Alexis Braud - 72 (avatar)

Alexis Braud - 72

Élu local écologiste et ex apparatchik

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 mai 2025

Alexis Braud - 72 (avatar)

Alexis Braud - 72

Élu local écologiste et ex apparatchik

Abonné·e de Mediapart

2027, soyons moins primaires

On ne résoudra pas des problèmes politiques en faisant une primaire, mais parler sérieusement de primaire est le meilleur moyen d’éviter d’avoir à en faire une car cela aura permis de résoudre les problèmes politiques.

Alexis Braud - 72 (avatar)

Alexis Braud - 72

Élu local écologiste et ex apparatchik

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce texte est la version écrite du numéro 16 de mon Podcast « Tout doit changer » disponible sur Spotify et Deezer mais aussi directement sur Acast 

Illustration 1
Couverture de Tout doit changer épisode 16


Pour gagner la présidentielle, il faut être au second tour. Pour être au second tour, il faut faire autour de 22-25 % au premier tour. Pour faire plus de 22 % au premier tour quand on est de gauche, il faut limiter le nombre de chapelles présentes sur la ligne de départ. Et comme c’est compliqué, on a tendance depuis quelques semaines à sortir un mot magique qui pourrait résoudre la quadrature du cercle : le mot primaire.

C’est ce dont nous allons parler, en essayant d’aller plus au fond des choses que ce que les promoteurs des primaires énoncent car ils contournent consciencieusement les sujets qui fâchent.

Il ne faut pas être primaire sur les primaires, car nous ne résoudrons pas un problème complexe en refusant la complexité et en se contentant d’un concept jeté en l’air comme s’il effaçait miraculeusement les obstacles. Et surtout, n’oublions pas qu’une primaire est un moyen, pas une fin.

---

Pour commencer, fermez les yeux.

Vous êtes un dimanche matin de mai 2027. Vous vous réveillez le cœur léger de pouvoir voter au second tour pour une personne de gauche, ça faisait des années que ça ne vous était pas arrivé. Alors vous pétez la forme car c’est extraordinaire.

Ce matin, au moins la moitié de vos voisins de droite vont le faire aussi !

Enfin, on n’en sait rien du tout. Mais les mathématiques disent que c’est une obligation : pour que votre candidature de gauche qui a atteint le second tour ne devienne pas la première personne à être battue par une candidature d’extrême droite, il faut qu’un gros gros paquet des éliminés du premier tour se lèvent ce dimanche matin pour faire comme vous.

Il y a 15 jours, des millions de personnes ont échoué à mettre au second tour celui ou celle qui représentait le camp de la droite républicaine. Cette présidentielle encore, ils n’ont plus personne. Après Fillon et Pécresse, troisième édition avec les électrices et électeurs de droite qui ont une grosse gueule de bois.

Mais ce n’est pas tout. Cette fois, en prime, le camp d’Emmanuel Macron est défait lui aussi. Le camp du double Président est éliminé. Boum. Direct au trou. Une première et une déconvenue immense. Une humiliation terrible.

Et pourtant, ces millions de gens déprimés depuis deux semaines vont faire comme vous. Ils vont se lever et aller voter alors qu’ils ont juste le choix entre votre héros de la gauche d’une part, et Jordan Bardella ou Marine Le Pen de l’autre.

Et ces gens de centre droit et de droite, il est indispensable qu’ils soient plus de la moitié à faire le même choix que vous. C'est ça la vraie chose extraordinaire de cette matinée de mai 2027, bien plus extraordinaire encore que le fait que la gauche soit au second tour de l'élection présidentielle.

---

C'est bon, vous pouvez de nouveau ouvrir les yeux.

Je voulais juste vous rappeler que l'objectif de toutes ces histoires de 2027, d’union et de primaires, ce n’est pas de faire son tour de piste quand on n’a ni l'argent ni les sondages pour se lancer tout seul, ce ne sont pas non plus des mots jetés en l’air pour gagner du temps et rester debout sur son vélo.

L’objectif des débats à gauche sur l’union et 2027, c'est de placer au second tour une personne de gauche capable de faire voter des gens de droite pour elle plutôt que pour Bardella ou Le Pen. Pas seulement d'être au deuxième tour de la présidentielle, mais de le gagner. Parce que si gagner n’est pas l’objectif que vous avez en tête, alors vous serez responsable de l’arrivée de l’extrême droite à l’Élysée.

C’était un message amical pour celles et ceux qui pensent que la question de la capacité de gagner au second tour est accessoire tant la force d’un processus de primaire sera énorme. Ils se trompent lourdement et ne pensent pas assez au seum des millions de personnes qu’ils ont insultées depuis des années et dont ils attendent le soutien.

---

Les partis de gauche n’ont pas pu se mettre d’accord, les 15 candidates et candidats non plus, donc voilà, il faut faire une primaire car le conclave, la conférence de consensus, le tirage au sort et je ne sais quoi d’autre ont été écartés.

