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Billet de blog 25 avril 2016

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Crime en streaming

Introduite sur Twitter le printemps dernier, l'application de diffusion de flux vidéo en temps réel Periscope a pris une considérable ampleur Outre-Atlantique.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Popularisée depuis le tacle verbal de Serge Aurier sur son entraîneur, Laurent Blanc, l’application compte aujourd’hui plus de 10 millions d’utilisateurs. Utilisée pour retransmettre « Nuit Debout », les violences lors des manifestations contre la Loi Travail ou de plus légères soirées chichas, Periscope est à la portée de tous. À la condition d’avoir un smartphone, chacun peut retransmettre sa vie en temps réel et solliciter les "likes" des spectateurs.

Aux Etats-Unis, l’application est déjà au coeur d'une sordide affaire de moeurs : une jeune femme, Marina Lonina, est en effet accusée d’y avoir diffusé un viol.

L’adolescente de 18 ans et son amie de 17 ans, la victime, ont rencontré Raymond Gates, 29 ans, dans un centre commercial près de Colombus, dans l’Ohio, en février. Ce dernier ramène les deux adolescentes chez lui, où ils les soûlent. Il commence par agresser Marina, qui le repousse, pour finir par se jeter sur son amie plus imbibée. La victime est alors violée sous les yeux de l’adolescente de 18 ans. Cette dernière sort son téléphone et, sans appeler les secours, démarre une retransmission en direct par l’application Periscope.

Raymond Gates et Marina Lonina sont tous les deux accusés d’enlèvement, de viol et de diffusion d’actes sexuels sur mineur et encourent une peine pouvant aller jusqu’à 40 ans de réclusion criminelle. Le procureur du comté de Franklin, Ron O’Brien,  avouera au micro de NBC4In’avoir jamais vu une telle affaire. ".

Les deux accusés ont plaidé non coupable mais au vu des 10 minutes de vidéo, il est peu probable que Raymond Gates soit acquitté. Le sort de la jeune femme est lui beaucoup plus trouble. Selon le procureur, Lonina espérait  pouvoir arrêter le jeune homme par la diffusion en direct de l’acte mais s'est laissée griser par les « likes » et commentaires positifs, pour finalement ne jamais appeler les secours.

Sam Shamansky, avocat de Marina Lonina, insiste sur le fait que sa cliente est avant tout une victime :" Il ne faut pas perdre de vue que Lonina est une lycéenne et qu’elle a clairement été abusée par un homme plus âgé " a déclaré ce dernier au New York Times. Selon lui, l’adolescente aurait été dépassée par les évènements et n'ayant aucune intention de nuire.

L’avis du procureur est beaucoup plus nuancé. Lundi dernier, lors d’une interview, O’Brien a confirmé que la victime a signifié à plusieurs reprises son non-consentement lors de l’enregistrement. Le procureur ajoute que pendant environ 10 secondes, Marina a tenté d’extirper son amie en lui tirant la jambe.

Quelques secondes de lucidité qui n'auront pas convaincu le procureur : " La plupart du temps, elle se contente simplement de filmer et de rigoler. "

Marina Lonina a également été accusée d’avoir photographié son amie nue le 26 février, la veille du drame. 

L’adolescente a été libérée après le versement d’une caution de 125 000$. Raymond Gates est lui toujours incarcéré, sa caution s’élève à 300 000$.

Filmer, c’est aider ?

Depuis son introduction sur Twitter en mars dernier, Periscope a été le support de plus de 100 millions de vidéos en temps réel. Inévitablement, certains utilisateurs ont utilisé l’application pour vanter leurs "exploits". Conduite en état d’ivresse, violences, vols… ces cas où les auteurs semblent assez idiots pour se filmer ne sont pas inconnus des autorités. Cependant, le cas de Marina Lonina est singulier, puisqu'elle n'est pas l'auteur direct du crime.

Dans le contexte législatif français, les faits soulèveraient plusieurs questions : Est-il légal de filmer quelqu’un, dans une position dégradante, à son insu même si cela peut être constitutif de preuves ? Peut-on considérer que filmer c’est porter assistance à personne en danger ?

L’article 222.33.3 du Code pénal, créée en 2007 pour endiguer le phénomène d’happy slapping, réprime le fait d'enregistrer une scène de violence. Ce même article en condamne aussi la diffusion. Pour constituer une infraction, celui qui enregistre les images doit agir « sciemment », c’est-à-dire qu’il doit volontairement enregistrer et avoir conscience de capter une infraction. Ce qui dans le présent, au vu de l’âge de l’accusée et de son état d’ébriété, est difficile à démontrer.

"L’article prévoit deux faits justificatifs spéciaux qui empêchent de poursuivre l’auteur de l’enregistrement ou de la diffusion. C’est le cas notamment lorsque l’enregistrement est « réalisé afin de servir de preuve en justice ». […] Il faudra que l'adolescente prouve que, sur le moment, elle a filmé et diffusé les images dans un but louable explique Aurélie Bergeaud-Wetterwald, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux.

Twitter peut être logiquement mis en cause. La scène filmée est un crime et "le code pénal punit le fait de laisser porter à la connaissance du public un tel enregistrement" déclare Aurélie Bergeaud-Wetterwald.

Au-delà de toutes considérations juridiques, l’affaire pose plusieurs problèmes d’éthique. Ce qui est reproché à Marina Lonina c’est son inaction, son immobilisme. Alors, filmer ou agir, filmer et agir ou filmer c’est agir ?

Le verdict concernant l'affaire Marina Lonina est attendu et, pour le moment, la tournure du procès laisse entendre que non, filmer n'est pas toujours aider.

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