Des liens entre le grand capital et l'extrême-droite
« Avant de prendre cette initiative [faire entrer Hitler dans le cénacle présidentiel en organisant un rendez-vous secret le 4 janvier 1933 afin de mettre en place une coalition avec la droite], je me suis entretenu avec un grand nombre de responsables de notre économie et me suis enquis de la manière dont les forces économiques considéreraient la cohabitation de l'un et de l'autre. Les initiatives des responsables économiques tendaient toutes à faire advenir un chef fort en Allemagne, capable de former un gouvernement qui resterait longtemps au pouvoir. Lorsque le NSDAP a subi un premier revers le 6 novembre 1932 et a commencé à régresser, une aide des patrons allemands est devenue particulièrement urgente. Ils partageaient tous la peur du bolchevisme et l'espoir que les nazis, une fois au pouvoir, créeraient les conditions d'une action politique et économique durable en Allemagne » le banquier Schröder lors de sa déposition au procès de la société de produits chimiques IG Farben à Nuremberg en 1947
« J'ai plus peur de Melenchon que de Bardella... Il est extrêmement dangereux. » P. Gattaz, ex président du Medef, RMC, 8 septembre 2025
De l'accointance idéologique entre le libéralisme économique et l'autoritarisme politique
《Une fois que l'on a dit cela, il est fou de dire : en économie, tout le monde ne se vaut pas, mais en politique si! Il est absurde de fonder la vie économique sur le principe de la performance, de la valeur de l'individu, donc sur l'autorité de la personne, mais de nier l'autorité de l'individu en politique, et de lui substituer la loi du plus grand nombre ! On constate donc une divergence croissante entre les conceptions qui régissent l'économie et celles qui président à la politique; il faut donc tenter de réduire cette fracture en conformant les normes politiques aux normes de l'économie》Adolf Hitler devant le Club de l'Industrie de Dusseldorf, prestigieux cercle d'influence et de réflexion des industriels allemands venus en nombre, le 26 janvier 1932
L'extrême-droite, prolongement de la politique néolibérale d'E. Macron
Agnès Molinié, régulièrement invitée sur les plateaux TV en tant que membre agitée du think tank néolibéral IFRAP, se réjouit de voir que Bayrou a gelé l'Allocation Adulte Handicapé (AAH) et le RSA. C'est formidable selon elle puisqu'on « tape sur les inactifs ». Pour qui a une culture politique qui s'étend à plus d'une décennie, cela ne peut pas manquer de faire écho aux "inaptes" du monde nazi, les handicapés justement et tous ceux jugés incapables de travailler. Les improductifs, si décriés et mis au ban dans notre monde capitaliste, étaient les premiers envoyés à la mort dans les camps d'extermination nazis. Certes, le verbe « taper » est employé par Agnès Molinié au sens figuré à la différence de ce que faisaient physiquement les nazis, mais elle comporte une idée de punition : il faut infliger un châtiment aux handicapés et aux sans-emplois parce qu'ils ne sont pas productifs.
Le néolibéralisme a manifestement des accointances idéologiques avec le pire de l'extrême-droite. Sinon pourquoi le RN aurait-il refusé de se joindre aux 8 motions de censure visant François Bayrou ? Pourquoi Édouard Philippe aurait-il dîné avec Marine le Pen? Pourquoi Emmanuel Macron aurait-il tissé une relation suivie avec Jordan Bardella et Marine le Pen par l'entremise de Thierry Solère? Pourquoi aurait-il choisi S. Lecornu comme nouveau Premier ministre, lui qui apprécie les dîners avec les dirigeants du RN et qui affirme « le communautarisme gay m'exaspère ».
Si les milliardaires P.E Stérin et V. Bolloré oeuvrent à la médiatisation et au financement des idées et partis d'extrême-droite, c'est qu'il y voient un moyen de préserver leur domination et l'ordre social existant malgré le mécontentement populaire. Au lieu d'une alternance à gauche comme c'est le cas en des temps meilleurs après un mandat décevant de la droite, ils visent une alternance encore plus à droite. L'ex président du Medef P. Gattaz a affirmé la semaine dernière qu'il avait « plus peur de Melenchon que de Bardella ». « Plutôt Hitler que le Front Populaire » disait le patronat dans les années 30. Plutôt M. Le Pen que le NFP, a soufflé B. Arnault à E. Macron au soir des résultats des législatives de juin qui auraient dû le contraindre à nommer un gouvernement NFP.