C’est une solution bof habillée en truc cool parce que les gens votent, comme si la démocratie se limitait au fait de voter, mais comme c’est la seule solution qui reste, allons-y.

---

Demander à quelqu’un s’il est pour ou contre une primaire est aussi ridicule que de lui demander s’il est pour ou contre une réforme fiscale. Parce que ça dépend de ce qu'il y a dedans !

Interroger sur une primaire sans entrer dans les détails est une arnaque intellectuelle absolue car ça oblige à figer une position. Soit une position de blocage car on voit bien la liste des problèmes potentiels et qu’on ne veut surtout pas mettre le petit doigt dans la machine, soit une position d’enthousiasme car on est soulagé de trouver une porte de sortie, qu’on ne voit sincèrement pas les murs qui se dressent, ou au contraire qu’on les voit très bien et qu’on a envie d’enfermer des gens dedans.

Donc, que l’on soit un responsable politique qui parle de primaire ou quelqu’un d’autre devant un café ou un micro : blablater ou faire des claquettes sur le sujet complique bien davantage qu’il n’aide. Et compte tenu de la difficulté dans laquelle se trouve la gauche, elle n’a pas besoin qu’on lui mette la tête sous l’eau mais qu’on lui tende la main.

Merci donc à François Ruffin qui, même si je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'il propose et qu’il reste de grands non-dits, a eu le mérite d'entrer un petit peu plus dans les détails que les autres.

Il ne faut pas attendre des chefs à plumes politiques qu’ils trouvent une solution d’eux-mêmes et ce n’est pas pour rien que ce sont des demi-chefs qui parlent de primaire. Comme la primaire est un sujet cristallisant et qu’il contient une part de renoncement, ce qui se dit à l’extérieur du monde politique est capital.

Les politistes et analystes ont un rôle à jouer pour baliser le terrain et mettre des mots sur les écueils, bien plus que les groupements de la société civile qui, finalement, sont, quoi qu’ils en disent, autant dans un rôle de concurrents des partis que d’aidants.

Et je pense qu’il faut aider les partis à faire mieux, pas leur tordre le bras.

---

Une primaire est donc un système choisi, quand on n’a pas trouvé mieux, où des gens, beaucoup de gens, votent pour désigner d’autres gens, une seule personne ou quelques-unes.

Jusqu’ici tout va bien.

Regardons ce qui a déjà existé en France.

Il y a eu des désignations appelées primaires dans la sphère écologiste, dans la sphère de la droite et du centre, et dans la sphère socialiste. Je dis « sphère » car, à chaque fois, cela concernait plusieurs partis politiques proches. Donc on peut se dire que cela ressemble à la situation actuelle de la gauche. De loin, à peu près.

Sauf qu’en vérité, la situation actuelle est très différente de ces expériences passées, donc on ne peut pas s’y référer vraiment.

Dans les différentes sphères politiques concernées en 2012, 2017 et 2022, il y avait toujours une maison mère et des satellites, et l’homogénéité politique de l’ensemble était très forte.

Rien à voir donc avec un arc politique allant de Besancenot à Hollande. Ça, on n’a jamais fait, c’est expérimental. Ne faisons pas semblant. Il faut en tenir compte car c’est évidemment une difficulté majeure sur deux points clefs :

Qu’est-ce qu’on a dans la boîte et qu’est-ce qui se passe après.

Je veux commencer directement par ces deux sujets et je parlerai vite fait ensuite des autres paramètres : qui vote, comment, quand, etc. Ne contournons pas les chaînes de montagnes, on n’est pas là pour ça.

---

Le principe d’une primaire, c’est que tout le monde, candidats et participants, soutienne la personne qui sort de l’essoreuse. Pardon, du chapeau.

Lorsque tout le monde est dans le même parti, ou presque, cela doit poser peu de problèmes car, grosso modo, le fond est le même, c’est le style qui change. Mais n’oublions pas la primaire socialiste de 2017 qui allait de Manuel Valls à Benoît Hamon, qui n’a bien entendu été soutenu que du bout des lèvres par un bon morceau de son parti, et qui n’a pas été soutenu du tout par Manuel Valls, et pas seulement lui.

Je passe sur la primaire écologiste de 2022 car vous avez encore le scénario en tête.

Ce que l’on voit donc, c’est que même quand tout le monde est du même parti, eh bien ce soutien franc et massif, qui devrait être automatique, ne va pas de lui-même. Du tout.

Eh bien maintenant, imaginez un instant une primaire en 2026 qui irait d’Olivier Besancenot à François Hollande.

Ce n’est évidemment pas très sérieux.

Rappel : il ne s’agit pas de croire en ses rêves, d’avoir son quart d’heure de célébrité ou de cultiver une position de confort pour rester debout, mais de gagner face à Jordan Bardella ou Marine Le Pen. Le monde tel qu’il est, vraiment, quoi.

