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Billet de blog 20 septembre 2025

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Algérie, dix années de brutalisation des institutions et de déstabilisation de l’Etat

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Algérie, dix années de brutalisation des institutions et de déstabilisation de l’Etat

L’année politique et militaire, les deux se confondant plus que jamais, s’est close à l’école militaire de Cherchell le 10 juillet par l’attribution du nom de Benhadid à la promotion 2025 des élèves-officiers. Cette consécration posthume de l’ancien général amène quelques questionnements politiques

Qui condamne qui ? Qui est le patriote et qui est le traitre ?

Comment ne p as s’interroger alors qu’il y a peu de temps encore, la justice algérienne s’était particulièrement acharnée sur l’ancien général qui a connu deux passages en prison , le deuxième l’ayant cloué sur un fauteuil roulant après qu’il ait frôlé la mort, abandonné sans soins dans sa cellule. Il est intéressant de relever que la première fois, il a été inculpé sous le motif de « atteinte à corps constitué », celui-là même sous lequel sont fréquemment poursuivis, jusqu’à ce jour, souvent pour une simple publication Facebook,  les activistes du Hirak dont plus de deux centaines croupissent toujours en prison. Sa deuxième arrestation est d’ailleurs intervenue au même moment où débute la répression des activistes du Hirak. Célébré aujourd’hui comme patriote, Benhadid était hier traité de traitre comme sont qualifiés aujourd’hui les activistes détenus du Hirak. Pour sa deuxième arrestation, les motifs  étaient « atteinte au moral de l’armée », et « atteinte à la sécurité du pays et l’armée». C’est également sous le motif de « atteinte à la sécurité du pays » qu’ont été inculpés beaucoup de Hirakistes, notamment ceux originaires de Kabylie dont certains ont été faussement assimilés au MAK. Mais c’est aussi sous ce motif que sont détenues près de deux centaines d’officiers supérieurs, rejoints chaque jour par d’autres dont dernièrement le patron de la DGSI. Ont-ils vraiment menacé la sécurité du pays et celle de l’armée ou ne sont-ils que les perdants ou les victimes collatérales des luttes entre factions de l’armée comme l’a été le défunt Benhadid ?

Une machine répressive aveugle broyant ses propres serviteurs

Le cas du général Hassan interroge encore plus gravement sur l’état et l’usage de la justice qui lui a fait purger 5 années de prison au motif d’avoir menacé la sécurité intérieure du pays alors qu’il se retrouve aujourd’hui investi de la responsabilité de cette sécurité comme patron de la DGSI. C’est son prédécesseur qui se retrouve aujourd’hui en prison. Que penser alors de la validité des accusations contre le journaliste Blam, le poète Tadjadit et d’autres Hirakistes ou contre la femme d’affaire Saïda Neghza, membre des cercles de pouvoir et prise dans la tourmente de leurs luttes internes,  pour ne citer que les affaires emblématiques qui ont été instruites  sous cet ex-patron de la DGSI qui serait accusé entre autres de fabrication de faux et de rapports mensongers ?

Au-delà du jugement qu’on peut porter sur le retour du général Hassan et l’éviction de son prédécesseur, le général Nasser, c’est l’installation d’un type de mode opératoire qui interroge. Les évictions se déroulent en « effet-boomerang » continu où les auteurs et commanditaires de purges peuvent et se retrouvent souvent, à leur tour, victimes de purges en retour de bâton. Celles-ci ont toujours une extension horizontale qui touche tout le réseau des collaborateurs des personnes éliminées. Et se concluent souvent en mise en examen et emprisonnement. Initié par Gaïd Salah, ce mode opératoire s’est emballé au lendemain de l’élection de Tebboune pour connaitre un rythme industriel. L’institution militaire est ainsi soumise à une instabilité chronique qui interroge sur la pérennité de ses capacités opérationnelles.