J. Bardella le lui rend bien qui vole au secours du milliardaire lorsqu'il faut voter une taxe plancher sur le patrimoine « un dirigeant d'entreprise, quelqu'un qui prend des risques, qui entreprend, qui investit qui se lève très tôt, bien avant ses salariés et qui vient dire aujourd'hui dire que c'est un enfer à la fois fiscal et normatif d'investir en France, on ne peut pas être sourd à ce cri d'alarme ». Rappelons que, là où les classes moyennes paient 50% de leurs revenus en impôts, c'est 27% pour les milliardaires, soit deux fois moins. Cet écart est encore insuffisant pour le RN. Ce n'est que la face émergée d'une opération de séduction du grand patronat.
J. Bardella veut « supprimer les impôts de production, en finir avec des dizaines de normes qui contraignent la productivité et la compétitivité de nos entreprises ». Ce qui revient à dire qu'il veut, dans la droite ligne de Macron, continuer à offrir des cadeaux au patronat aux dépens des conditions de travail, de l'environnement et des finances publiques. De plus, pour J. Bardella, « un jeune qui entre sur le marché du travail à 25 ans partira naturellement à la retraite à 67 ans. Il veut également supprimer l'Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), résidu de l'impôt sur la fortune (ISF) déjà largement amputé par E. Macron : ce cadeau ne concerne, comme celui qu'avait fait Macron, que les 0.4% des Français les plus riches.
Le grand patronat et les ultra-riches préféraient jusqu'alors la droite néolibérale dite modérée mais ils sont prêts à teinter leur discours de racisme et de masculinisme lorsqu'il s'agit de maintenir l'indécence de leurs profits : ainsi des retournements de veste de M. Zuckerberg et des autres patrons de la Silicon Valley qui rejoignent E. Musk dans le soutien à Trump par des financements et la diffusion d'idées réactionnaires qu'on ne leur connaissait pas. M. Zuckerberg, avatar woke sous B. Obama, a renoncé à toutes ses politiques d'affirmative action (discrimination positive) dès l'élection de Trump et dénonce la féminisation des entreprises. Si jamais le progressisme affiché des puissants milieux économiques semblait pour certains un garde-fou, on sait désormais que le green-washing, le pink-washing et autres épigones du marketing progressiste peuvent vite se transformer en mascu-washing et facho-washing pour suivre les revirements politiques et préserver ses intérêts au gré des fluctuations du gouvernement. La fascisation de la société peut donc aller très vite et les forces d'inertie pour défendre la démocratie et les droits de l'homme sont beaucoup moins puissantes que ce qu'elles semblent être. R. Saadé, le patron du mastodonte français CMA-CGM, n'a pas hésité à se soumettre aux desiderata de D. Trump dès les premières semaines de son second mandat dans une cérémonie publique de vassalisation.
Nous revivons ce moment de l'histoire où le patronat, les milieux financiers et industriels se ralliaient au fascisme. En effet, le 19 novembre 1932, un groupe de grands industriels et banquiers signait une lettre au président Paul von Hindenburg pour lui demander de nommer Hitler chancelier. 19 grands noms soutinrent ce projet : le grand capital faisait le pari d'Hitler pour sauver l'ordre social et préserver ses intérêts. Il fallait pour eux constituer un gouvernement fort capable de stabiliser l'économie et d'endiguer le danger communiste. Ils voyaient en Hitler le personnage capable de mobiliser les masses et de les détourner des mouvements de gauche. Ils pensaient pouvoir instrumentaliser Hitler à leur profit, ce qui n'était pas tout à fait faux puisque Siemens, Krupp et IG Farben entre autres ont bien profité du régime nazi qui mettait à leur disposition une main d'oeuvre corvéable à merci dans les territoires conquis et les camps de concentration.
