l’identité nationale en nous bouchant le nez.
Et tant qu’à être sur cette panique identitaire, qui est existentielle, je voudrais aussi dire quelques mots sur une autre panique existentielle : celle relative à l’effondrement écologique et donc à l’effondrement de nos sociétés.
Mais surtout, je veux exposer le parallèle qui existe entre les deux.
Ces paniques sont concurrentes dans le champ politique, mais elles sont concomitantes dans la société, et toutes deux partagent l’inquiétude de la disparition de notre civilisation, ou tout au moins d’une évolution radicale de son existence.
Ce sera le sujet de l’épisode suivant. Abonnez-vous !
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