L’exception Ali Ghediri

Au contraire de l’ancien général Benhadid et du général Hassan, l’ancien général Ali Ghediri, lui, n’a pu bénéficier ni de clémence ni de réhabilitation. Il existe pourtant  une proximité entre les trois, une similitude dans leurs parcours et leurs affinités (notamment leur ancienne proximité du général Toufik), dans les contestations qu’ils ont exprimées et la même vindicte subie, celle du clan Bouteflika et de Gaïd Salah.

Ni la disparition de Gaïd Salah et l’éviction d’une partie de ses hommes ni les différents changements de rapports de force au sein de l’institution militaire et les différentes équipes qui s’y sont succédées n’ont pu lui profiter

Ce qui barre la route à tout geste de clémence en faveur de Ali Ghediri et encore plus à une réhabilitation, c’est le fragile consensus autoritaire entre les différentes factions de l’armée. Consensus très fragile car ayant pour base une convergence autoritaire mais sans projet politique et même plus, l’évitement de celui-ci. C’est ce qui explique d’ailleurs pour une part le patinage sur place, la navigation à vue et l’improvisation même sur les sujets stratégiques de relations internationales et cette impression de « sixième mandat de Bouteflika » en référence à son état d’handicapé et l’immobilisme de sa fin de règne. Or, le cas Ali Ghediri rappelle et ramène, malgré lui, l’inévitable question du politique au sein de l’armée, question que celle-ci, encore ébranlée et divisée, croit devoir évacuer. La candidature en soi de Ali Ghediri condensait en elle toutes les contradictions politiques qui traversaient l’armée et l’impasse sur laquelle a abouti leur évacuation. 

D’abord, sa candidature pouvait avoir l’apparence d’une violation du sacro-saint principe de l’armée qui n’a jamais permis que des militaires, même anciens, puissent prétendre à un rôle politique sans avoir été adoubés ou missionnés par la hiérarchie militaire. Mais c’est justement parce que l’esprit de corps lui-même de l’armée avait volé en éclat que cette candidature est devenue possible et même légitime pour une partie de militaires ou anciens militaires qui, s’ils ne l’ont pas suscitée, l’ont soutenue. L’armée s’était déchirée publiquement entre ses deux institutions principales, l’état-major et le DRS, avec, fait inédit, une intrusion d’acteurs civils permise et sollicitée par une faction de l’armée elle-même (à l’exemple du controversé SG du FLN aujourd’hui réfugié au Maroc)

Cette candidature, tentative sincère de réforme du système ou simple entreprise de réajustement de celui-ci, avait, dans ce contexte, rencontré l’hostilité de factions de l’armée. Cette hostilité perdure au travers d’éléments qui, par-delà la recomposition des factions après la mort de Gaïd Salah, sont, aujourd’hui, parties-prenantes et protagonistes importants du consensus autoritaire.

Avant d’être une offre politique à la société, c’est d’abord comme émanation d’un courant d’opinion dans l’armée que la candidature de Ali Ghediri a émergé. Face à la  fracturation de l’armée et aux tentatives d’appropriation de l’Etat national par les intérêts privés de la nouvelle classe d’oligarques perçus comme étant liés, ce courant souhaitait relégitimer la place centrale de l’armée comme garant de l’Etat national, par une refondation du lien à la société dans le sens d’une plus grande ouverture à celle-ci. La candidature de Ali Ghediri fut ainsi une tentative d’une partie de l’armée de s’ouvrir à la société et de s’appuyer sur elle, par conviction ou par calcul et en tout cas par nécessité.
Or, la question de l’ouverture à la société est le tabou du consensus autoritaire sur lequel l’armée croit bâtir son unité ainsi que son autorité sur le pays.

Un baromètre de la fragilité du régime

Mais le cas Ali Ghediri présente un deuxième paradoxe. Non seulement il n’a pas bénéficié de clémence mais la répression à son encontre s’est poursuivie en se durcissant jusqu’à ce jour. Elle ne tient pas tant à la réalité de la menace qu’il représenterait pour le régime. Elle tient plutôt au constat du régime de sa propre vulnérabilité. Constat qui le conduit, dans un réflexe paranoïaque, à surdimensionner la menace que représenterait cet ancien général sans expérience politique et sans réseaux. Derrière sa répression, on lit moins l’importance de l’ancien général que la faiblesse et la fébrilité d’un régime conscient et paniqué par sa propre fragilité.

