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Billet de blog 15 juin 2024

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LFI, RN : le processus d'inversion de la respectabilité opéré par Emmanuel Macron

Depuis 2017, nous assistons à un double processus : d'un côté la banalisation de l'extrême-droite et de l'autre la diabolisation de la gauche radicale. Ce processus d'inversion de la respectabilité atteint aujourd'hui son paroxysme. Si cette stratégie politicienne a pu servir Emmanuel Macron, elle conduit aujourd'hui notre pays au bord de l'abîme et est totalement fallacieuse.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le nouveau chef du parti LR, François Xavier Bellamy, a annoncé qu’il voterait « bien sûr » pour un candidat RN dans l’éventualité d’un duel au second tour avec un candidat du Nouveau Front Populaire. C’était bien la peine d’exclure Eric Ciotti pour sa volonté d’alliance avec le RN. La présidente Renaissance de l’Assemblée Nationale Yaël Braun Pivet a quant à elle renvoyé dos à dos « les extrêmes » en spécifiant qu’elle voterait tout de même pour un candidat communiste, socialiste ou écologiste en cas de duel avec le RN, ce qui exclue donc implicitement LFI. Ce genre de posture issue de la droite dite républicaine, privilégiant l’extrême-droite à la gauche, est inédit dans l’histoire de la Ve République. Elle n’est malheureusement pas inédite dans l’histoire de France puisqu’elle a conduit au régime de Vichy. Au moment du choix, les représentants du capital optent une fois de plus pour l’extrême-droite plutôt que le Front Populaire. Cette posture indigne et dangereuse a été rendue audible par le travail acharné d’E. Macron et de certains médias mainstream pour banaliser l’extrême-droite, plus précisément le RN, et criminaliser la gauche, plus spécifiquement LFI. Un processus d'inversion de la respectabilité dans lequel il est important de rappeler le rôle du gouvernement puis de montrer à quel point il est fallacieux et dangereux avant d'aborder les raisons qui poussent le gouvernement à ce renversement des représentations.

L’inversion de la respectabilité en discours et en actes : banalisation de l’extrême-droite et criminalisation de la gauche

Dès 2017, E. Macron a travaillé à faire de M. Le Pen la figure de l’opposant reconnu. En 2024, il décide de faire de J. Bardella la seule alternative audible en organisant un débat en duel avec son premier ministre juste avant les élections européennes. Présenté comme un combat, ce duel est en fait une caution accordée au RN. Parti avec lequel J. Chirac refusait le débat, parti dont E. Macron décide de faire le seul opposant digne de dialogue. On constate par ce parallèle tout le chemin qui a été parcouru en 20 ans, de la diabolisation du RN à sa légitimation comme interlocuteur privilégié.

A l’inverse, l’opposition de gauche est traînée dans la boue depuis 7 ans. En 2020, G. Darmanin, ministre de l’Intérieur, reprenait à son compte l’accusation d’islamo-gauchisme, « concept » politique inventé par la fachosphère. J.-M. Blanquer, ministre de l’Education et F. Vidal, ministre de l’enseignement supérieur organisaient même une chasse aux sorcières à l’Université pour identifier ces fameux islamogauchistes, supposés complaisants avec le terrorisme islamiste ou simplement tolérants avec l’islam, sans que cela soit très clairement distingué. Le sujet était si grave qu’une conférence avait été organisée à la Sorbonne contre le sujet plus global du « wokisme », pêché qui consiste à être éveillé aux inégalités et à vouloir les réduire. « Moi, ce qui m'effraie, encore plus que Zemmour, c'est les discours intersectionnels du moment » déclarait la ministre Sarah El Haïry en 2021. Traduisez : elle craint moins les discours racistes et sexistes, pour lesquels E. Zemmour a pourtant été condamné, que les discours qui les dénoncent, dans le respect pourtant des valeurs de notre République. « La femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » affirmait Françoise Giroud. Peut-être la ministre en déduit-elle de son cas personnel que la femme est dores et déjà l'égale de l'homme et qu'il n'y aurait plus de lutte à mener. Toujours est-il que J.-L. Melenchon et LFI se sont retrouvés au premier plan de cette haine contre l'intersectionnalisme et le wokisme car, non contents de dénoncer les inégalités économiques, ils dénoncent aussi les inégalités subies par les femmes, les racisés et les musulmans. Participant à la manifestation contre l’islamophobie, le parti et son leader ont carrément été taxés de complaisance avec l’islamisme violent, dans un amalgame fallacieux qui met en abîme l’islamophobie latente des médias et politiciens.

