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Billet de blog 16 janvier 2017

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Défaite et stratégie

La gauche social-démocrate est quasiment morte politiquement. L'émergence de «figures alternatives» à gauche pourrait donner espoir, si elle ne se faisait pas sur l'autel d'un renoncement.

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La gauche peut mourir, comme l'annonçait gravement l'un de ses fossoyeurs en septembre 2016.

De plus d'une manière, cette phrase est complètement vide de sens : si les groupes et mouvements qui composent la gauche ont montré une chose ces dernières années, c'est bien que malgré un exercice du pouvoir incompétent et droitier, elles se refusaient totalement à mourir. Mieux : le fait que le pouvoir ait été porté par elles n'a pas impliqué qu'elles se muent dans un silence coupable. Ce simple fait est à considérer à l'aune de ce qu'ont été d'autres périodes d'arrivée au pouvoir du Parti Socialiste, notamment sous les deux septennats de François Mitterrand. Dans les "années d'hiver" (pour reprendre le titre de l'essai de Félix Guattarri), la gauche radicale et mouvementiste sombre dans une sorte de léthargie sidérée, pour ainsi dire de honte d'elle-même. Gilles Deleuze écrit sur cinéma ; Pierre Bourdieu, après son soutien à Coluche, se concentre sur la pierre de touche de sa carrière académique (sans avoir à en rougir une seconde), et ne se re-révèlera grand écrivain engagé que sur la fin de la décennie et pendant les années 1990 ; beaucoup d'autres, se reniant entièrement, embrassent alors l'ère des "faiseurs de fric" et "passent du col Mao au Rotary". La gauche qui ne se tait pas se voit, par manoeuvre, aussi systématiquement que possible détournée et réintégrée par le pouvoir : ce sera l'organisation de SOS Racisme visant à court-circuiter le grand mouvement autonome de la Marche pour la Dignité et contre le Racisme de 1983 et de Convergence 1984, mais aussi le Mouvement des Travailleurs Arabes et les grèves des loyers dans la SONACOTRA de la décennie précédente. La Décennie que raconte François Cusset est celle de la grande paralysie, du grand silence, ou de la grande trahison par la partie de la gauche comme en état de sidération devant les actions du pouvoir socialiste.

En contraste les années Hollande ont été radicalement différentes. D'abord parce qu'elles se sont inscrites, il faut l'admettre, dans une ouverture des discours radicaux et critiques, tandis que les années 1980 semblaient marquer la fin d'un tel cycle. Mais aussi par la force de l'expérience : tandis que les grandes figures et les grands mouvements de gauche étaient dans l'espoir d'un gouvernement différent en 1981, une telle illusion ne s'est pas maintenue une seule seconde entre 2012 et 2017. Nous savions très bien à quelle sauce nous allions être mangés par une clique d'énarques biberonnés de libéralisme et de conservatisme, inscrits dans une période de domination intellectuelle et idéologique (l'expression "culturelle" étant choisie pour ne pas avoir à parler d'idéologie) de la droite et en particulier de ses variations extrêmes, libéralisme comme extrême-droite. Là où l'on a de la peine à trouver (encore une fois à part les deux marches de 1983 et 1984) de grand mouvement de contestation issu de la gauche sous les années Mitterrand, le seul quinquennat de François Hollande nous a donné Nuit Debout et les grands mouvements contre la Loi El-Khomri, mais aussi la Marche pour la Dignité et contre le Racisme (de 2015, cette fois), le mouvement contre les violences policières centré autour des noms de Rémi Fraisse puis d'Adama Traoré, le durcissement de la CGT vu comme une "radicalisation", mais également des dynamiques similaires dans les mouvements composant la gauche critique : féminisme, mouvements LGBT, mouvement anticapitaliste, droit à la ville, droit au logement, etc. On aura vu dans cette période une figure du mouvement social annoncer son soutien à l'action violente, on aura vu émerger - en conflit, comme toujours à gauche - des propositions théoriques et des programmes ambitieux, ainsi que le retour de personnes que d'aucuns parmi des journalistes qui ne voient de créativité politique que dans le énième ouvrage stérile et fat de Nicolas Baverez sur la nécessité d'une grande politique thatchérienne en France voudraient mortes depuis les années 1970, à l'image de Chantal Mouffe ou de Christine Delphy. Non seulement ces mouvements ont existé - ce qui a toujours été le cas, et le tableau morose de la décennie 1980 pourrait se trouver en porte à faux avec l'évocation de quantité de mouvements similaires que n'hésiteront pas à documenter ici les personnes s'y connaissant mieux que moi - mais ils ont réussi à imposer leur agenda sur le débat public, et à s'imposer dans les médias généralistes qui la plupart du temps préféreraient ne même pas leur prêter attention.

