Londres a l’habitude des grandes manifestations : contre la guerre en Irak, pour le climat, pour les droits sociaux. Mais celle du samedi 13 septembre était très grande. Plus de cent mille personnes ont défilé derrière Tommy Robinson, figure de l’extrême droite britannique, dans une marche explicitement anti-immigration. Slogans nationalistes, pancartes sur « l’invasion », affrontements avec la police : vingt-six policiers blessés, une trentaine d’arrestations. La capitale britannique a vu surgir un événement de masse, pas une provocation marginale.
Parmi les orateurs : un Français, Éric Zemmour. Sa présence ne tenait pas du hasard. Elle transformait une mobilisation britannique en signal européen. À Londres, Zemmour a répété ses thèmes favoris : le « grand remplacement », le déclin de la civilisation occidentale, la trahison des élites. Et il a été applaudi. Ce qu’il proclame à Paris, il peut désormais le clamer à Westminster.
Henri Guaino l’a dit : une telle manifestation est « imaginable » en France comme partout en Europe. Il a raison. Les peurs qui ont rempli les rues de Londres — peur de l’immigration, ressentiment envers les élites, crainte d’un effacement culturel — traversent toutes nos sociétés. Mais ce qui est imaginable chez nous serait infiniment plus problématique.
Car la France porte une histoire particulière. La République universaliste ne reconnaît pas les différences, elle les efface. Là où le Royaume-Uni, malgré ses tensions, se réfugie encore derrière l’idée de multiculturalisme, la France aiguise les lignes de fracture : laïcité, assimilation, visibilité religieuse.
L’histoire récente l’a montré. En 2005, puis en 2023, des émeutes urbaines ont embrasé les banlieues en France, révélant la profondeur des inégalités et des discriminations. Dans un tel contexte, une marche anti-immigration de cent mille personnes à Paris, Lyon ou à Marseille ne serait pas seulement un spectacle politique. Ce serait une étincelle dans un baril de poudre. Les contre-manifestations seraient massives, les affrontements directs, le risque d’émeutes démultiplié.
À cela s’ajoute le poids électoral. Au Royaume-Uni, Tommy Robinson reste isolé. Aucun parti majeur ne porte sa bannière. En France, Marine Le Pen est aux portes du pouvoir. Entre la rue et les urnes, le passage est direct. Une démonstration de force de cette ampleur nourrirait immédiatement une dynamique électorale déjà installée.
C’est l’Europe entière qui est concernée. L’Italie de Giorgia Meloni, l’Allemagne de l’AfD, la Hongrie de Viktor Orbán : partout les mêmes discours prospèrent. Le rassemblement londonien n’est pas une exception britannique. C’est un miroir tendu à tous les Européens.
Que faire face à cela ? Ni interdiction pure et simple, qui alimente le sentiment de persécution, ni complaisance, qui banalise la haine. Il faut affronter les angoisses sociales — logement, insécurité, chômage, services publics — sans les transformer en peur de l’Autre. Cela suppose du courage politique : celui de tenir un discours de vérité, d’affirmer la nécessité de l’intégration et de la solidarité, de combattre la logique du bouc émissaire.
De Londres à Paris, l’avertissement est clair. Ce qui se passe de l’autre côté de la Manche peut se produire ici. Mais chez nous, l’incendie serait plus violent, plus destructeur. L’Europe a le choix : céder à la peur, ou inventer une politique de responsabilité. Londres nous a montré l’avenir. Il nous appartient d’éviter qu’il ne devienne notre présent.