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Billet de blog 2 mai 2016

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Pour en finir une bonne fois pour toutes avec l'affaire Kamel Daoud

Cette tribune revient sur la dite "affaire Kamel Daoud" et répond aux "défenseurs" autoproclamés du journaliste. Je n'ai pas l'habitude de renvoyer à d'autres sites, mais puisque mon ami Denis Colombi a eu la gentillesse de mettre en page cette note sur un blog externe à Mediapart, je me contente ici de ne mettre qu'un extrait.

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Introït

« Ca c’est pas une farce. C’est une corde.

Dépêche-toi de passer la tête là-dedans, Tuco. »

Blondin

L’histoire est typique et, si elle n’avait été si caricaturale, ne révélerait absolument rien. Les faits qui l’ont causée, eux, méritent une pleine et entière attention. Le 31 décembre 2015, à l’occasion des célébrations du Réveillon, une foule d’hommes se rend coupable d’agressions de masse envers des femmes présentes sur la place publique à proximité de la gare de Cologne. Les chiffres diffusés depuis (1088 plaintes au 17 février 2016, 1049 victimes, et une estimation du nombre d’agresseurs tournant aux alentours de 1500 sur l’ensemble de l’Allemagne ce soir-là) sont absolument accablants. Pour trois raisons, je ne reviendrai pas ici sur ces phénomènes, leurs explications, leurs contextes, et les analyses qui peuvent en être faites. En premier lieu, en tant qu’auteur de ce texte, j’admets volontiers une incompétence totale en matière d’analyse des violences faites aux femmes, que ce soit dans le dit « monde arabo-musulman », à l’extérieur de cet espace, ou de façon générale ; il n’y aurait aucune valeur de ma part à écrire sur ce sujet, et nul doute que des spécialistes disent d’ores et déjà des choses plus intéressantes que les quelques notions que j’ai pu retirer de lectures éparses (sur le phénomène dans le dit « monde arabe et musulman » on lira ceci, ceci, ceci, ceci, ceci ou encore ceci, par exemple). En deuxième lieu, je suis de l’avis qu’il n’est pour le moment pas possible aux sciences sociales de dire grand-chose d’événements dont la justice elle-même dit qu’elle n’a pas encore fini de travailler dessus. Il se passera des mois avant que le travail judiciaire d’identification des coupables, des victimes, des faits, et des réseaux ne se termine, et plus longtemps encore avant que les sciences sociales n’aient produit de données valables sur cet événement précis. Enfin, je fais le choix de parler de cet événement par les polémiques qu’il a engagées. On jugera probablement ce choix dérisoire, au vu des crimes et des souffrances engagés, je ne le nie pas : tout le bruit décrit plus bas n’a qu’une importance mineure face au réel fléau que constituent les violences faites aux femmes, où qu’elles aient lieu, et quels qu’en soient les auteurs. Ayant d’ores et déjà concédé mon incompétence sur ce sujet, je peux néanmoins renvoyer les personnes souhaitant se documenter sur ce sujet véritablement grave aux nombreux travaux et mouvements, associatifs comme sociaux, qui s’en préoccupent directement et de façon plus compétente que moi-même (toujours sur le « monde arabe et musulman », on trouvera dans les références de cette note une bibliographie indicative, on pourra également s’intéresser à l’organisation HarassMap et en tant qu’auteur de ce papier je ne saurais que trop inviter les personnes compétentes à se prononcer sur les lectures valables).

S’ils ne sont pas commensurables au dit fléau social, les débats engagés autour de la désespérante affaire de Cologne peuvent nous inciter à garder dressée une oreille attentive, sinon effrayée. En effet ces événements et le choc qu’ils induisent, début 2016, conduisent à un débat européen intense et violent, lequel semble ne pas vouloir s’éteindre tout à fait. En France, ce débat se focalise autour d’une tribune, « Cologne, lieu de fantasmes », publiée un mois plus tard dans les pages du journal Le Monde par l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud. Celui-ci voit en Cologne un « lieu de fantasmes » et la confrontation d’une Europe accueillant en bonne volonté des réfugiés chassés par la guerre à une réalité culturelle irréductible : « Oui. L’accueil du réfugié, du demandeur d’asile qui fuit l’organisation Etat islamique ou les guerres récentes pèche en Occident par une surdose de naïveté : on voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ; il est la victime qui recueille la projection de l’Occidental ou son sentiment de devoir humaniste ou de culpabilité. On voit le survivant et on oublie que le réfugié vient d’un piège culturel que résume surtout son rapport à Dieu et à la femme ». De cette « réalité culturelle », l’auteur nous dit qu’elle consiste en un « monde d’Allah » qui hait la femme du fait d’un « rapport maladif » à la vie, et, se trouvant confronté à la situation contraire d’un Occident qui, culturellement toujours, louerait les femmes, pousse les réfugiés dont il est question à vouloir les « réduire à [leur] possession » par souci de consommer la liberté dont elles seraient le symbole. Solution, pour l’auteur, « guérir » les réfugiés de leur rapport « malade » au monde.