Avec le conflit israélo-palestinien, l’accusation d’islamo-gauchisme a dérivé vers l’accusation d’antisémitisme. Pas plus tard qu’hier, F.-X. Bellamy accusait LFI de se réjouir des attentats du Hamas, alors que rien de tel n’a jamais été prononcé par quelque responsable LFI que ce soit. Je vous épargnerai ici la liste des accusations d’antisémitisme tant elles sont répandues dans la presse et le monde politique depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre. Chacun en aura eu vent. Je citerai simplement le discours véhément de G. Attal devant le CRIF : «j’ai souvent eu honte ces derniers temps […] Honte en voyant le leader de La France Insoumise agiter les haines et commettre les sous-entendus les plus indignes.Oui, ils devraient avoir honte de ne jamais avoir un mot pour les victimes du 7 octobre. Honte de toujours éluder ce drame. Honte de souffler sur des braises dont le passé nous a montré où elles menaient. » C’est donc la gauche, celle qui lutte contre une politique génocidaire conformément à son héritage, qui est associée par G. Attal à la politique génocidaire à laquelle ont contribué la droite et l’extrême-droite il y a quelques décennies. G. Attal a raison d’avoir honte, mais il se trompe de raisons. Le fait que son parti ait déclaré « un soutien inconditionnel » à un Etat dirigé par un fasciste, le fait d’avoir autorisé la vente d’armes qui servent à un crime de masse, le fait de renvoyer dos à dos l’antisémitisme d’extrême-droite et l’anticolonialisme de la gauche. Il a déjà assez de raisons d’avoir honte de lui-même pour ne pas aller en chercher chez les autres.

« La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force. » Pour empêcher les citoyens de penser, G. Orwell avait identifié dans 1984 le rôle de la manipulation du langage qui permet de distordre la perception du réel en vidant les mots de leur sens. Ainsi, dans la France d'E. Macron :

Dénoncer le racisme, c'est être raciste.

Débattre au Parlement et y proposer des lois, c'est être antiparlementariste.

Être pour la tolérance religieuse, c'est être contre la laïcité.

Dénoncer un génocide, c'est ne pas avoir tiré les enseignements de la Shoah.

S'opposer à l'écocide, c'est être écoterroriste.

S'opposer au pouvoir personnel du Président, c'est être antidémocrate.

S'opposer à l'assassinat de sang-froid d'un gamin par un policier, c'est être anti-police.

Cette rhétorique gouvernementale est appuyée par les médias mainstream, débordés même par l’empire médiatique constitué par V. Bolloré pour infuser dans l’opinion publique les idées d’extrême-droite. Pascal Praud, Eric Zemmour, Elisabeth Lévy sur CNews. Cyril Hanouna sur C8. Pascal Praud encore sur Europe 1. La gauche est dangereuse, l’extrême-droite serait une bonne alternative à la Macronie. Voilà l’idée véhiculée. Dans cette veine, alors que le RN est aux portes du pouvoir au vu de son score de 40% aux européennes, C. Hanouna ne s’inquiète que pour une éventuelle victoire du Front Populaire, et menace de quitter la France si LFI était porté au pouvoir. A moins ce que ne soit une tactique pour inciter les gens à voter LFI afin de voir son émission indigente et propagandiste expulsée du PAF ?

Cette inversion de la respectabilité dans le discours se traduit aussi en actes. Eric Ciotti et Stephane le Rudelier, députés Les Républicains, veulent dissoudre LFI pour leurs opinions qu'ils jugent inacceptables, sans aucun appui juridique. Le RN et Reconquête ont été invités à bras ouverts dans une manifestation contre l’antisémitisme là où la manifestation contre tous les racismes proposée par LFI a été interdite. La patronne de Radio France, nommée par E. Macron, a décidé de virer l’humoriste G. Meurice pour avoir fait une blague à l’encontre de B. Netanyahu. Il serait donc indigne de critiquer un criminel de masse sous mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale tandis que TF1 peut l’inviter au 20h sans que le gouvernement ne trouve quelque chose à y redire. Inversion des valeurs. Là où LFI voit le chef d’Etat génocidaire, le reste de l’échiquier politique voit le juif. Le critiquer serait donc de l’antisémitisme.