« L'histoire se répète toujours deux fois, disait Marx, la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce. » On a toujours tendance à sous-estimer le ridicule des personnages du passé, auréolés de la solennité des livres d'histoire, et à sous-estimer le tragique des situations actuelles, plus conscients du ridicule de nos contemporains et moins à même de nous indigner lorsque l'infusion progressive d'idées nauséabondes dans l'esprit ambiant conduit à banaliser et normaliser l'inacceptable. Dans les faits, en 1933 comme en 2025, nous vivons des tragédies burlesques. L'agitation de Trump nous paraît clownesque comme les vociférations du petit caporal Hitler paraissaient clownesques à ses contemporains mais la répression des immigrés et des trans aux Etats-Unis n'en est pas moins pour eux une tragédie comme les boycotts et camps de concentration l'étaient pour les juifs et homosexuels dans les années 30.
Quand le profit prime sur toutes les autres préoccupations, l'extrême-droite n'est perçue par les capitalistes irresponsables que comme un extrême néolibéralisme. L'extrême-droite réussit le tour de passe-passe d'agréger les mécontents du système et de ne pas en changer l'essentiel : l'accaparement des richesses par une poignée de privilégiés et la prédation dérégulée sur les ressources environnementales et humaines à cette fin. Le racisme, le sexisme et la répression des opposants sont des accessoires secondaires que les possédants sont prêts à revêtir sans que cela ne leur demande trop d'efforts. Le darwinisme social, forme exacerbée de la méritocratie qui légitime la misère des perdants de la lutte économique et leur mise à l'écart, épouse assez facilement le darwinisme racial, censé éliminer les parasites de l'économie que seraient les immigrés, perçus comme des éponges à aides sociales et des perturbateurs de l'ordre public. La sélection naturelle ne doit laisser survivre que les plus productifs. Devant des inégalités économiques croissantes, plutôt que de désirer un rétablissement de l'égalité, certains perdants du système s'imaginent une restructuration des inégalités où ils feraient partie des privilégiés, jouant l'inégalité raciale et sexuelle. Mais l'une ne chasse pas l'autre. Elles se complètent. Les classes dominantes s'accommodent volontiers de cette aspiration à une nouvelle ligne de clivage raciale si elle détourne de l'aspiration à l'égalité économique et sociale.
L'égalité revient pour les classes dominantes à renoncer à leurs privilèges. Le privilège d'être riche, d'être un homme, d'être blanc. Droite et extrême-droite sont pour le maintien de la hiérarchie sociale inégalitaire, ils ont la haine de l'égalité en partage.
Ils ont également la haine de ceux qui portent ce projet égalitaire dans l'espace politique : les socialistes et communistes dans les années 30, LFI dans la France contemporaine. On retrouve la même diabolisation et les mêmes efforts de marginalisation pour légitimer leur disqualification, leur mise à l'écart, leur interdiction et pourquoi pas leur répression. Cela peut aller très vite, on trouve déjà des élus LR et macronistes pour demander la dissolution du parti et aucun pour s'émouvoir des agressions qu'ils subissent en France ou encore de l'arrestation illégale par Israël de députés LFI dans les eaux internationales dans le cadre de la Freedom Flotilla. « Nos seuls adversaires, c'est la gauche mélenchonisée, c'est à eux qu'il faudra réserver nos coups, c'est eux qu'il faudra combattre» a ainsi déclaré le ministre de l'Intérieur B. Retailleau. A l'heure où l'extrême-droite planifie et commet des attentats là où l'on ne peut reprocher à LFI qu'un programme politique socio-démocrate et des votes au Parlement.
