Ali Bensaad

Abonné·e de Mediapart

15 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 avril 2024

Ali Bensaad

Abonné·e de Mediapart

Que cache l’anticipation des élections présidentielles en Algérie ?

Surprenante et improvisée et surtout prise à si peu de temps de l’échéance du mandat présidentiel, l’annonce a été faite sans qu’une quelconque justification n’en soit donnée. Il est difficile de croire, avec une si brève échéance, qu’elle viserait de simples résultats électoraux avantageux. Elle ne se justifierait que par le projet d’une reconfiguration politique et institutionnelle radicale.

Ali Bensaad

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Que cache l’anticipation des élections présidentielles en Algérie ?

Annoncées par simple communiqué à l’issue d’une réunion présidée par le chef d’Etat le 21 mars, les élections présidentielles algériennes ont été avancées de 3 mois, de décembre à septembre 2024.

Surprenante et improvisée et surtout prise à si peu de temps de l’échéance du mandat présidentiel, l’annonce a été faite sans qu’une quelconque justification n’en soit donnée. Il est difficile de croire, avec une si brève échéance, qu’elle viserait de simples résultats électoraux avantageux. Le régime a toujours su imposer les résultats qui lui conviennent. Même dans la situation exceptionnellement défavorable du Hirak, il ne s’est pas gêné pour donner à son (ses) candidat(s) des résultats électoraux dont la fausseté était criante. Nul besoin donc pour cela de précipiter les élections et d’installer une situation d’exceptionnalité.

Une telle mesure a un prix politique couteux. Celui de l’image d’un régime qui n’a retrouvé ni stabilité ni centralité et qui agit à vue, dans l’improvisation. Même dans les franges qui ne lui sont pas hostiles, elle suscite perplexité et incompréhension d’autant que ses décideurs ne tentent même pas de la justifier. A l’international où le pays a énormément perdu de son influence, elle confirme un état d’instabilité institutionnelle et le risque que celle-ci n’aboutisse à le transformer en foyer d’instabilité régionale.

Un tel prix ne peut se justifier par le seul besoin de faire passer en force un candidat d’autant que le régime a moins que jamais besoin de le faire ayant de fait interdit toute activité politique et ayant fait taire toutes les voix discordantes, même en son sein, par une implacable répression.

Un tel prix ne se justifierait que par le projet d’une reconfiguration politique et institutionnelle radicale. Un ensemble d’indices concordants laisse entrevoir que celle-ci consisterait à porter un militaire à la tête du pays. Pour radicale qu’elle soit, elle ne viendrait que conclure la dynamique de monopole total que l’armée exerce déjà depuis 5 ans sur la vie politique du pays dans une visibilité affichée et recherchée.

Ce choix a beaucoup d’inconvénients dont celui de pouvoir choquer l’opinion, heurter certains soutiens du régime et ne pas bénéficier de l’aval de factions de la hiérarchie militaire dont les divisions, illustrées par les continuelles mises à l’écart et procès, sont patentes. Mais ce sont probablement ces divisions qui ont dû peser dans ce choix avec pour objectif d’imposer une unité par le haut avec une concentration des pouvoirs aux mains d’un militaire. D’où le besoin de passer en force et par la surprise. C’est ce qui expliquerait le refus persistant de justifier cet oukase, son annonce en plein ramadhan, un moment de mise en léthargie du pays, et la fixation de la période électorale à l’été, période où, entre canicule et vacances, les interactions sociales et politiques se réduisent.

L’évocation vague par l’agence de presse officielle d’énigmatiques menaces extérieures, est une autre manière, en mettant en avant les questions de sécurité, de conforter le choix d’un militaire.

Ce scénario à la Sissi a toujours été en réserve à l’état-major. Aujourd’hui, il rencontre des vents plus que jamais favorables dans un contexte d’affirmation des autoritarismes à l’échelle mondiale. La phase des printemps arabes s’est définitivement close par l’avortement de son ultime expérience démocratique, celle de la Tunisie voisine, sous les coups de Kais Saied, allié par ailleurs du régime algérien alors qu’une contagion de coups d’Etat militaires frappe le Sahel, au voisinage de l’Algérie. Ce contexte d’autoritarismes s’inspirant et se stimulant dans l’impunité, ne peut qu’être encourageant pour les militaires et leur garantit une immunité face à des pressions internationales qui ont perdu de leurs effets.

L’improbable second mandat de Tebboune

Beaucoup d’éléments indiquent que la question d’un deuxième mandat de Tebboune est déjà close, la seule question étant celle de sa succession. Il y a plus d’un an le journaliste El Kadi Ihsan avait pointé les doutes qui gagnaient l’état-major concernant Tebboune. Cet article lui avait alors valu une condamnation à 7 ans de prison

Plus récemment, ces doutes, devenus oppositions, se sont exprimés publiquement par voix civiles interposées. 

