Le 25 février 2016, c’est à l’occasion du 3ème anniversaire de la présidence sud-coréenne de Park Geun-Hye, que les habitants de Seoul ont pu assister à une manifestation des plus originales. En plein centre du parc Gwanghwamun, lieu historique où se tient l’ancienne administration royale, environ 120 manifestants se sont rassemblés. Un détail prête à confusion, aucun être humain à l’horizon mais des hologrammes, à taille humaine, projetés sur un écran géant.
Organisée par Amnesty International, la protestation numérique a lieu dans un contexte d’abaissement des libertés publiques. Le pouvoir en place souhaite interdire rassemblements et manifestations, dans la lignée de la répression des mouvements sociaux de 2014, critiquant la réponse gouvernementale suite au naufrage du ferry Sewol.
Initialement, la marche ne devait pas être menée par des hologrammes. Cependant, la police de Séoul n’a pas donné son autorisation, invoquant de possibles problèmes de circulation. Face aux refus des autorités, Amnesty International a décidé de mettre en place un écran géant, projetant l’enregistrement de 120 participants, scandant des choses comme « promettez nous la démocratie ! » ou « promettez nous un libre droit de réunion ! ». Ce défilé, d’un peu plus d’une demi-heure, a attiré nombre de médias nationaux et étrangers.
Le gouvernement n’a pas tardé à réagir par la voix de Lee-Sang Won, commissaire de la police de Séoul, qui déclarera lors d’une conférence de presse que « […] les autorités détiendront quiconque manifestera par hologramme ou mouvement collectif. Cela est en soi une manifestation. »
Le Pays des matins calmes est connu pour la numérisation de sa société civile. Terre de Samsung et de l’E-sport, il n’est pas étonnant que cette première manifestation digitale s’y soit déroulée.
Cependant, ces protestations 2.0, malgré un fort impact, n’ont débouché que très rarement sur une mobilisation physique ou un changement. Triste exemple que celui sud-coréen, bien que la marche du 25 février ait fait le tour des médias, le gouvernement n’a pas infléchi sa ligne. Alors, face à une protestation qui ne cesse d’enflée et suite aux déclarations des autorités, répression Potemkine ou réelle peur des mouvements de contestation numérique ?
La Corée du Sud, l’exemple à ne pas suivre
Ces évènements font écho à ceux qui ont lieu actuellement en France. Lancée il y a deux semaines par des associatifs et syndicalistes, une pétition en ligne contre la réforme du travail sur Change.org a, pour la première fois, fait bouger un gouvernement de la Vème République.
Hier soir, Mediapart a organisé un live présenté par les créateurs de la pétition Loi travail : non merci. Cette dernière a très facilement dépassé le million de signatures dans la soirée, la cellule web du live n’hésitant pas sans rire à la comparer aux 15000 signataires de celle initiée par Dominique Reynié.
Au cours du direct, Elliot Lepers, ancien directeur de campagne numérique d’Eva Joly, a présenté l’une des fonctionnalités, et pas des moindres, de la page web loitravail.lol. Suite à une authentification via Twitter ou loitravail.lol, il est possible de manifester virtuellement et de s’exprimer par un Tweet.
Agrandissement : Illustration 1
Impr. Ecran du site manifester.loitravail.lol
« […] Sur une carte de France […] vous pouvez placer un curseur qui va vous représenter, qui va manifester pour vous en complément des manifestations physiques qui vont se tenir partout en France. » expliquera le designer, par une courte vidéo lors du live.
Comme le rappellera Caroline de Haas, c’est bien un outil complémentaire aux manifestations des 9 et 31 mars et qui visent principalement les personnes ne pouvant participer. Et, c’est ici, la principale différence avec la marche 2.0 Sud-coréenne.
Pour l’heure, les outils numériques se révèlent précieux en tant que moyen, et non comme fin. Avec un impact maximal, ces outils n’en restent pas moins obsolètes très rapidement, si ce n’est dans l’instantanée.
Dans le cas français, la pétition a agi comme thermomètre de la société civile, exposant au pouvoir en place les possibilités de mobilisation de la société civile et l’exaspération grandissante d’une majorité des Français face à la ligne gouvernementale. Le million dépassé, que se passera-t-il ensuite ?