La haine des syndicats qui remettent en question la liberté du chef d'entreprise relie également la droite néolibérale et l'extrême-droite, prompts à réprimer tout mouvement qui remettrait en question le culte du chef et son autorité tant dans la vie politique que dans la vie économique. Avant même de prendre le pouvoir, Mussolini n'avait-il pas gagné ses lettres de noblesse auprès du patronat en envoyant ses milices réprimer les syndicalistes en grève ? E. Macron crache sur les syndicats et veut déréglementer le monde du travail (normes sociales et écologiques) pour libérer les patrons de toute entrave à leur pouvoir. Il a même instauré une loi contre les lanceurs d'alerte. Son mode de gouvernement et la gestion de son mouvement politiques sont calqués sur sa vision idéale du monde de l'entreprise, où le chef dispose de tous les pouvoirs. Dans l'Amérique trumpiste, le conseiller du vice président américain Vance, Durtis Yarvin, affirme au NY Times « vous pouvez appeler Washington, Lincoln et FDR des dictateurs, ce mot opprobre, ils étaient en fait des PDG nationaux, et ils dirigeaient le gouvernement comme une entreprise, du haut en bas de l'échelle ». On a beau jeu de sortir des phrases stéréotypées du type « les extrêmes se rejoignent ». Mais l'extrême-gauche et l'extrême-droite souhaitent l'exact inverse : les uns rêvent d'élargir la gouvernance démocratique à la sphère économique, les autres rêvent d'élargir la gouvernance autoritaire et verticale des entreprises à la sphère politique. Si les extrêmes se rejoignent, alors il s'agit de l'extrême-centre de Macron et de l'extrême-droite.
La haine des fonctionnaires et des aides sociales qui « coûtent un pognon de dingue », le refus de dépenser pour des services publics, le réductionnisme de l'Etat à son rôle d'Etat policier pour réprimer les opposants politiques et les travailleurs qui demandent des droits sont encore des points d'affinité entre droite néolibérale et extrême-droite. L'austérité budgétaire, toujours accompagnée de la férocité répressive en raison de la nécessité de mater le mécontentement de la majorité lésée, est un aspect commun du macronisme, de l'extrême-droite des années 2020 et de celle des années 30. Le rejet de toute forme de redistribution vers les plus démunis. La haine de l'égalité en partage.
Le libéralisme autoritaire bien décrit par G. Chamayou a besoin d'autoritarisme pour imposer au peuple des réformes qui vont à son encontre. Ainsi, Macron s'arroge le droit de nommer un gouvernement issu d'un parti minoritaire aux législatives, ses Premier-ministres aux ordres multiplient les 49.3 pour enjamber le vote parlementaire, les manifestations sont réprimées avec des armes dénoncées par l'ONU et le Conseil de l'Europe (LBD, GLI-F4), l'Etat de Droit est menacé par la multiplication des lois d'exception détournées de leur usage d'origine (lois antiterroristes contre les militants pacifistes écologistes, loi narcotrafic), la liberté d'expression jusqu'alors plutôt épargnée est menacée par la criminalisation des oppositions au génocide à Gaza (manifestations, conférences et expo interdites, garde-à-vue d'opposants politiques, convocations au tribunal voire condamnations).
Le progressif délitement de la République est orchestré par la droite néolibérale et conservatrice comme ce fut le cas sous la République de Weimar dans l'Allemagne de l'après-guerre avec les manœuvres irresponsables du président Hindenburg et de l'intrigant Von Papen. A lire le dernier livre de J. Chapoutot, il est clair qu'E. Macron et les LR plaquent leur comportement sur celui des irresponsables politiques qui ont conduit A. Hitler au pouvoir pour perpétuer la domination économique des classes dominantes et assurer leur propre maintien au pouvoir politique : articles 48.2 pour enjamber le vote du Parlement, dissolutions arbitraires par le Président de la République, nomination du gouvernement à la guise du Président à l'encontre des résultats des législatives, Etat d'urgence et lois d'exception pour tordre l'Etat de Droit en abusant de dispositifs pensés pour des situations extraordinaires pour régler l'ordinaire, gauche érigée en ennemi, rhétorique xénophobe et réactionnaire pour s'aligner sur les discours des médias à la botte d'un milliardaire d'extrême-droite (Hugenberg dans les années 30 en Allemagne, Bolloré dans la France de 2025).
L' extrême-droite est un extrême néolibéralisme : Etat faible lorsqu'il s'agit de limiter la liberté entrepreunariale, Etat fort lorsqu'il s'agit de réprimer les velléités d'action politique. L'individu doit rester dans la sphère de la production et de la consommation, il ne doit pas ambitionner une citoyenneté politique autre que la démonstration de son consentement à l'autorité du chef et de son parti.
