« Celui que l’on pense comme croyant ne peut se penser comme croyant. La croyance ne peut se dire telle lorsqu’elle s’appuie sur une confiance spontanée dans la solidité, la fiabilité de l’ordre des choses tel qu’il nous apparait. La source de la confiance n’a pas sa source alors en elle, elle est celle même de l’ordre des choses » Jean Pouillon, Le cru et le su, Seuil, 1998.
Encore étudiant, je ne suis pas un spécialiste et encore moins un expert. En revanche, j’ai l’intime conviction que la parole de la jeunesse n’est pas assez mise en avant même si celle-ci ne correspond pas aux cases universitaires et médiatiques. La parole des jeunes est primordiale concernant les sujets qui touchent notre société et cette parole peut rafraichir les débats. C’est donc sans prétention que j’écris ces lignes qui s’échoueront peut-être devant vos yeux.
Dans un contexte de cristallisation du débat autour de la laïcité, du fait religieux ou encore de la différence, je perçois plus ces lignes comme une demande de débat réfléchi et sans passions plutôt que comme une analyse que je laisserai aux chercheurs. Le rejet violent de la différence est un des travers sur lesquels repose malgré nous notre société. Ce mur symbolique que nous érigeons contre cette différence protéiforme est un des obstacles vers le vivre ensemble que nous recherchons. Différence religieuse, politique ou encore d’idée, nous sommes insérés dans un schéma de pensée ouvert uniquement vers son espace cognitif propre.
A chaque évènement pénétrant dans ce cercle, une levée de bouclier pour l’en exclure ou une énergie disproportionnée pour le façonner à notre image voit le jour. Un Français se doit de n’avoir qu’une identité, une nationalité pour ne prendre que ces deux exemples pour être considéré comme un « bon français ». Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres mais je m’attarderai plus sur ces thèmes.
Il est important de ne pas vouloir absolument gommer les différences mais plutôt de les mettre en valeur afin de construire notre unité. Rejeter les différences ou vouloir les gommer c’est favoriser le repli sur soi et la méfiance de l’Autre. La jeunesse de notre société est diverse, multiple et remplie d’idées nouvelles et contradictoires et c’est cette hétérogénéité qui fait sa force. Gommer nos différences, c’est alors renier une partie de ce qui constitue la France d’aujourd’hui.
Jean Pouillon nous disait que « seul l’incroyant croit que le croyant croit ». Je prendrai 1 cette citation pour pierre angulaire de mon propos. Avant d’avancer dans mes idées je tiens à rappeler ce que j’entends par croyance en tant qu’elle peut être religieuse, intellectuelle ou encore politique (comme la République). C’est précision est je pense très importante pour la suite.
Pouillon nous rappelle alors que « si par exemple je crois qu’ils [des personnes] croient aux esprits, ici en parlant d’une tribu du sud du Tchad, c’est parce que moi je n’y crois pas et n’y croyant pas je pense qu’ils ne peuvent que croire à la manière que j’imagine que je pourrai croire ». L’incroyant pense donc que croire se décide et voit alors le rapport de l’autre à sa « croyance » par rapport à lui. Nous réfléchissons donc comme si la croyance relevait de l’avoir (on a une croyance) et donc que l’on pourrait s’en passer.
« Celui que l’on pense comme croyant ne peut se penser comme croyant. La croyance ne peut se dire telle lorsqu’elle s’appuie sur une confiance spontanée dans la solidité, la fiabilité de l’ordre des choses tel qu’il nous apparait. La source de la confiance n’a pas sa source alors en elle, elle est celle même de l’ordre des choses » . Les personnes font 2 l’expérience de leurs croyances quotidiennement parfois depuis la naissance et ces croyances s’imposent alors comme une réalité objective.
C’est ce postulat que je choisis lorsque je parle de laïcité. Le respect de toutes les croyances dans le cadre du droit. Trop de commentaires sont entendus ou lus concernant la laïcité mais peu se réfèrent au droit. Il s’agit de comprendre qu’il n’existe pas une vérité mais qu’elles sont multiples. Comprendre qu’il faut les accepter et apprendre à les autoriser socialement au nom du vivre ensemble.