Que ce soit sous Bouteflika, Gaïd Salah ou Tebboune-Chengriha, le régime avait et a toute latitude pour bloquer sa candidature ou la réduire à de la figuration.
Sa candidature a été suivie dès 2018 de harcèlements qui annonçaient que celle-ci ne serait pas validée. Mais ce n’est qu’en début juin 2019, au plus haut de la vague du Hirak qui ébranle le régime et le fait vaciller que celui-ci, paniqué, recourt à son emprisonnement. Le durcissement croissant de la répression à son égard évolue en parallèle avec les difficultés du régime à se reconstituer. Sa condamnation définitive à une lourde peine (4 ans) après quasiment deux années de l’élection imposée de Tebboune et l’effacement par la répression du Hirak de l’espace public, venait contredire le narratif de stabilité retrouvée et d’ouverture. Qu’il ait surtout été condamné sur la base d’un chef d’accusation(atteinte au moral des troupes sur la base quelques phrases extraites d’une interview)  qui avait pourtant été invalidé un an auparavant par un arrêté de la cour suprême du 16 décembre 2020,  (concluant qu’il n’y avait aucun élément ou fait qui aurait contribué à affaiblir le moral de l’armée), montrait que la peur n’avait pas quitté le régime et que dans sa fébrilité, il ne maitrisait même pas ses propres rouages. Cette peur et cette fébrilité vont en s’accroissant jusqu’à l’aberration quand, à un mois de terminer de purger une lourde peine de 4 ans, celle-ci est prolongée à 6 ans qu’il purgera entièrement.

Cette prolongation de peine aussi inédite qu’irrégulière, ne s’expliquait que par la crainte du clan présidentiel et de ses alliés parmi les militaires qu’une libération au moment  des tractations pour la présidentielle ne vienne parasiter la candidature de Tebboune. Pas par une improbable candidature de Ali Ghediri qui y avait renoncé, comme l’a confirmé son entourage, comprenant que celle-ci lui serait fermement interdite. C’est l’écho qu’aurait eu sa libération en soi, en ce moment, comme « fils de la maison », auprès de militaires qui, au-delà de la hiérarchie, sont traumatisés par l’effet dévastateur de l’accélération des purges et alors que la candidature de Tebboune à un deuxième mandat était fortement contestée à l’intérieur même du régime.

Le « pays chaoui » et le désenclavement contestataire de la Kabylie

Le harcèlement de l’ancien général Ghediri ne s’explique que par ce contexte de fragilité du pouvoir actuel et de défiance vis-à-vis des bases mêmes du régime. Ce n’est pas tant la personne de l’ancien général, sans expérience politique et sans réseaux qui inquiète les détenteurs actuels du pouvoir. C’est le potentiel qu’il représente.