La lutte contre les discriminations, l’anticolonialisme et la dénonciation d’un génocide ne sont pas les seules positions caricaturées et criminalisées. Les associations écologistes sont agressées par la police lors de manifestations et subissent, en plus de la répression policière, la répression judiciaire. G. Darmanin, qui qualifie les militants écologistes d’écoterroristes, a même pris l’initiative de dissoudre Les Soulèvements de la Terre là où les organisations néo-fascistes du Comité du 9 mai peuvent manifester tranquillement.

Aux précédentes élections législatives, Renaissance n’a pas constitué de front républicain face au Rassemblement National et n’a pas appelé à voter pour LFI en cas de face à face au second tour. Personne dans les médias n’en parle. Etonnant quand on pense à l’acharnement contre J.-L. Melenchon qui avait décidé de ne pas appeler son électorat à reporter ses votes sur E. Macron au second tour des Présidentielles. Celui-ci, en 2017 comme en 2022, avait été accusé de renvoyer dos à dos le RN et République en Marche. Des médias n’hésitant pas d’ailleurs à distordre le réel, puisqu’en 2017, J.-L. Melenchon avait proposé à ses militants le choix de la position de LFI dans un sondage où la seule alternative était l’abstention ou le vote Macron. Le vote RN n’avait pas été envisagé.

Le fait de renvoyer dos à dos LFI et le RN, voire de normaliser ces derniers, attitude adoptée par la droite macroniste et LR lors de ces législatives, est donc le fruit d’un travail rhétorique de plus long terme et s’inscrit dans la continuité d’actes gouvernementaux depuis l’arrivée au pouvoir d’E. Macron. Les esprits ont été bien préparés, acclimatés à l’idée par un grand renfort médiatique. A tel point que la question posée à F. Roussel, tout de même leader du parti communiste, de savoir si ça ne le dérangeait pas de s’allier à l’extrême-gauche, n’a fait sourciller personne sur le plateau de France 2 hier soir. La radicalité de LFI a été tellement exagérée, ses positions nuancées sur la politique internationale tellement caricaturées par une vision atlantiste manichéenne, son opposition parlementaire à la politique gouvernementale tellement taxée de violente, que l’on accepte aujourd’hui que la droite lui préfère l’extrême-droite.

Et pourtant… Un danger incomparable

«Je ne souhaite pas que dans 3 semaines on puisse casser du PD avec l’extrême-droite, ou casser des abribus avec l’extrême-gauche», déclarait la ministre Sarah El Haïry, accusant le NPA de ne pas mettre sur le même plan ces deux violences. Sans vouloir « jeter l'eau propre1 » à Sarah El Haïry, il me semble normal de ne pas mettre au même niveau des êtres humains et des biens matériels. Le droit donne d'ailleurs raison au NPA puisque l'on ne peut qualifier de violence que le fait de nuire à l'intégrité physique ou psychologique d'un individu et pas le fait de faire mal à des abribus donc. Notre gouvernement et nos médias semblent l'ignorer puisqu'ils qualifient de violences des restaurants de luxe dégradés, des graffitis, des véhicules vides brûlés. Voilà comment on en arrive à renvoyer dos à dos extrême-gauche et extrême-droite.