Je ne rappellerai jamais assez qu’il faut que cela reste dans le cadre du droit français, mais trop souvent celui-ci est oublié. Pour rappel, la laïcité répond à la question suivante : comment vivre ensemble, faire société, tout en étant différents sur le plan des religions ? A son fondement, la laïcité n’est pas contre les religions mais contre la domination politique d’une religion dans l’espace public. Il s’agit donc de mettre les différentes religions sur un pied d’égalité. La République Française appartient à tous ses acteurs et elle doit assumer la diversité individuelle de ses membres dans le cadre de l’unité collective.
La laïcité n’est pas une juxtaposition d’individus. Il faut dépasser les différences individuelles pour construire un vivre ensemble qui unit croyants et non croyants. Pour ce faire, la laïcité repose sur trois grands principes : la liberté de conscience individuelle qui est le résultat de la séparation du religieux et du politique, l’égalité de tous les citoyens quelques soit leur manière de penser et enfin, la recherche de l’intérêt général.
Vivre ensemble, c’est alors respecter autrui pour ce qu’il est dans son ensemble et non le juger sur une partie de son identité. C’est également faire ce pas mental en avant qui nous fait comprendre et accepter la différence. C’est, enfin, ne pas chercher à rassembler au non d’idées obtues qui ne finissent que par diviser.
Pour résumer ces lignes, je dirai qu’il s’agit d’articuler le commun vers un véritable vivre ensemble. Je finirai enfin par cette citation en lien avec le port du voile tirée de la revue Regards de Clémentine Autain, codirectrice de la revue et porte-parole d’Ensemble: « Le voile est extrêmement visible quand on ne voit rien de ce qui façonne la domination masculine ailleurs. Prenez mes talons hauts et mon rimmel : ils ne sont pas du tout associés à des choses sexistes, alors qu'ils pourraient, et on se focalise de façon obsessionnelle sur le foulard. Comme si le sexisme n'était, dès lors, plus qu'un problème lié aux banlieues et à l'islam ! Cette position ne me convient pas du tout. Et cela se retourne contre les femmes voilées qui, du coup, se sentent exclues : en tant que féministe, je ne peux accepter qu'elles soient mises à distance de nos combats. Je suis pour l'auto-émancipation, profondément (on revient à ma culture marxiste). Ce n'est donc pas : "Tu retires ton foulard et tu fermes ta gueule." Par ailleurs, le degré de domination et d’aliénation d’une femme ne se mesure pas au simple port d’un foulard, qui peut, du reste, avoir des significations multiples ! […] Lorsque je suis à côté d'une femme voilée, je ne peux pas dire que je ne porte aucun signe d'oppression et qu'elle est le symbole absolu de la soumission. » (Propos recueillis dans l’article Le voile : halte à l’hystérie de la Revue Ballast).
Ne pas enterrer les gens des cases préétablies, comprendre les actions de chacun, ne pas plier devant un contexte et ouvrir son esprit, tels sont les défis auxquels notre société est exposée et doit répondre.
Au nom des différences unificatrices, je pense qu’il s’agit pour nous de réfléchir autrement sur ces questions plutôt que de laisser les passions nous envahir et remettre au goût du jour des valeurs qu’en temps normal nous oublions. Je souhaite inviter le plus de monde à s’intéresser à l’autre, à ses identités et à ses raisons plutôt que de coller un schéma préconçu sur cette personne qui ne rentrera forcement pas dans la case que nous lui avons imposé.
Pour finir, devant la volonté de certaines personnes de construire notre société à leur image, en une image, rassemblons toutes nos images, faisons les coexister entre elles afin d’obtenir le livre de notre histoire.
Clément BEAUDOUIN, étudiant en Master de Communication Publique et Politique (ISIC/ Science Po Bordeaux), Master Sociétés et Religions (Université Bordeaux Montaigne).
Jean Pouillon, Le cru et le su, Seuil, 1998
1 Jean Pouillon, Le cru et le su, Seuil, 1998
Tribune écrite dans le cadre du projet Ré!venter l'Original, épisode 2.