Il n’est pas fortuit que toute sa fratrie et tous ses enfants soient officiers supérieurs dans l’armée après que son père ait été un des premiers maquisards. Ce n’est pas une exception mais un modèle très courant dans le pays Nememcha où, dans la plupart des familles, il y’a un ou plusieurs membres qui font carrière dans l’armée. Celle-ci, pourvoyeur économique d’une partie importante des familles et de la société locale, s’instille jusque dans l’intimité sociale de la population qui s’y identifie. Comme à Tebessa ou Khenchela. Cette dernière, « ville de colonels », a longtemps représenté de ce fait l’archétype de l’espace de loyauté au régime. Mais pourtant, c’est dans cette ville que le régime se fissure spectaculairement et que furent actés le début du Hirak et la chute de Bouteflika avec l’arrachage de son portrait géant et son piétinement par la foule. C’est aussi « le pays » de Ali Ghediri par les branches familiales et la filiation tribale alors que le régime a promu les identités tribales pour évacuer le politique. Avec ce basculement, le régime perd également un réservoir idéologique et un terroir d’ « intellectuels » organiques. Région berbérophone où la culture et la langue Amazighs ont été le moins altérées, elle était pour le régime le contre-modèle à la Kabylie, n’ayant pas connu comme elle précocement la scolarisation, l’émigration et la modernité qui ont fait émerger la revendication identitaire amazigh. Au contraire, dans un environnement peu investi par la colonisation et resté conservateur et traditionnaliste, ses élites anticoloniales, ayant surtout comme horizon l’enseignement religieux et arabophone, se sont tournées vers le nationalisme arabe, opposé tout à la fois à l’ouverture universaliste et à la revendication identitaire. C’est dans ce vivier culturel et politique que le régime a mobilisé des « intellectuels organiques » comme force de frappe contre les oppositions modernistes. Mohamed Belghit en est un des avatars récents. Mais, notamment depuis le Hirak, cet espace connait à son tour une éclosion de courants contestataires modernistes portant la revendication identitaire comme en Kabylie et cherchant à faire la jonction avec cette dernière contredisant la stratégie de diabolisation de la Kabylie. En confiant la coordination de sa campagne à un fondateur du RCD et en ayant comme financier l’homme d’affaire kabyle Rabrab, propriétaire du journal moderniste et vecteur de l’identité amazigh « Liberté », Ali Ghediri avait envoyé un signal inquiétant à un régime dont l’instrumentalisation de la Kabylie comme « abcès de fixation » est une des variables essentielles de sa résilience. C’est la mémoire de ce moment qui explique l’opération de déstabilisation engagée cet été depuis la présidence contre le groupe Cevital.  Après la mort de Gaïd Salah, en raison de l’importance du groupe dans l’économie du pays, un compromis avait été trouvé entre le groupe et le régime au prix du « suicide » du journal « Liberté » et du retrait du fondateur, Issad Rabrab, de la gestion du groupe. Mais les résultats humiliants à la présidentielle des élites domestiquées du FFS, en confirmant l’ancrage contestataire de la Kabylie, ont ravivé une crainte irrationnelle d’un clan présidentiel affaibli face à cette région frondeuse et à laquelle l’entreprise Rebrab est associée. Celle-ci, premier groupe privé et troisième entreprise algérienne tous secteurs confondus, aurait ainsi perdu du fait de ces déstabilisations plus de 40% de sa valeur cet été, rajoutant au marasme économique du pays.   

Saida Neghza, syndrome de délitement du clan présidentiel et d’érosion de ses soutiens

Le cas Saida Neghza illustre, à postériori, la débauche de répression et son irrationnelle violence dans un sérail dont la fragilité attise les dissensions et l’affolement devant toute contradiction ou dissonance.

La brutalité, l’inhumanité et l’irrationnalité de la répression vengeresse qui s’est abattue sur elle ( à l’exemple de la mise en danger de sa vie avec son transfert dans un état inconscient à la prison de Koléa après un coma), l’extension de la répression à toute sa filiation comme dans l’ordre archaïque tribal, ont de quoi inquiéter en soi. Cette brutalité au cœur même du clan de Tebboune dit surtout le délitement et la fragilité de ce clan et sa fuite en avant dans une répression qui dévore même ses membres.

Saïda Neghza est un pilier et une « historique » du clan Tebboune qu’elle a soutenu avec son organisation patronale dès 2017 quand il a été débarqué de la primature. Elle a soutenu son accession à la présidence en 2019 puis son action, y compris financièrement. Elle a continué à le soutenir pour un second mandat notamment avec le « front commun contre les menaces extérieures » lancé en août 2023 par Bengrina pour baliser le terrain à ce mandat.

