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Billet de blog 6 juillet 2024

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Enfants d’immigrés, nous irons voter la peur au ventre

C’est veille de scrutin. Mon conjoint et moi sommes tendus. Demain nous irons voter, la peur au ventre. Tous deux enfants d'immigrés, notre fille est « quadri-nationale ». Dans nos esprits défilent tant de questions, dont celle-ci : à quel moment l'origine se dilue ? Sur les réseaux, nous constatons que les bêtes sont lâchées. Même si personne n’obtient de majorité, nous le savons : le mal est fait.

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Monsieur le Président, cela fait longtemps que je pense à vous écrire, j'ai eu du mal à me décider, ne sachant par où commencer. J'ai tant de choses à vous dire. Nous sommes le 6 juillet 2024. Mon conjoint et moi sommes tendus. Il fait gris dehors et dans nos têtes : demain nous allons aller voter, la peur au ventre. 

Tous deux enfants d'immigrés, notre fille est théoriquement quadri-nationale. Dans nos esprits défilent tant de questions, dont celle-ci : à quel moment l'origine s'efface, se dilue ? Digne d'un bac de philo n'est-ce pas ? 

Je dois vous avouer que j'ai toujours eu un rapport difficile à votre personne. J'ai toujours voté à gauche, et au premier tour je n'ai jamais voté "Macron", même quand vous faisiez semblant d'être de gauche. J'ai encore cette image de vous marchant aux côtés de François Hollande, pour nous annoncer le tournant social-libéral du gouvernement. Le temps était tout aussi gris qu'aujourd'hui, ça ne sentait déjà pas très bon à l'époque. Je m'étonne souvent de la vitesse avec laquelle vous en êtes passé de social-libéral, à soutien numéro un du RN. Il y a quand même un monde. Mais vous l'avez fait, c'est une performance qui mérite d'être soulignée. A mon sens, votre manque de loyauté à un parti, à des idées, prouve en lui-même à quel point nous avons eu tort de vous faire confiance, même si vos derniers exploits exacerbent (c'est le moins que l'on puisse dire) ce sentiment. 

J'ai récemment vu une citation de votre papa nous expliquant que cette dissolution était prévue depuis longtemps. Je n'ai pas vérifié si c'était une fake news ou pas, mais peu importe. Pour vous dire, ce qui m'a choqué le plus dans tout cela c'est que vous ayez un papa. Marié à une femme qui pourrait être votre mère, sans enfant, il est parfois compliqué de vous percevoir comme un français lambda. Il est compliqué de penser que vous pourriez être connecté à notre quotidien, à nos vies. Et il est donc difficile de croire que vous pourriez prendre de sages décisions pour nous, pour l'avenir de notre pays. Savez-vous vraiment de quoi vous parlez ? Votre comportement récent m'a conforté dans cette première impression, et sachez que j'en suis vraiment désolée. Surtout pour nous, français lambdas. 

Sur les réseaux on voit que les bêtes sont lâchées. Des gens reçoivent des lettres de menace parce qu'ils sont noirs. A Chartres idem, un homme se fait défroquer dans un bus par les contrôleurs car il n'a pas de ticket, et surtout parce qu'il est noir. Un SDF algérien de 32 ans se fait tirer dessus par un policier en civil et meurt. Je n'ai consulté instagram que quelques secondes. Je ne veux pas en savoir davantage. Si cela part en vrille ailleurs, cela peut arriver chez moi aussi. Je sais que certains de mes voisins n'aiment pas les étrangers. Quand je leur dis bonjour ils ne me répondent jamais, alors que mes origines ne sont pas exagérément marquées dans mes traits. J'ai peur. 

Ce que vous avez fait monsieur le Président, c'est rendre le racisme tangible pour tous. Nul besoin de vous insurger, vos actes parlent pour eux-mêmes, votre mollesse sur l'encouragement à un front républicain alors que l'heure est grave dit tout. Vous vous êtes toujours autoproclamé "rempart à l'extrême-droite", mais nous savons vous et moi que cela a toujours été utilitaire à vos propres intérêts. Que vous avez été leur porte-voix pour mieux servir votre propre réélection, et qu'aujourd'hui nous en arrivons aux limites de cette stratégie. 

En tant que fille d'immigrée je le sais bien, le racisme est endémique en France. Caché sous le tapis de la bienséance, ce tapis qui nous permettait de vivre ensemble, il n'apparaissait chez moi que dans les rares faits divers médiatisés. Je n'en souffrais pas plus que cela. Je sais que j'ai particulièrement de la chance et que tous les enfants d'immigrés ne l'ont pas. 

Mes parents ont devancé Eric Zemmour et m'ont donné un prénom tellement français qu'il ne me sied pas vraiment. Ils savaient déjà qu'un prénom, un accent, une origine, pouvaient faire souffrir et provoquer du rejet. Ma mère, lorsqu'elle est arrivée son diplôme de médecine en poche, a eu cette réflexion d'une travailleuse sociale "madame, tout ce que vous pouvez faire ici c'est femme de ménage". Elle a eu de la chance, elle a traversé la rue et a trouvé un emploi de médecin. Evidemment, je me moque de vous. Elle a passé les équivalences nécessaires, tout en apprenant le français, en travaillant et en nous élevant moi et ma soeur, depuis notre immeuble HLM plein de gens comme nous. Quel mérite, une sorte d'exception peut-être ? Non. Ma mère avait un capital social et culturel déjà important. Elle avait des billes pour s'en sortir, aussi dur que cela ait été. 

C'est un sacré raccourci me direz-vous, mais aujourd'hui, les français, même quand ils ne sont pas issus de l'immigration, ont de moins en moins de billes. Les difficultés économiques nous plombent, même lorsque l'on travaille. Le climat est à l'anxiété écologique. Le pays est franchement morose, déprimé. Les fractures s'élargissent et aucun plâtre n'est posé. Nous avons tous peur d'être déclassés. C'est chacun pour soi, chacun dans sa bulle, et l'altérité en est devenue inconcevable, invivable pour les plus fragiles d’entre nous. 

Voter RN pour moi c'est cela :" je désire un pays qui me ressemble, exclusivement. Le "ressemblement national". Les différences, ça m'angoisse !" Si ce que nous vivons devait avoir un âge, je pencherai pour celui de l'adolescence, avec la prise en bouc émissaire de ceux qui diffèrent, des plus faibles. Leur maltraitance systémique, parce que l'on pense que cela nous soulagera. L'immigration est un défouloir national. 

Si cette crise n'affectait pas notre démocratie, je vous dirais ok, laissons passer. Ca ira mieux bientôt. Mais nous assistons à une sorte de suicide collectif, les français et françaises votent contre eux-même, contre leurs voisins, contre leurs intérêts. 

Aujourd'hui 6 juillet, il n'y a plus grand chose à faire. J'irai voter, et ensuite j'aviserai. Je ne crois pas à une majorité absolue RN à l’assemblée. Et si j’ai raison, de votre geste inconsidéré, vous ne retirerez qu'une situation intenable. Et avec de la chance, vous démissionnerez pour ne plus jamais revenir. 

Mais malheureusement, comme dit plus haut, les bêtes sont lâchées. Il va falloir désormais faire avec toute cette haine au quotidien, et pour cela nous ne vous remercions pas. Il n'y a pas de métier avec plus de responsabilité que celui de Président de la République. Et ce soir, à la veille d'un scrutin qui morcelle la France, quel autre constat est possible de faire, que celui de votre échec. 

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