« Depuis le printemps, nous assistons ainsi à une résurgence très préoccupante des actions violentes ou des intimidations de la part de l’ultradroite, dont une partie s’inscrit en rupture assumée avec le cadre démocratique. Les élus, et singulièrement les maires, y sont particulièrement exposés, de manière intolérable. Les menaces abjectes à leur égard, à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), à Callac (Côtes-d’Armor) ou au travers de courriers anonymes d’une rare violence, en sont l’illustration. Les menaces formulées à l’égard des membres de la « communauté LGBT » ou des « étrangers » sont tout aussi insupportables. » déclarait dans un entretien au Monde le directeur général de la Sécurité intérieure2. Surtout, on y apprenait que dix actions terroristes d’inspiration néonazie ou raciste ont été déjouées depuis 2017, avec des cibles aussi variées que des citoyens de confession musulmane ou juive, des élus ou des francs-maçons. On décompte également 26 actions violentes dans des universités et contre des étudiants entre février 2022 et mars 20233. A Saint Brevin, suite à l'incendie du domicile du maire par des militants d'extrême-droite anti CADA (centre d'accueil pour réfugiés), la première ministre Elisabeth Borne dénonce « les extrêmes » sans jamais prononcer le terme d'extrême-droite. Cet élément de langage a été repris par toute la macronie. Pourquoi épargner ainsi ce courant politique dangereux et pourquoi vouloir une fois de plus le rapprocher de l'extrême-gauche dans les représentations des Français ?

En ce siècle, aucun groupuscule d'ultra-gauche n'a commis d'acte terroriste ni de tentative d'homicide en France. Ces groupuscules, d'après la DGSI toujours, sont simplement responsables de troubles à l'ordre public par des manifestations non autorisées ou par des dégradations de biens symboliques du capitalisme. Quel rapport avec l'incendie du domicile familial d'un maire pendant son sommeil, où il a failli périr avec sa femme?

En outre, clou de la supercherie, LFI n'est pas d'extrême-gauche et n'a aucun rapport de près ou de loin avec les mouvements d'ultra-gauche. Les politistes classent le mouvement simplement à « gauche »4. Le RN, classé d'extrême-droite, a porté plainte contre cette classification du ministère de l'Intérieur auprès du Conseil d'Etat qui a confirmé que ce dernier est bien extrême tandis que LFI ne l'est pas. D'abord, parce qu'il est réformiste et joue le jeu des institutions et des élections, refusant l'usage de la violence pour conquérir le pouvoir. Ensuite, parce qu'il ne vise pas un renversement total du capitalisme mais remet surtout en cause sa dérive néolibérale. Aussi, si LFI est associé dans les esprits de la droite et de l'extrême-droite à chaque « violence » commise contre un drapeau français ou contre une pièce du mobilier urbain, le parti n'a aucun rapport avec ces groupuscules d'ultra-gauche et ces groupuscules n'ont aucun rapport avec ce parti.

A l'inverse, on retrouve des membres du RN dans les groupuscules d'ultra-droite et il existe des passerelles entre le parti « normalisé » et les courants identitaires violents, des origines du mouvement à aujourd'hui. Rappelons que l'on trouve parmi les fondateurs du FN un ancien Waffen SS (soit le pire de la collaboration française avec l'occupant nazi), un ancien de l'OAS (le groupe factieux violent qui a commis durant les deux dernières années de la guerre autant d'attentats que le FLN algérien en huit ans) et un ancien tortionnaire de la guerre d'Algérie (Jean-Marie Le Pen). Le RN a choisi le déni plutôt que l'auto-critique de ce passé. Ce qui lui permet de compter dans ces rangs des admirateurs du nazisme, à l'image de Philippe Vardon, qui multipliait les allusions antisémites nazies avec son groupe de rock identitaires Faction et s'est retrouvé de 2015 à 2022 tête d'affiche du FN dans la région PACA. On trouve aussi de nombreux parcours qui oscillent entre les groupuscules identitaires violents et le RN. Selon l'élue LFI Alma Dufour, «Le Rassemblement national est le seul parti qui est lié directement à trois attentats en France. C’est ça le Rassemblement national». «Qui a fourni les armes pour l’attentat de l’Hyper Cacher ? C’est un membre du Rassemblement national. Qui a négocié pour que Lafarge négocie avec Daesh ? C’est un membre du Rassemblement national. Qui a attaqué une mosquée à Bayonne ? C’était un membre du Rassemblement national», a-t-elle accusé. Même en nuançant ces propos comme le fait le média Cnews5 dont on connaît la complaisance, il reste que des membres ou ex membres du RN ont des liens avec les événements cités.