Cette pathologie culturelle n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Onze jours plus tard, dans le même journal, une réponse intitulée « Nuit de Cologne : ‘Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés’ » tient lieu de réponse, publiée par un collectif de chercheurs et chercheuses en sciences sociales, tous spécialisés sur le Proche et le Moyen-Orient, et issus de diverses disciplines. Trois critiques sont adressées au texte de Daoud. premièrement, celui-ci participerait d’une essentialisation du monde musulman, selon laquelle « un espace regroupant plus d’un milliard d’habitants et s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres [peut être réduit] à une entité homogène, définie par son seul rapport à la religion » ; deuxièmement, Kamel Daoud, en réduisant des individus à leur simple religion – supposée – leur nierait tout simplement la condition d’êtres humains en leur refusant la possibilité d’être des créatures marquées par une certaine diversité : « il impute la responsabilité des violences sexuelles à des individus jugés déviants, tout en refusant à ces individus la moindre autonomie, puisque leurs actes sont entièrement déterminés par la religion » (en effet Daoud soutient cette thèse en expliquant que les « raisons réelles » qu’il prétend présenter échappent aux auteurs des actes, et que l’agresseur selon lui « n’a vu qu’un divertissement, un excès d’une nuit de fête et d’alcool peut-être » dans ce qui était en fait une attaque à « l’essence » de l’Europe) ; troisièmement, Daoud entre dans un rapport disciplinaire et correctif des humains : « Culturellement inadaptés et psychologiquement déviants, les réfugiés doivent avant toute chose être rééduqués. Selon lui, il faut « offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer ». C’est ainsi bien un projet disciplinaire, aux visées à la fois culturelles et psychologiques, qui se dessine. Des valeurs doivent être « imposées » à cette masse malade, à commencer par le respect des femmes ». Il ne leur en faut guère plus pour conclure que le texte de Daoud correspond à une logique paternaliste, et repose sur les clichés culturalistes, racialistes, et islamophobes qui ont accompagné par le passé et accompagnent encore une entreprise de discipline au cœur de la logique coloniale.

[...]

Pourquoi un tel détour par « l’enculage de mouches » académique pour évoquer deux tribunes parues dans le journal Le Monde ? Pour insister sur le fait que la seconde tribune, quoiqu’on en pense (me concernant, beaucoup de bien, donc) ne tombe pas du ciel : elle repose sur près d’un siècle et demi d’expérience intellectuelle et de réflexion critique sur les tenants et aboutissants des sciences sociales. Cette critique faite par des chercheurs a pu sembler sèche, pompeuse, ou promouvant un débat aride de toute sensibilité, caché derrière des procédures ennuyeuses de vérification, de sourçage, et de longues péroraisons théoriques. Il reste qu’elle est parfaitement exacte dans ce qu’elle prétendait faire : présenter la tribune de Kamel Daoud comme une prise de position politique et pas une analyse objective des faits (du reste impossible), et lui répondre à ce titre, en soulignant qu’elle reposait sur un certain nombre de mauvaises conceptions, qu’il est possible de parler des faits réels de façon engagée sans s’emporter à la divagation. Si l’affaire s’était arrêtée là, il ne vaudrait pas la peine de consacrer même un instant à y penser : des « affaires » de ce type, la France en voit quotidiennement, à toute échelle, et dans toutes les arènes. Il ne se passe presque pas un jour sans qu’une tribune, une polémique, une intervention quelconque et la réponse qu’elle engage ne conduise à un échange de ce type. Cette forme complètement normalisée, qui existe également dans le monde scientifique qui avance en partie par controverses, est le quotidien d’une société qui va relativement bien, se pose des questions et se paie même le luxe d’avoir plusieurs réponses à leur apporter. Ce n’est évidemment pas ce qu’il s’est passé. Pourquoi ?

[La suite là]

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