La particulière brutalité de son traitement s’explique par cette appartenance au sérail et surtout les probables soutiens dont elle a dû bénéficier car il est inimaginable qu’elle ait pu vouloir se présenter à la présidentielle sans le soutien de factions militaires et dont on peut même supposer qu’elles l’y ont incité. Elle se prévalait elle-même publiquement et avec arrogance de sa proximité des « porteurs de casquette » selon son expression

Cette brutalité n’est que l’expression de la férocité des luttes de pouvoir actuellement engagées. Elle confirme que la candidature de Tebboune, loin d’avoir fait l’unanimité, avait suscité de fortes oppositions  et que son « élection  est loin d’avoir tranché la question de (sa) légitimité » comme le déclarait Sofiane Djilali dont on sait les liens qu’il entretient avec certaines factions de poids du régime.

On sait également la cacophonie et les cafouillages, dans les centres même du pouvoir, qui ont accompagné son élection qui en a été fortement délégitimée. La reconduction de la candidature de Tebboune avait été imposée par un coup de force en alliance avec Chengriha dont le pouvoir était tout aussi fragile.

Terreur, inhibition et paralysie à tous les étages de la décision

Aujourd’hui, les forces qui ont porté Tebboune cherchent à consolider un pouvoir dont elles connaissent la fragilité. C’est un des sens à ce délire de répression au sein même des institutions dans une frénésie qui tient de la course contre la montre et qui frappe paradoxalement les centres et bases même du régime où celui-ci ne se sent plus rassuré.

Produit du consensus autoritaire imposé par l’armée, Tebboune  en a amplifié l’arbitraire. Les limogeages et emprisonnements ont saigné le corps des commis de l’Etat. Ministres, walis, directeurs centraux de la haute administrations, responsables d’entreprises publiques sont démis et emprisonnés sans que l’opinion publique n’en soit éclairée et parfois même pas informée. L’entourage même le plus proche du chef de l’Etat en a été le plus affecté, une dizaine de ses conseillers ont été révoqués sans explication. Des éliminations qui se font dans le pur style despotique. Choquant quand il peut y avoir procès. Comme celui du directeur du protocole à la présidence algérienne, qui a occupé ce poste dès l’accession à la présidence de Tebboune dont il était le plus proche et pour lequel il avait déjà occupé cette fonction lors du bref passage de celui-ci à la tête du gouvernement. Il n’était certainement pas plus intègre que ne l’était Tebboune lui-même et dont il était l’homme de l’ombre, mais aucune des accusations portées contre lui n’a pu être étayée. Elles resonnaient comme un règlement de compte personnel au point de jeter un grand  émoi dans la salle d’audience. Comme lors du procès de SaIda Neghza  et deux autres prévenus prétendants comme elle à la candidature à la présidentielle. La lourde peine disproportionnée qui leur a été infligée ( 10 années de prison ferme ramenées à 4 ans) pour un supposé achat de parrainage à la candidature, s’explique surtout par leur appartenance aux cercles restreints du régime. C’est la circonstance la plus aggravante pour un pouvoir dont la fragilité est telle qu’il se sent menacé dans ses propres bases. Un despotisme qui confine parfois à la caricature comme le rappel de l’ambassadeur d’Algérie au Caire juste le lendemain du jour de son accréditation, fait inédit dans les annales diplomatiques. Comme beaucoup dans le sérail, il ne devait certainement pas être indemne de reproches. Mais ce qui a justifié son rappel intempestif sous une froide colère de Tebboune, c’est d’avoir reçu avec les honneurs un ancien ministre des  AE, en l’occurrence Lamamra, geste républicain banal, alors que Tebboune voue une solide inimitié  à ce dernier. Homme du système où il dispose encore de solides appuis qui l’ont même imposé comme ministre des AE à Tebboune, ce dernier y voit un concurrent en raison de sa longue carrière diplomatique notamment aux Nations Unies et l’Union Africaine et son riche carnet d’adresse. Raison pour laquelle il l’a limogé brutalement pour le mettre hors course en 2023 dès que s’est profilé  la question de la présidentielle alors que montait la grogne de certains décideurs contre Tebboune. C’est un des faits parmi d’autres qui illustre la déstabilisation d’une diplomatie déjà mise à mal par l’isolement de l’Algérie.

