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Billet de blog 12 novembre 2024

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Quand la politique fait plier bagage : anatomie d’un phénomène.

La perspective de changements politiques pousse de plus en plus de Français à envisager l’exil. Simple bravade de comptoir pour certains, plan minutieusement préparé pour d’autres, cette tentation du départ révèle une fracture démocratique profonde. De l’électeur de gauche radicale au patron libéral, parole à ces citoyens qui fixent leur ligne rouge et se préparent — ou pas — à quitter le pays.

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Des grandes déclarations et de leurs (in)conséquences

Si X passe, je me casse.” Une phrase devenue tellement banale qu’elle fait presque partie du folklore électoral français. On la sort au café, entre deux bières, avec la désinvolture de celui qui ne sera jamais comptable de ses mots. Sauf que parfois, la réalité politique vous rattrape et vous force à regarder en face ces déclarations qu’on préférerait oublier.

C’est ce qui m’est arrivé ce samedi. Attablé avec des amis, dans la légèreté d’un après-midi de novembre, quand l’un d’eux me rappelle mes propos de cet été : “Si jamais ils passent, c’est ciao la France.” Avant de me demander, avec un sourire en coin, où j’en étais de mon plan d’exil.

Moment de flottement. C’est toujours inconfortable. On préférerait n’être comptable que devant soi-même, et certainement pas devant une assemblée moqueuse en fin de semaine. Pourtant, le fait est là : j’ai réellement songé, à un moment, à quitter mon pays. Ma famille, mes amis, mon boulot, mon chien, mon parc à chien, tout ce qui constitue mon quotidien. Avant de vite abandonner, certes.

Mais la conversation a vite dérivé vers une question plus fondamentale : “Et toi, c’est quoi ta limite ?” Autrement dit, quel serait l’événement déclencheur d’une émigration ? L’élection d’un candidat ? Ses premières mesures ? Les mouvements sociaux qui suivraient ? Le “climat” qui en découlerait ?

Les réponses fusent, tranchées : “Premier dérapage raciste institutionnalisé, je me tire”, lance le camarade à ma droite. “C’est pas déjà le cas ?”, renchérit son adversaire de l’instant, moqueuse.

Petit tour de table des points de rupture

Derrière ces déclarations à l’emporte-pièce, une vraie question se pose : à quel moment le désaccord politique se transforme-t-il en impossibilité de vivre ensemble ? Et surtout, que nous dit cette envie de partir de l’état de notre démocratie ?

Je regarde déjà les offres d’emploi à Montréal.” Mariel, 34 ans, cadre et ancienne militante LREM, ne plaisante qu’à moitié. Dans son salon, cette ancienne d’une grande école déroule son scénario : “Une victoire de LFI aux législatives, c’est déjà trop. Mais si en plus on a une cohabitation avec un gouvernement simili-Marine Le Pen…” Elle s’interrompt, prend une gorgée de thé. “Je ne me vois pas rester dans un pays qui basculerait dans le protectionnisme économique et l’isolement européen. Mon entreprise a déjà un pied au Canada, je préfère anticiper.

Cette tentation de l’exil, elle n’est pas seule à l’éprouver. Selon le dernier baromètre Ipsos pour le CESE, 63% des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir du pays. Un chiffre qui grimpe à 73% chez les sympathisants du camp présidentiel après les dernières législatives.

C’est pas une question de si, mais de quand”, tranche Mehdi, 28 ans, développeur et sympathisant LFI. “Le premier fichage ethnique qui s’institutionnalise, je pars. Le pays exact, je ne sais pas encore, mais je refuse de revivre le climat post-2015 en pire.

Quand la réalité rattrape les grandes phrases

À l’opposé, Thomas, 41 ans, cadre commercial et sympathisant LR, balance entre conviction et pragmatisme : “Je le dis souvent, que je partirais si la gauche radicale passe. Mais quand j’y réfléchis… J’ai trois enfants scolarisés. C’est pas si simple de tout plaquer.

Cette ambivalence, Nadia, 37 ans, professeure d’histoire-géographie, la ressent aussi : “Je suis terrorisée par une possible victoire du RN. Mais partir où ? Faire quoi ? Est-ce que fuir n’est pas aussi une forme d’abandon ?” Une question qui la taraude depuis les derniers scores du Rassemblement National.

On parle souvent de partir entre amis”, confie Pierre, 31 ans, intermittent du spectacle. “Mais c’est plus un exutoire qu’un vrai projet. Ça permet d’évacuer nos angoisses sur l’avenir du pays.” Les données du CESE montrent que ce sentiment n’est pas isolé : 76% des Français estiment que “tous les hommes et femmes politiques sont déconnectés des réalités des citoyens”.

“Mon plan B est déjà prêt” — ceux qui ne bluffent pas

Pour certains, le plan est pourtant très concret. “J’ai déjà commencé à me préparer”, affirme Laurent, 55 ans, chef d’entreprise. “L’an dernier, j’ai monté une holding, une première étape d’optimisation classique. Mais si ils commencent à taxer le capital comme ils le promettent, je passerai à la vitesse supérieure. Les montages sont prêts, les contacts sont établis. C’est triste à dire, mais je ne prendrai pas le risque d’attendre. 

Les enquêtes récentes montrent que cette fracture n’est pas qu’une question d’opinion. Comme le souligne Stewart Chau dans la dernière étude Verian pour la Fondation Jean-Jaurès, la France est aujourd’hui “émotionnellement fracturée, inquiète, désespérée”. Une situation où les clivages ne sont plus seulement politiques mais aussi territoriaux et émotionnels, rendant le dialogue de plus en plus difficile entre les différents camps.

Partir : la seule réponse ?

Face à ces tensions, ces peurs réciproques et ces plans d’exil plus ou moins aboutis, c’est finalement tout notre modèle démocratique qui se trouve interrogé. Car si la perspective du départ devient une réponse banale à l’alternance politique, que reste-t-il du contrat social ?

Une question qui résonne particulièrement alors que, selon l’enquête Ipsos, 76% des Français considèrent encore la démocratie comme le meilleur système politique existant. Peut-être le vrai sujet n’est-il pas tant de savoir qui partira, mais comment renouer le dialogue dans un pays où l’autre est devenu, pour beaucoup, une menace dont il faut fuir.

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