Quelles conséquences va avoir une victoire du RN dans le déchaînement des violences racistes, sexistes et homophobes ? La réaction de militants lepénistes à la victoire de Bardella doit nous alerter puisqu'ils ont fêté la victoire par une violente agression homophobe. En garde à vue, les quatre jeunes hommes concerné ont affirmé des « revendications paramilitaires et d’affiliation au GUD (Groupe union défense, un syndicat d’étudiants d’extrême droite, NDLR) et au Rassemblement national », selon le parquet. Selon le journal Libération, l’un d’eux avait déclaré devant les enquêteurs : « vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu’on veut », faisant référence à une possible victoire de l’extrême droite aux législatives anticipées à venir. Comment vont se comporter les sympathisants radicaux du RN si la victoire aux législatives leur offre ce sentiment d'impunité, dans un pays qui concentre la moitié des tentatives d'attentat d'extrême-droite en Europe ? Qu'imaginer en terme de déchaînement de violences policières dans un pays où plus de la moitié des policiers vote RN ?

Certes, M. Le Pen a une stratégie de normalisation et son discours est plus policé que celui de son père qui parlait des chambres à gaz comme d'un « détail de l'histoire ». Mais elle n'a pas fait l'auto-critique de l'histoire de son parti et le parti attire toujours des membres de l'ultra-droite fascinés par le nazisme et par les armes, ce qui demeure inquiétant. Comme on peut le voir dans l'excellent documentaire « La cravate » de Serge Moati, le fait d'adopter un comportement bourgeois ne fait pas de vous un démocrate. Le skinhead peut se cacher derrière la cravate. L'historien Johan Chapoutot nous alerte : Mussolini et Hitler avaient aussi multiplié les gages de bonne conduite avant leur arrivée au pouvoir, acquérant auprès du monde des affaires des gages de respectabilité en allant rassurer le bourgeois sur leurs bonnes intentions. On connaît la suite.

Regardons même ce qui se passe actuellement dans les régimes où l'extrême-droite est au pouvoir : restriction des libertés et notamment des droits des femmes et des minorités, perte de subventions dans la vie culturelle et associative, tentatives de rester au pouvoir par tous les moyens et enfin, parfois, la guerre. Regardons ce qui se passe en revanche chez nos voisins espagnols qui ont choisi une coalition de gauche autour de Pedro Sanchez : gratuité des transports, revalorisation des pensions de retraite, réforme du marché du travail pour sécuriser les emplois, augmentation du salaire minimum. Quel projet vous semble le plus dangereux ?

A rebours de l'adage selon lequel « les extrêmes se rejoignent », il existe donc une différence de nature fondamentale entre l'extrême-droite et l'extrême-gauche actuelle tant par leurs idées que par la façon de défendre leurs idées, les premiers ayant recours à la violence contre des personnes, ce qui constitue juridiquement le seul type de violence reconnue. De surcroît, LFI n'appartient pas à l'extrême-gauche et n'est pas lié aux troubles à l'ordre public causés par l'extrême-gauche. Là où le RN est bien d'extrême-droite et où la frontière avec les groupuscules menant des actions violentes sont plus poreuses.

Au crépuscule du capitalisme : dérive autoritaire ou socialisme ?

« Les extrêmes » ne se rejoignent que dans la volonté de transformer radicalement la société. Mais il faut distinguer un projet basé sur la haine de l'autre et la xénophobie d'un projet basé sur la solidarité et l'égalité. Comme il apparaît de plus en plus que notre société dysfonctionne, le peuple se tourne de plus en plus vers ces partis radicaux ou extrêmes.

Or en dernier recours, comme dans les années 30, la bourgeoisie choisit « plutôt Hitler que le Front Populaire », plutôt la lutte des races que la lutte des classes, plutôt plus d'inégalités que plus d'égalité. Non que le racisme leur parle plus que le mépris de classe, mais cela permet de sauver leur monde capitaliste : ne pas augmenter les salaires, ne pas augmenter le SMIC, ne pas geler les loyers, ne pas taxer les superprofits des actionnaires, ne pas rétablir l'ISF, ne pas plafonner les prix des produits de première nécessité, ne pas fixer un seuil de prix minimum pour limiter la pression de la grande distribution sur les produits agricoles. Voilà autant de rejets votés à la fois par la droite et l'extrême-droite, là où quasiment la moitié des lois proposées par la majorité présidentielle sont votées par le RN. Ajoutons à la liste le refus de revenir sur la réforme des retraites d'E. Macron que J. Bardella a annoncé hier comme énième gage de bonne conduite aux fonds de pension. Là où les classes populaires et moyennes regardent en bas les « mauvais pauvres » qui aspireraient leurs cotisations (à tort puisque l'immigration génère plus de recettes que de dépenses à la Sécurité Sociale), ils ne tournent pas leur colère vers les actionnaires qui s'accaparent les bénéfices générés par leur travail.

