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Billet de blog 9 octobre 2024

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Lettre d'un maire en colère au Premier ministre

Dans un contexte où les collectivités locales soutiennent les citoyens au quotidien, Ali Rabeh, maire de Trappes, exprime ici son indignation face aux nouvelles économies imposées par l'État. Dans cette lettre ouverte, il interpelle le Premier ministre sur les conséquences de telles décisions pour les élus de terrain et les services publics locaux, essentiels au bien-être des citoyens.

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Trappes, le 8 octobre 2024

Lettre d’un maire en colère au nouveau Premier ministre

Monsieur le Premier ministre,

Maire d’une commune populaire, je suis en colère. Depuis 2020, je dirige avec passion et dévouement la ville de Trappes. Pourtant, l’ampleur de la tâche et l’impression de vider l’océan à la petite cuillère, dans un contexte social, financier, démocratique, toujours plus difficile engendrent parfois un sentiment de découragement. C’est la conviction du caractère indispensable de notre action, la reconnaissance des habitants, l’engagement sans faille de nos agents, les résultats concrets qui sauvent des familles entières de la difficulté qui me permettent, néanmoins, de continuer à tenir bon face à une équation qui parait souvent insoluble.

Mais votre décision de faire porter 5 milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales achève, Monsieur le Premier ministre, de me mettre en colère. Non seulement parce qu’elle rendra l’exercice plus difficile, mais surtout parce qu’elle adresse à nos concitoyens un message exécrable sur leurs élus et leurs services publics locaux.

Notre pays est désormais fracturé, tant la politique de démolition des services publics et des solidarités a été menée avec constance et méthode ces dernières années.

Si notre pays a tenu pendant le Covid alors que les services de soins avaient été considérablement fragilisés, c'est grâce à l’action de proximité des collectivités locales pour prendre soin des plus fragiles, jusqu’à organiser parfois les campagnes de vaccination.

Si notre pays a tenu lors des révoltes urbaines de 2023, c’est parce que des maires, des médiateurs municipaux, des agents techniques ont assuré une écoute et une réparation permettant aux villes de se reconstruire matériellement et psychologiquement.

Si notre pays tient encore alors que l’école s’affaiblit, que les transports s’éloignent, que la Poste ferme ses bureaux, que la température devient insoutenable dans les bâtiments vieillissants, c’est parce que des acteurs de terrain continuent de compenser la désertion de l’État par des politiques locales de solidarité, d’investissement écologique, de proximité.

Mais vous voilà, arrivant au pouvoir, et décidant de nous imposer, nous les communes de France, un coup de rabot qui pourrait être celui de trop. Comment devrai-je, Monsieur le Premier ministre, aller chercher ces économies ?

En supprimant le soutien scolaire municipal, qui vient remettre un peu d’égalité dans une École incapable de mettre un enseignant en face de chaque classe ?

En supprimant les patrouilles nocturnes de notre nouvelle brigade de police municipale, qui compensent la présence insuffisante de la police nationale ?

En augmentant les tarifs des repas à la cantine, ceux du centre de loisirs, ceux des activités pour les seniors, pour des habitants précaires qui sont à l’euro près ?

Si vous souhaitez trouver 5 milliards d’euros, prenez-les à ceux qui ne les utilisent que pour eux-mêmes. Prenez-les en réinstaurant l’Impôt Sur la Fortune, dont la suppression équivaut à ce montant. Prenez-les en revenant sur le CICE, transformé en baisse de cotisations sociales (21 milliards) bénéficiant essentiellement aux grands groupes et à leurs actionnaires. Trouvez-les en allant chercher (un peu !) des 80 milliards de fraude fiscale commise par les plus gros patrimoines en toute impunité.

Monsieur le Premier ministre, il est facile de louer le dévouement des maires, comme vous l’avez fait dans votre discours de politique générale. Il l’est manifestement tout autant, pour vous, de leur enfoncer un peu plus la tête sous l’eau, alors que les démissions d’élus locaux se multiplient face à l’ampleur de la tâche, et que les communes, soumises à la règle d’or budgétaire, sont pourtant loin d’être la cause du déficit de la France.

Il est peut-être plus difficile d’aller chercher l’argent là où il est, chez ceux que l’on vous demande, manifestement, de protéger : les héritiers, les actionnaires, les nantis, qui ont tant accumulé, à qui l’État a tant donné ces dernières années, et qu’à votre tour, vous choisissez de préserver.

Monsieur le Premier ministre, j’espère que la raison prévaudra, que vous aurez la sagesse de préserver les élus de terrain des mauvaises polémiques qui minent le moral et des coups de rabots qui sapent l’action locale.

Soyez assuré, Monsieur le Premier ministre, de mon respect républicain.

Ali Rabeh
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