Patronat, droite et extrême-droite se retrouvent donc désormais dans la haine de l'écologie qui implique de réglementer l'économie et de poser des limites à la pollution et la prédation des entreprises sur l'environnement. Ainsi, l'activiste Claire Nouvian, qui a obtenu des mesures de protection de l'océan avec son association Bloom, subit des intimidations dans les événements qu'elle organise et s'est vue menacée jusqu'à son domicile familial. Qui peut dire qui de l'extrême-droite ou du lobby de la pêche intensive est à l'origine de ces actions ?
La droite rejoint l'extrême-droite et l'extrême-droite rejoint la droite, chacun donnant des gages à l'autre. Cela se traduit par la multiplication des rendez-vous secrets entre le RN et la macronie. D'un côté la dérive raciste, à l'image de la surenchère xénophobe entre les prétendants à la chefferie des LR B. Retailleau, L. Wauquiez et E. Ciotti. De l'autre, les gages de bonnes intentions du RN envers le patronat par les renoncements à leurs propositions sociales entre les élections européennes et législatives, par les rencontres personnelles et par les votes coordonnés avec les LR et la macronie (dernière collaboration en date la loi Duplomb pour autoriser l'usage de néonicotinoïdes dont la toxicité pour l'homme et les impacts sur la biodiversité sont avérés).
A rebours d'un slogan rabâché à tort pour décrédibiliser le progressisme de gauche, les extrêmes ne se rejoignent pas.
La violence d'extrême-droite, c'est déjà une poignée de morts par an et plusieurs tentatives d'attentats terroristes meurtriers déjoués en France. Combien pour l'extrême-gauche ? Zéro. Aux Etats-Unis, l'extrême-droite est impliquée dans 93% des meurtres extrémistes. Largement devant l'islamisme et l'extrême-gauche. La distorsion médiatique dans la retransmission des événements cache l'ampleur de ce phénomène. Vous avez sans doute beaucoup entendu parlé de l'assassinat de Charlie Kirk, un influenceur de la fachosphère tué par un déséquilibré lui-même qualifié un peu trop rapidement de membre de l'ultra-gauche mais qui a un profil politique beaucoup plus complexe. Cet assassinat a suscité une vague émotionnelle médiatique incroyable et les personnalités politiques de gauche ont été sommées non seulement de se désolidariser d'un acte avec lequel ils n'avaient absolument rien à voir mais également de déplorer la mort de ce parangon du fascisme. En revanche, avez-vous entendu parler de l'assassinat de Melissa Hortman ? Il est fort probable que non : aucun média français ne l'a relatée et la nouvelle n'a pas traversé l'atlantique. Moi-même, je dois aller vérifier son nom sur internet à l'heure où j'écris. Melissa Hortman était une députée démocrate qui défendait le droit à l'avortement. Au début de l'été, elle a été assassinée à son domicile avec son mari. L'assaillant, chrétien évangélique et fortement opposé à l'avortement, avait dans sa voiture une liste de 70 députés engagés en faveur du droit à l'avortement.
L'extrême-droite tue mais la presse lui fournit un silencieux.
L'extrême-gauche ne tue pas mais la façade d'une banque a plus de valeur qu'une vie humaine dans les déplorations médiatiques.
Non seulement extrême-droite et extrême-gauche n'ont pas la même modalité d'action, mais leur vision de la société idéale est à l'opposé. Au lieu d'appeler à étendre le système brutalement vertical de l'entreprise capitaliste à la sphère politique comme le font l'extrême-droite et les néolibéraux (cf citation d'Hitler mise en exergue au début de l'article), l'extrême-gauche appelle à étendre la participation populaire censée prévaloir dans la sphère politique à la sphère économique. Ce sont donc deux chemins inverses, et seul le second peut asseoir une démocratie solide qui ne retombera pas dans ses travers fascistes à la moindre frayeur des possédants de perdre leurs privilèges.
