La plupart d’entre vous ont entendu parler de la déclaration de guerre du groupe d’hacktivistes Anonymous adressée au candidat républicain Donald Trump. « Ce n’est pas un avertissement, ceci est une déclaration de guerre totale. », voilà le message passé, joint d'un appel aux armes, par le mouvement dans une vidéo postée le 15 mars.
Le collectif au masque de Guy Fawkes promet un « démantèlement » de la campagne de communication du milliardaire par le piratage de plusieurs de ses sites internet, au moyen d'attaques collectives par déni de service (DDOS). L’offensive, nommée #OPTrump, est programmée pour le 1er avril 2016. En supplément, Anonymous a dévoilé dans un post des prétendues données personnelles du magnat de l’immobilier et de certains de ses plus proches collaborateurs. Loin d’être connu pour ses poissons d’avril, le groupe a récemment divulgué en novembre une liste de 1000 membres du Ku Kux Klan.
La vision d’une Amérique du nord désenchantée, qui par ailleurs semble redécouvrir ses rednecks autrement que par le reality-show Duck dynasty, inquiète et les médias semblent à la recherche de figures héroïques. L’emballement concernant l’action d’Anonymous apparaît pourtant comme exagéré.
Tout d’abord, ces soi-disant informations « confidentielles » sont disponibles pour la plupart, comme le numéro de sécurité sociale, sur Internet depuis des années. La tentation est forte parmi les observateurs du web d'attribuer l'opération à des "script kiddies"- expression péjorative qui désigne les jeunes gens avec quelques aptitudes en informatique qui se prennent pour des hackers, ndlr - et l'échec de la précédente "guerre totale" déclarée en décembre 2015 retentit à nouveau.
Par la suite, ce mouvement présenté comme une entité monolithique n’est pas homogène. Bien que de nombreux membres revendiqués soutiennent les actions visant à contrer l’agenda médiatique de l’Ogre républicain, plusieurs groupes d’affiliés se posent en défenseur du candidat. Cela peut paraître comme blasphématoire, particulièrement quand les principaux comptes Twitter du mouvement - dont certains avoisinent les 2 millions de followers -soutiennent l’opération.
Le fonctionnement décentralisé du collectif permet cependant à une minorité de se détacher des récentes déclarations anti-Trump. Une petite audience rejette l’offensive virtuelle du 1er avril visant à réduire au silence l’ancienne star d’un TV Show pour ses positions politiques. La guerre programmée est vue comme une attaque à la liberté d’expression, un péché capital envers l’éthique d'Anonymous.
L'administrateur du compte Twitter @theanonmessage, qui a partagé des informations confidentielles sur Donald Trump avec ses plus de 128.000 abonnées, répond aux critiques lors d'un échange par messages privés avec Vocativ. "Nous n'avons en aucun cas empêché Trump de s'exprimer, nous avons simplement choisi de ne pas l'écouter.". Donald Trump a, à défaut d'autre chose, le mérite de raviver le débat sur la liberté d'expression outre-Atlantique.
L'opposition à la campagne du 1er avril n'est pourtant pas uniquement liée à la défense de la liberté d'expression, “Il y a deux types d’Anons – membre d’Anonymous- aux Etats-Unis. Ceux affiliés aux mouvements Occupy, plutôt progressiste, et les conservateurs libertaires” déclare à Vocativ l’un des administrateurs de la page Facebook pro-Trump Anonymous Patriots, forte de plusieurs milliers d’abonnés.
Ce dernier a réalisé une vidéo, dans le style de celles publiées par Anonymous, nommée #OPFreeSpeech.
Alors que la vidéo des Patriots Anonymous se limite une défense ambiguë de la liberté d’expression, la position de l’administrateur sur Trump se révèle plus claire. “ Notre économie va s’effondrer. Nous pensons qu’il est le seul à pouvoir régler cela.” déclare-t-il. D’autres administrateurs ont par ailleurs posté des messages de soutien au candidat républicain sur leur page Facebook personnel.
Bien que la communauté Anonymous pro-trump soit moins active que ses pairs, le soutien affiché au milliardaire au sein du mouvement de cyberactivistes n’est pas chose exceptionnelle. Les Anonymous du Kentucky par exemple le revendiquent ouvertement.
Une chaîne YouTube- l'auteur n'est pas encore connu - a même commencé à publier des vidéos, visuellement proche de celles publiées par Anonymous, appelant explicitement à élire Donald Trump pour permettre aux Etats-Unis de mieux traiter avec le monde musulman. Bombarder ou isoler seraient des termes plus appropriés au vu des propos de ce dernier sur les musulmans.
Un masque pour un infini de visages
Bien évidemment, rien de tout ça ne signifie qu’Anonymous soutienne secrètement le candidat républicain. Le mouvement est un point de convergence entre cybers-activistes, hackeurs et autres néophytes engagés ou adeptes du cool. Techniquement, chacun peut mettre une photo profil avec un masque de Guy Fawkes et se revendiquer comme membre. Ce collectif eclaté est en quelque sorte devenue une marque soluble, permettant à n'importe quel individu de s'y identifier, peu importe ses convictions politiques. "Tout le monde peut être un Anon, mais il faut se rappeler aussi qu'Anonymous est état d'esprit. Habituellement, la majorité réussira le plus à se faire entendre." déclare @theanonmessage, toujours dans le même échange avec Vocativ.
Mon propos n'est absolument pas de blâmer Anonymous, simplement de restituer la complexité d'un tel mouvement au vu de la simplification apparente dans son traitement médiatique.