L’islamiste Bengrina, porte-voix d’une partie des décideurs a déclaré que le report des élections était sur la table des décideurs alors qu’à l’autre extrême de l’échiquier, Louisa Hanoune, proche également de décideurs, déclarait que les conditions n’étaient pas réunies pour des élections, suggérant leur report. Les deux déclarations signifiaient qu’un véto a été opposé à la reconduction de Tebboune. Sinon, celui-ci étant déjà en place, un report n’avait aucune utilité. Le report signifiait qu’un débat portait sur sa succession et que celle-ci avait besoin de temps pour être tranchée.

L’épisode de la relation controversée avec les Emirats était venu confirmer le statut de « président de transition » de Tebboune. Suite à la publication de la vraie-fausse fake news du renvoi de l’ambassadeur émirati pour espionnage, et prenant le parti d’éviter une détérioration des relations avec les Emirats, il avait cru pouvoir user de ses prérogatives de président en limogeant dans la précipitation le ministre de l’information alors même que la publication de l’information par des organes relais des services de renseignement ne pouvait être faite qu’avec leur aval. La réunion du Haut Comité de Sécurité qui a suivi a, au contraire, marqué la rupture avec les Emirats, et a constitué en quelque sorte un désaveu de Tebboune. Et un rappel de la prééminence qu’avait sur lui les services de renseignement.

Le parallèle s’impose avec la décision d’anticiper les élections présidentielles en septembre 1998 et la démission forcée du général Liamine Zeroual. En même temps que l’organisation d’élections anticipées, Zeroual avait annoncé qu’il ne s’y représenterait pas. Tebboune ne l’a pas fait car l’état-major a intérêt à tempérer l’effet catastrophique de l’annonce de cette énième démission forcée en lançant d’abord le premier étage de la fusée, celui des élections anticipées, le temps que soit digéré son effet délétère. La deuxième, celle de Tebboune qui ne se représenterait pas, ce ne pourrait être que le deuxième étage de la fusée. En attendant le troisième, celui d’un consensus sur son successeur. Il est probable que l’anticipation de ces élections sert à forcer la main à certains décideurs pour imposer à la hussarde la désignation d’un militaire à la tête de l’état et surtout le militaire en question.

Ressouder l’armée par le haut

C’est là qu’une autre comparaison s’impose. Celle avec les conditions d’accès du général Liamine Zeroual à la tête de l’Etat. Ce qui avait alors pesé dans la désignation d’un militaire, plus que la guerre civile, c’est les profondes divisions au sein de l’armée précédant la guerre civile et que celle-ci est venue accentuer. Ouvertes par les émeutes d’octobre 1988 qui ont vu l’armée tirer sur les civils et en tuer au moins 500, les divisions vont se nouer autour des réformes initiées comme réponse à la crise par Mouloud Hamrouche que l’armée finira par faire démissionner en juin 1991. Puis s’aggraveront autour de la légalisation du FIS et de sa place dans le jeu politique, autour de l’arrêt du processus électoral et la démission forcée de Chadli, autour du placement de Boudiaf à la tête de l’Etat puis de son assassinat traumatisant, enfin autour de la conduite de la guerre civile et la négociation avec les islamistes armés. Ces divisions finiront par évoluer en liquidations physiques dont la plus spectaculaire, l’élimination avec une débauche de moyens de celui qui a structuré et dirigé alors le plus longtemps le DRS (de 1962 à 1979), Kasdi Merbah. Elles se poursuivront après la nomination de Zeroual avec notamment l’assassinat en 1996 du général Fodil Saïdi qui dirigeait la 4ème région militaire après avoir dirigé le DRS. C’est dans ces conditions de divisions et de tensions au sein de l’armée et essentiellement pour tenter de la ressouder que les militaires choisissent de mettre à la tête de l’Etat un de leurs pairs.

 Le contexte est aujourd’hui différent mais les divisions au sein de l’armée ne sont pas moins profondes ni moins empreintes de violence même si celle-ci s’exprime autrement. Le choix même de Tebboune pour un premier mandat, imposé aux forceps par Gaïd Salah, a été générateur de graves divisions. Celles-ci s’étaient soldées d’abord par l’incarcération du puissant général de la sécurité intérieur Wassini Bouazza, principal opposant à l’adoubement de Tebboune. Elles ont ouvert la voie à une phase de règlements de comptes non encore close au sein de l’armée avec l’emprisonnement de plus d’une centaine d’officiers supérieurs dont une trentaine de généraux et un nombre encore plus important de mises à l’écart, sans qu’aucun équilibre ne soit encore trouvé en son sein. Un exceptionnel turn-over déstabilise ses secteurs les plus stratégiques comme les services de renseignement, la gendarmerie, la sécurité intérieure de l’armée ou les services de télécommunications qui ont connu en peu de temps 3 patrons successifs ou plus et dont certains ont terminé en prison. Les services de renseignement ont connu en 3 ans, 5 patrons successifs dont l’un au moins est en prison. Chengriha n’a toujours pas réussi à s’imposer comme vice-ministre de la défense. Voilà pourquoi comme en 1994, par esprit et intérêt de corps, pour se préserver et préserver sa place hégémonique, l’armée pourrait très probablement avoir décidé de porter un des siens à la tête de l’Etat

L’épouvantail français

Le scénario qui se profilait était celui d’un report des élections. L’option pour leur anticipation pourrait avoir un lien avec l’annonce du voyage officiel de Tebboune en France venue percuter ce scénario.