Pourquoi les ultra-riches soutiennent-ils ainsi l'extrême-droite dans les grandes crises ? Ils ont besoin de mater la rébellion quand leur système ne tient plus et que leur arsenal idéologique ne séduit plus la majorité du peuple. Un Bruno Retailleau qui promet 80 000 policiers pour comprimer le mouvement du 10 septembre afin de « taper » les manifestants rassure les possédants qui se sentent menacés par la révolte qui gronde. A la valorisation de la méritocratie pour justifier les inégalités se substituent l'autoritarisme et la violence quand les inégalités de naissance deviennent trop flagrantes et la misère devient trop insupportable. Là où les dividendes ont augmenté de 85% tandis que les salaires réels ont diminué de 5% sous la Macronie, là où les 500 premières fortunes ont doublé leur patrimoine tandis que le nombre de pauvres a augmenté pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, là où on veut encore demander des sacrifices aux perdants du système, il faut taper pour imposer. Pour ne pas investir dans l'hôpital et dans l'école, on investit dans des Centaure, des blindés à 740 000 euros dotés de caméras à vision thermique, grenades lacrymogènes et mitrailleuses, afin d'écraser militairement son propre peuple.
Il faut aussi accompagner cela d'un nouvel arsenal idéologique, en l'occurrence ici ressortir du placard le fascisme par manque de créativité. L'évolution idéologique de Macron est la figure archétypale de ce glissement du patronat, la face émergée de l'iceberg. Du cool kid de 2017 qui dénonçait la colonisation comme « crime contre l'humanité », semblait pro PMA, migrants et gay friendly, écolo compatible, Macron est devenu celui qui nomme des ministres apologues de la colonisation, anti PMA et anti mariage pour tous, hostiles à la « submersion migratoire », dénonçant « une régression [des immigrés de deuxième génération] vers les origines ethniques », obsédés par la suppression des normes écologiques, ajoutant l'apologie de la guerre pour compléter la panoplie du bon fasciste. Pour comprendre ce qu'est réellement le Macronisme, il faut aller en débusquer les invariants et démêler le fil rouge de son projet : transférer les richesses de l'Etat vers les plus riches et demander aux autres de faire des efforts pour rembourser la dette ainsi causée. Le vernis progressiste de 2017 a aisément cédé la place au vernis réactionnaire du second mandat comme adaptation pragmatique à ce que Macron considère comme l'opinion majoritaire. Le seul et unique but de ces variations est d'espérer rester populaire en détournant le peuple de la colère que ses réformes économiques et antisociales engendrent.
Pourquoi l'extrême-droite, de son côté, joue-t-elle le jeu du rapprochement avec le grand capital ? Parce que le RN a bien compris qu'il faut avoir leur soutien pour espérer remporter les élections. Pour ceux qui en doutent ou qui auraient du mal à le prouver, je vous invite à lire mon livre Comment les classes dominantes ont détourné le suffrage universel. Pour remporter les élections, il faut réussir le tour de passe-passe de faire croire que vous défendez les intérêts de la majorité tout en rassurant les classes dominantes sur le fait que vous allez préserver leurs privilèges. L'extrême-droite fait cela à merveille. Elle représente pour le patronat une alternative pour répondre à la colère populaire qui ne change strictement rien à l'essentiel pour eux : réduire la régulation de l'Etat et la redistribution des richesses voire mettre les ressources de l'Etat à leur service, réduire les normes sociales et environnementales qui entravent les bénéfices, valoriser la concurrence et la compétition qui opèrent la sélection naturelle, dévaloriser les improductifs et leur rendre la vie impossible. En s'engageant sur tous ses points, le RN s'assure que les ultra-riches lui accorderont l'image de respectabilité qui lui manquait et lui donneront l'onction de la respectabilité qui rendra son candidat présidentiable. Un candidat « raisonnable » qui assure la stabilité économique du pays et sa puissance. Fort de leur réussite économique, B. Arnauld et ses compères ultra-riches ont la crédibilité pour décider qui doit rassurer ou inquiéter, qui menace ou préserve la grandeur de la France, et la confusion est totale entre leurs intérêts de classe et la bonne santé du pays. Les classes dominantes décident qui doit être jugé comme fanfaron/dangereux/utopiste et qui doit être pris au sérieux. Là où le J.-M. Le Pen était le fanfaron instable et F. Mitterrand le sérieux, les milliardaires actuels s'appliquent à faire de M. Le Pen et J. Bardella les sérieux présidentiables et J.L. Melenchon le fanfaron instable. C'est tout l'enjeu de la stratégie de la cravate de M. Le Pen.