Alliances suspectes autour de l’armée

La guerre ouverte au sein de l’armée et des institutions de sécurité il y a 10 ans continue et n’arrive pas à se refermer

Il n’est pas normal qu’il y ait aujourd’hui dans les prisons militaires algériennes près de deux centaines d’officiers supérieurs, l’équivalent d’une armée si on devait adjoindre à chacun des gradés détenus, l’effectif en hommes qui lui correspond. Il n’est surtout pas normal qu’on ne connaisse pas les véritables raisons qui se cachent derrière les accusations convenues de « atteinte à la sécurité du pays et l’armée » celles-là mêmes qui avaient été instrumentalisées contre Benhadid, Ali Ghediri, ou le général Hassan. Les secteurs les plus sensibles de l’armée  sont soumis à un insoutenable Turn-Over : 5 DGSI et 7 DGSE se sont succédés depuis la venue de Tebboune au pouvoir.

Une telle situation est traumatisante pour l’ensemble de l’armée et fait forcément monter les inquiétudes mais aussi les mécontentements. Il est certain que les purges massives vont au-delà des luttes entre factions et qu’elles ont probablement concerné beaucoup d’officiers non impliqués dans ces luttes mais ayant exprimé leur mécontentement voire ont tenté d’agir, d’une façon ou d’une autre, pour y mettre fin.    

Cette situation d’instabilité favorise les défections et les retournements qu’engendre fatalement la sensation d’insécurité et la crainte de faire les frais de luttes de clans toujours plus imprévisibles et violentes. La récente défection du lieutenant-colonel responsable du bureau de sécurité de l’ambassade de Rome, un des piliers du renseignement extérieur, ne pouvait passer inaperçue, son poste étant officiel et à l’étranger. Mais elle en cache certainement beaucoup d’autres plus discrètes.

Mais le plus grave est que, profitant des déchirements entre les factions de l’armée et du brouillard qui en résulte, des alliances suspectes sont tissées par certains acteurs politiques avec des factions de l’armée pour s’accaparer du pouvoir et se le garantir.

L’armée a été affaiblie et discréditée par son fourvoiement aventureux dans les luttes de pouvoir et de clans comme l’a illustré de façon tragique l’affaire Amir DZ. Alors que le pays est dangereusement isolé et affaibli et de ce fait vulnérable, tout le renseignement extérieur, notamment en France, terrain le plus sensible pour les intérêts algériens, a été mobilisé pour faire taire un influenceur parce que ses révélations, distillées par d’autres clans, pouvaient nuire à la reconduction de la candidature de Tebboune qui rencontrait de fortes oppositions au sein des décideurs. Cette affaire dont l’issue a été lamentable a porté de graves dommages au renseignement algérien, à ses hommes, à son opérationnalité et surtout à sa réputation. L’opération a révélé l’affligeante médiocrité de « pieds nickelés » d’un service supposé représenter l’élite de l’armée algérienne. Elle est venue rappeler et confirmer l’inquiétante médiocrité qui s’est emparée de toutes les institutions. Mais elle a surtout montré que l’opération n’a pas été montée pour défendre les intérêts du pays ni même ceux du régime ( n’oublions pas le harcèlement et l’assassinat d’opposants) mais pour servir un clan, celui de Tebboune cherchant à imposer sa candidature aux autres clans. Elle a  réduit le renseignement extérieur au niveau de milice d’un clan. Elle a  entaché irrémédiablement sa réputation et hypothéqué sa fiabilité et sa crédibilité. Le renseignement extérieur ne s’en relèvera pas de sitôt. Et avec lui, la sécurité du pays qui en est hypothéquée.

En se cantonnant dans un consensus autoritaire sans projet politique et sans ouverture à la société, l’armée favorise de fait l’instauration d’un consensus de l’immobilisme. C’est cet immobilisme qui a engendré la paralysie devant le projet de cinquième mandat de Bouteflika et l’a contrainte, au final, à revenir sur le devant de la scène. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, que pourrait faire de plus l’armée alors qu’elle a déjà le monopole total de la vie politique et qu’elle est surexposée ?  

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