Ce voyage est sans cesse annoncé puis reporté depuis près de 4 ans. Tout comme le voyage en Kabylie souhaité par l’entourage présidentiel mais toujours reporté. Il s’agit des deux terrains les plus sensibles de la géopolitique algérienne. Si les deux voyages n’ont pu se faire, c’est parce que l’état-major ne veut pas donner la main sur ces deux questions à Tebboune considéré comme simple président de transition, coopté dans l’urgence. Ces reports sont plutôt de l’ordre d’un interdit fondé sur les limites dans lesquelles l’état-major tient à circonscrire le rôle et la stature de Tebboune. Si ce dernier n’a toujours pas pu se rendre en France, Chengriha, s’y est rendu pour sa part plusieurs fois dont une en visite officielle en fin janvier 2023 et a été reçu à l’Elysée. C’est de là qu’il a annoncé une visite de Tebboune pour mai 2023. Elle ne s’est bien sûr pas faite.

Les salves qui commencent à être tirées contre la visite annoncée de Tebboune en automne indiquent qu’elle aussi n’est pas désirée. Elles viennent des services de renseignement. Une virulente attaque de « Algérie Patriotique[1] », organe lié à ces services, contre l’historien Benjamin Stora s’est faite, paradoxalement, au moment même où est adoptée par l’assemblée nationale française, ce 28 mars, la loi pour une journée de commémoration des massacres du 17 octobre 1961. Cette loi répondait à une des revendications de l’Algérie et était destinée à dégoupiller une probable instrumentalisation de la question mémorielle comme obstacle à la visite de Tebboune. En Benjamin Stora était visé celui qui est derrière cette politique mémorielle de Macron. Pour donner plus d’écho à ces attaques, El Watan, plus important journal francophone qui avait un important impact dans la société civile avant d’être mis au pas, a dû servir de support à la publication d’un journaliste du même « Algérie patriotique ». Celle-ci avançait de graves accusations portant sur des menaces françaises sur la sécurité algérienne. Il y était même avancé que la France transplantait des djihadistes aux frontières Sud de l’Algérie et cela au moment où celle-ci, dans un contexte de tension avec les pays du Sahel, est inquiète sur ces frontières.

Le syndrome de la forteresse assiégée

L’option pour un militaire est plus que jamais confortée par l’impasse stratégique dans laquelle se trouve le pays et la volonté d’y réagir par le rapport de force militaire. La réaction face aux déconvenues au Sahel par des manœuvres militaires de grande envergure à balles réelles à la frontière avec le Mali ou l’extrême violence, inhabituelle, des expulsions de migrants nigériens en ce début avril, illustre l’option de la mise en avant de la force militaire.

Mais au-delà des actions militaires, l’état-major assume dorénavant directement la gestion de tous les sujets sensibles à l’international.

Pour faire face à la crise avec les Emirats, Chengriha a fait un véritable marathon diplomatique où, au cours d’un mois, du 03 février au 05 mars, il est resté plus à l’étranger qu’en Algérie. Il s’est d’abord rendu en Arabie saoudite, allié des Emirats, pour solliciter sa médiation. Il y est resté plus d’une dizaine de jours pour tenter, sans succès, d’obtenir une audience avec Mohamed Ben Salmane. Il se rendra ensuite au Qatar, rival des Emirats, pour tenter d’en obtenir le soutien. Entretemps, pour parer à l’érosion de l’influence algérienne en Afrique où le président Tebboune ne s’est toujours pas rendu, et pour prendre à revers l’hostilité au Sahel contre l’Algérie, il se rend au Rwanda auquel il apporte son soutien dans le conflit avec la RDC Kinshasa, alliée de la France. L’armée se saisit ainsi directement de la diplomatie.

Le rejet de la candidature du pays au Brics dont le régime avait fait pourtant un argument de campagne, son évincement de ses traditionnelles terres d’influence sahéliennes, son isolement sur la question du Sahara occidental et enfin le lâchage du traditionnel et principal allié, la Russie, autant de déconvenues qui ont fini par ébranler l’armée. Et ont aiguisé sa défiance envers des civils, dont Tebboune, qu’elle a pourtant elle-même placés. L’armée a donc étendu à la diplomatie, qui était le dernier paravent civil, le monopole qu’elle exerce sans partage sur toute la vie politique depuis 5 ans.

Ne reste plus que la magistrature suprême.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.