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Il est donc très exagéré d'évoquer la possibilité que la gauche puisse mourir : à sa propre échelle, elle a au contraire l'air de se trouver dans une période de prolixité, eu égard à sa complète marginalité idéologique dans un cadre où la pensée unique est de droite et d'extrême-droite (ce qui permet d'appeler la propagande de droite un "discours de vérité", par exemple). Ce qui est en passe de mourir, c'est la forme particulière de social-démocratie à laqielle correspond le Parti Socialiste français et, par extension, le bloc relativement consensuel de la gauche "situationnelle" (par opposition à la gauche idéologique) inscrite dans l'appareil de gouvernement français. La gauche "situationnelle" étant le nom que l'on peut donner à l'ensemble des formations qui se situent à gauche de l'offre électorale en dépit d'un doute sur sa reconnaissance d'une idéologie propre à la gauche (c'est ainsi qu'un tenant du programme de libéralisme économique, de tolérance des moeurs, et d'autorité de l'Etat, mâtiné de méritocratie bourgeoise et d'imagerie dynamique comme Emmanuel Macron peut être considéré comme "de gauche" alors qu'il s'aligne sur ce qui forme le coeur idéologique de la droite conservatrice européenne depuis au moins le retour au pouvoir des Tories en Grande-Bretagne en 2010, et même un peu avant). Ou, en plus simple : nous risquons la "pasokisation".

Ce qui est une très bonne chose, puisque le constat est posé depuis un moment que, si la gauche a vocation à se reformer, ce ne peut être que sur le dos d'une faillite de l'appareil lié au Parti Socialiste, qui débarassera entièrement tout le monde de l'impression erronée selon laquelle il vaut mieux un PS modérément de droite qu'une droite littérale au pouvoir. Cette impression est erronée en vertu des termes mêmes selon lesquels elle se fait, et de ses conséquences à terme. D'abord il n'est plus possible de justifier, par exemple, qu'un libéralisme de gauche serait préférable à un libéralisme de droite, car il serait plus mou : dans un cas comme dans l'autre il s'agit de gouverner en fonction d'idées qui sont contraires aux intérêts des dominés, et donc, contraire à ce qu'est une politique de gauche. Mais le crime est peut être encore plus grave quand on raisonne aux conséquences à terme de cette politique, que nous vivons actuellement et qui font qu'un social-démocrate modéré comme Jean-Luc Mélenchon arrive à être classé comme étant d'extrême-gauche. Cette attitude du Parti Socialiste qui a consisté, face à son incapacité à faire face à la rigidité et au conservatisme de l'Etat dans les années 1980, puis à sa propre incapacité à concevoir des modèles qui ne soient pas conservateurs par la suite (bref cette incapacité à essayer sérieusement de "changer la vie"), a contribué à céder progressivement du terrain au point que l'ensemble du champ politique dit "sérieux" ou "de gouvernement" soit actuellement de droite ou du centre (rappelons-nous toujours qu'il n'en a pas toujours été ainsi et qu'au moment de sa création le Front National était le seul parti de France à se classer à droite, et qu'en 1978 la grosse majorité des cadres du RPR considéraient leur mouvement comme un mouvement centriste, quasiment aucun comme un mouvement de droite).