Le vote pour l'extrême-droite, c'est encore laisser aux classes dominantes le pouvoir de décider de nos représentants politiques. C'est leur donner encore plus de marge de manœuvre dans le monde économique pour exploiter les travailleurs. Ce n'est pas une rupture avec le néolibéralisme macroniste, c'est son renforcement en poussant la logique autoritaire, la brutalisation au nom de la performance et la légitimation des inégalités au maximum.
Toutefois, les classes dominantes devraient être plus prudentes. Pas sûr qu'elles aient conscience que l'extrême-droite au pouvoir puisse encore conduire à des violences de masse. Peut-être ont-elles l'impression que ce n'est plus possible à notre époque, qu'on aurait une version forcément édulcorée. Faut-il leur rappeler que les européens ne pensaient pas non plus possible un tel déchaînement de violences en 1930, qu'ils se considéraient aussi comme au sommet de la civilisation ? Nous sommes un pays civilisé, nous avons des supérettes en mer pour les yachts et des IA qui transforment nos photos en dessins Ghibli, se disent sans doute nos éminents contemporains. Faut-il leur rappeler qu'actuellement un génocide est en cours en Palestine dans un Etat au niveau de démocratie et de développement assez similaire au nôtre ? Voire même que le gouvernement français se range dans le camp des génocidaires et que les médias mainstream s'alignent au nom d'intérêts économiques et d'une idéologie raciste déjà prégnante? L'acquiescement général au génocide en Palestine doit nous inquiéter pour l'avenir de notre propre pays.
Pour ceux qui minimisent le danger de l'extrême-droite actuelle, il n'y a qu'à regarder ce que fait D. Trump : immigrants déportés par ICE dans des camps, projet de les envoyer à Guantanamo, fermeture du pays aux musulmans, remises en cause des libertés académiques (censure des mots et objets d'études liés au genre et à l'écologie dans le monde universitaire, fin des subventions à Harvard, entraves à l'institut d'études climatiques NOAA...), livres blacklistés et bannis, complaisance avec la violence de l'extrême-droite (détournement des moyens qui étaient alloués pour lutter contre ce phénomène) là où la mouvance antifasciste est qualifiée de « terroriste », non reconnaissance des trans et de leurs droits, harcèlement des médias, purges maccarthystes chez les fonctionnaires et désormais dans les médias, permis de forage dans des parcs naturels protégés, soutien à l'extrême-droite expansionniste des autres pays (bombardement de l'Iran pour accompagner Israël et soutien officiel à la déportation des gazaouis, complaisance avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie)...
Pour les plus cyniques qui ne penseraient qu'à leurs intérêts économiques, D. Trump démontre par sa versatilité sur les taxes douanieres que le nationalisme protectionniste peut déstabiliser l'économie mondialisée. A quoi bon s'accaparer une plus grande part de la richesse nationale en réduisant les impôts des riches et des entreprises si c'est pour réduire la taille du gâteau en faisant diminuer le commerce international ? Cela risque finalement de n'enrichir personne. Par ailleurs, détourner le budget de l'État pour financer l'industrie de l'armement peut certes enrichir les industriels à court terme mais un pays en guerre voit son marché et sa main d'oeuvre se résorber.
Si les classes dominées peuvent s'aveugler sur la nature antisociale de l'extrême-droite, si les classes dominantes peuvent se croire plus malines en misant sur ce mouvement pour préserver ses avantages ; cette idéologie réactionnaire qui harcèle les minorités et les opposants, qui exacerbe la violence à l'intérieur par la répression comme à l'extérieur par la guerre, qui considère l'environnement uniquement comme une source de profits à court terme, est pourtant dangereuse pour tous. Entre la droite néolibérale et l'extrême-droite, il y a un seuil mais la porte est largement ouverte.