Il est minuit moins le quart, affirme la secrétaire nationale de la CGT Sophie Binet, faisant référence à la proximité du danger de l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite en France. En fait, il est déjà minuit et quart. E. Macron a déjà cédé aux idées d'extrême-droite par les discours comme par les actes. Loi Asile Immigration qui introduit la préférence nationale, principe porté par le Front National depuis Jean-Marie le Pen. Loi surmédiatisée pour interdire l'abaya à l'école au nom de la laïcité alors que ce n'est pas reconnu comme un vêtement religieux. Loi anti casseurs qui permet à la police de fouiller les manifestants et qui devait permettre d'interdire à des militants de manifester. Un an de prison avec sursis pour un syndicaliste de la CGT qui a critiqué Israël. Arrestation et garde à vue pour des militants CGT ayant manifesté à Ste Solline. Loi sécurité globale qui interdit aux témoins de diffuser des vidéos de violences policières. Interdictions de manifestations propalestiniennes et de drapeaux palestiniens. Lecture uniquement sécuritaire de la question des banlieues défavorisées et emploi du concept d' « ensauvagement » issu de la fachosphère. La restriction des libertés individuelles et collectives est en marche avec Macron.

Au fur et à mesure des concessions de la droite aux idées xénophobes et du recours à des pratiques autoritaires pour imposer sa politique néolibérale impopulaire, la frontière avec l'extrême-droite devient de moins en moins hermétique et ce qui relevait d'une différence de nature n'est plus qu'une différence de degré. Accaparement des richesses par une minorité de grands actionnaires, Etat policier, autoritarisme présidentiel, mépris des considérations écologiques: voilà quatre caractéristiques que partagent les deux courants. Nul doute que le RN pousserait le curseur un peu plus loin, mais E. Macron a déjà bien entamé le processus de fascisation de l'Etat. Ce qui rendrait d'autant plus facile le basculement. Il est déjà minuit et quart et l'on risque de se réveiller le 7 juillet avec une sacrée gueule de bois.

Une seule alternative pour rompre avec la politique macroniste

Le simple fait qu'E. Macron choisisse de dissoudre l'Assemblée Nationale à un moment où la gauche était à terre et l'extrême-droite au sommet montre qu'il préfère la seconde à la première. Si Emmanuel Macron prend la décision de lui-même d'organiser une élection trois semaines seulement après une victoire du RN, croyez-vous vraiment qu'une victoire du RN le dérange ? Mieux vaut le péril des minorités sociales que la perte de pouvoir des classes dominantes, la stigmatisation des immigrés que la dénonciation de l'accaparement des richesses par les actionnaires.

Mais en s'alliant, les dirigeants des partis et syndicats de gauche ont déjà en partie déjoué le piège tendu par le Président. Et en se mobilisant, les citoyens de gauche peuvent retourner le piège à l'envoyeur, tant l'élan pour ce Front Populaire semble puissant. Si vous voulez vraiment déranger Macron, voter vraiment contre sa brutale politique antisociale pour un projet radicalement différent, il faut bien sûr voter Front Populaire.

1https://video.lefigaro.fr/figaro/video/ne-jetez-pas-leau-propre-sur-lensemble-des-professionnels-le-cafouillage-de-la-ministre-sarah-el-hairy/

2https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/decouvrir-la-dgsi/notre-histoire/archive-des-prises-de-parole-des-anciens-directeurs/djihadisme

3https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/ultradroite-la-menace-terroriste

4https://www.nouvelobs.com/politique/20240613.OBS89734/la-france-insoumise-est-il-un-parti-d-extreme-gauche.html

5https://www.cnews.fr/france/2024-06-14/la-deputee-sortante-lfi-alma-dufour-fait-polemique-en-accusant-le-rn-davoir-fourni

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