L'échec de l'appareil ayant causé cela signifie pour la gauche programmatique - qui, de fait, a largement déserté la compétition électorale - l'ouverture d'une période de possible reformulation de l'idéologie, de propagande, et donc à terme un horizon de victoire idéologique sur ce qui constitue actuellement l'ordre dominant. Cette possibilité se heurterait cependant à ce qui constitue une partie de la stratégie actuelle de la partie la plus intégrée au champ de l'Etat de la gauche critique, à savoir de reprendre sous des termes légèrement distincts la course au pouvoir de la "gauche de gouvernement", et de se constituer soi-même en "gauche de gouvernement", encore une fois au détriment des idées. C'est le piège dans lequel tombent les partisans de Jean-Luc Mélenchon actuellement. En refusant de voir les reculades notoires du candidat (sur l'immigration, sur le service militaire, sur l'autorité de l'Etat, etc.) et en faisant le pari du "populisme anti-élitiste" (qui les conduit à voir dans une victoire de la droite anti-européenne en Grande-Bretagne une victoire de la gauche, par exemple), ils se retrouvent à faire la même erreur que celle qu'a commise le Parti Socialiste depuis les années 1980 : voir des thèmes sur lesquels la droite l'emporte, et se les approprier au motif que l'on ne peut pas les lui abandonner. Nous avons fait l'expérience de cette stratégie. Elle ne marche pas.

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Aussi désagréable que cela soit à admettre, il ne pourra pas y avoir de victoire de la gauche sans victoire de l'idéologie de gauche, jamais. Il n'y aura face à la droite dominante et à la pensée unique qu'elle instille que des victoires à la Pyrrhus et des reculades pas à pas. Ces stratégies sont acceptables quand la vie de ceux et celles qui s'y prêtent est en jeu : survivre maintenant pour se battre un autre jour est envisageable. Quand il s'agit d'enjeux similaires à la présidentielle de 2017, il faudrait savoir reconnaître une situation perdue d'avance, et au lieu de concéder face à l'idéologie dominante, lui présenter au contraire un vis-à-vis impassible, une idéologie certes vue a court-terme comme extrémiste, mais gagnante à long terme. Récemment les adeptes de la gauche mélenchonienne en sont arrivés à faire le contraire total, adressant aux membres de la gauche radicale en désaccord avec eux sur la politique internationale, mais également la pratique interne du pouvoir complètement centralisée et monomaniaque selon laquelle il faut un mouvement horizontal certes, mais entièrement soumis à l'arbitraire cheffier, sur la question de l'immigration (un soutien sans envergure du mouvement que je connais se félicitait récemment de ce que Mélenchon avait enfin compris que le discours du FN sur l'immigration, qui l'assimile à une stratégie du libéralisme contre les Français, était acceptable à gauche désormais), sur la question de la police, bref sur des enjeux vitaux et centraux, la même fin de non-recevoir que celle que leur adressait le Parti Socialiste depuis des années, "C'est nous ou le chaos". Ou se sont mis à interagir avec cette gauche avec le même ton péremptoire ou condescendant qui caractérisait jusque là la "gauche de gouvernement" : il ne s'agit que d'un problème de pédagogie, il suffit de lire le programme, toute critique est forcément fondée sur une prise hors contexte de propos manipulés (pourtant répétés à de nombreuses reprises), et toute la frange critique de la gauche radicale ne soutenant pas le candidat qu'on lui a attitré est forcément simplement composée de personnes mal informées qui se décilleront quand on leur aura dit "Lisez le programme" (ou "Vous n'avez pas compris le programme" s'ils ont déjà lu le programme).

Seulement cette stratégie fait partie du chaos. Il est compréhensible, en situation de grande peur, qu'elle soit tenue : il faut faire face aux faits, la situation est terrible, le choix entre un conservatisme Tory "nouvelle mode", un conservatisme traditionnel, ou l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite se dégageant comme seule alternative crédible. Un certain sens des responsabilités peut donner l'impression qu'il faut tenir la ligne, quels que soient les problèmes, qu'il ne faut pas rompre les rangs. Seulement cette stratégie a déjà échoué par le passé, et ne marchera plus ni en pratique (cette politique a échoué) ni en tant que propagande (on ne ralliera pas la gauche critique avec cet argumentaire, il va falloir la prendre au sérieux). Il faut, au lieu d'escompter ne pas faire un trop mauvais score à l'élection de 2017, entièrement lâcher cette perspective électoraliste stérile à terme. Il faut se radicaliser, il faut utiliser la plateforme de la présidentielle comme ce qu'elle est : un match truqué et perdu d'avance, qui ne servira qu'à publiciser autant que possible la bonne idéologie. Ce n'est qu'en rendant claire la bataille, pas en sombrant dans l'ambiguïté, que l'on aura une chance de la gagner pas aujourd'hui (cette bataille est perdue) mais demain. S'il faut choisir, préférer la défaite aujourd'hui et la victoire demain à la petite défaite aujourd'hui et la défaite demain.

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