La question de savoir, avant de voter, ce qui sort de la boîte de la primaire est résolument déterminante pour que l’opération ait un sens politique et donne le maximum de chances de fluidité dès le jour d’après. Qui peut imaginer les hollandais soutenir le programme d’un Olivier Besancenot qui aurait gagné ? Et réciproquement.

---

Plus l’arc politique d’une primaire est large, plus il est donc indispensable d’avoir une base programmatique commune détaillée, pas une base cosmétique qui contourne les points qui fâchent, mais bien un vrai programme. Ce qui réduira mécaniquement l’arc.

Oser parler de primaire sans être très clair sur ce programme complet collectif est donc une escroquerie. Pourquoi tout le monde n’est pas aussi clair ? Parce que parler de programme, c’est borner l’arc, et ça, nombreux sont celles et ceux qui ne veulent surtout pas le dire.

Problème : il est minuit moins une et on a besoin d’honnêteté et de courage, pas de manœuvres de communication.

---

Place Publique travaille sur son programme, le Parti socialiste travaille sur son programme, et l’un et l’autre ont exprimé la vocation de convergence de ces deux programmes. Les écologistes ont aussi annoncé lancer un processus programmatique. LFI a déjà sa bible. Donc, en théorie, il est assez simple d’établir une base programmatique solide et élargie. Mais, en pratique, cela supposerait d’exprimer des choix, ce qui n’est pas à la mode chez tout le monde, probablement au moins jusqu’aux municipales.

---

Le second point clef d’une primaire qui rassemble plusieurs partis, c’est que chaque organisation politique soit très au clair sur ce qui passera le jour d’après en termes de finances, de mandature, de gouvernement et d’équipe de campagne.

Mettez-vous à la place des partis politiques (rappel : j’aime les partis politiques, qu’ils soient démocratiques ou non, du moment qu’ils sont honnêtes, et je pense que les décrier pour valoriser du faussement libre et spontané est au mieux de la naïveté, et au pire de la démagogie).

Mettez-vous à la place des partis politiques, donc.

Dans un mouvement d’acceptation de perte de souveraineté, ils sont OK pour soutenir à la présidentielle quelqu’un, membre d’un autre parti que le leur. Super.

Mais qui peut imaginer qu’ils vont accepter cela sans avoir AU PRÉALABLE verrouillé la liste des circonscriptions qui leur sera réservée pour les législatives à suivre, un début de répartition des équilibres politiques au gouvernement, et évidemment l’organisation financière et humaine de la campagne présidentielle.

Avant de se lancer dans une primaire multipartis, il est o-bli-ga-toire de faire tout cela. Et c’est très bien ! Mais, là encore, expliquons-le tranquillement. Les Françaises et Français peuvent le comprendre. À dissimuler la réalité, on organise la défiance vis-à-vis de la politique, la déception future de pas mal de monde, et on facilite le développement d’initiatives, certes sympathiques, mais sans avenir réel.

Or, il y a suffisamment de problèmes à résoudre pour ne pas en créer de nouveaux.

---

Qu’est-ce qu’on a dans la boîte et qu’est-ce qui se passe après sont donc les deux énormes piliers indispensables pour envisager une primaire entre plusieurs partis.

Les questions des conditions de candidature, de participation et de vote sont capitales. Comme le sont la date et l’organisation pratique de la chose.

Mais il ne sert à rien de réfléchir à tout cela tant que les deux piliers — ce qu’on a dans la boîte et ce qui se passe après — ne sont pas acquis et sur les rails.

Parler du nombre de bureaux de vote, c’est utile pour faire de l’animation, mais pas pour faire de l’éducation populaire. Ne tournons pas autour des deux sujets qui peuvent fâcher, ce n’est pas après avoir fait rêver la France qu’on pourra découvrir que c’est une voie sans issue.

---

D’autant qu’à cet instant apparaîtra une chose formidable.

Une fois qu’un groupe de partis politiques, des petits et des gros, se sera entendu sur un authentique programme complet, sur un accord législatif et sur une organisation de campagne, ils seront en situation d’organiser une primaire qui pourrait être sérieuse.

Mais surtout, une fois qu’ils auront fait ce travail préalable essentiel, ces partis seront en situation de faire bien mieux qu’une primaire.

Parce que tout le monde sera rassuré, sur le fond comme sur le partage des responsabilités à venir, sur la place des cadres des uns et des autres comme sur la pérennité financière des organisations, ces partis seront parfaitement en capacité de se mettre d’accord sur la personne la mieux placée pour atteindre le second tour, puis surtout pour le gagner. C’était bien le but, non ?

Prendre sérieusement à bras-le-corps le sujet primaire, c’est, au final, trouver le moyen d’éviter de recourir à ce système de fainéant qu’on utilise quand on n’a pas pu trouver mieux. Parce que ce n’est pas avec une primaire qu’on résout des problèmes politiques, mais avec du travail et de la franchise.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.