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Billet de blog 8 juin 2019

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L'invective et le dégagisme ruinent la politique

A l'issue des très mauvais résultats de la France insoumise au scrutin européen, nombreuses sont les voix qui appellent à une refondation du mouvement, y compris parmi les cadres de la FI. Publiée dans Médiapart, une note interne appelle à l'avènement d'une assemblée constituante à la rentrée prochaine. Quelques remarques et interrogations.

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Comme il est souligné dans la note interne de la FI, mais aussi dans d'autres tribunes, appels ou contributions publiés au sujet de la grave crise que traverse la France Insoumise, J-L Mélenchon  porte une lourde responsabilité face à la débâcle électorale et au chaos interne que traverse ce mouvement. Il serait trop simple, trop facile d'en rester là cependant. Car enfin, si le leader de la FI est connu pour son autoritarisme, sa volonté de contrôler voire de verrouiller tout débat interne, une grande partie des "cadres", dont certains  ne sont pas présents sur cette liste sont tout aussi responsables de ce naufrage démocratique attristant. Mélenchon n'a fait fusiller personne que je sache. A les lire, ils ne se seraient aperçus du déficit démocratique au sein de la FI que le 9 janvier. Avant cette date, est-ce-à-dire que tout marchait sur des roulettes? On a du mal à les croire sur ce point précis. Pendant la campagne présidentielle (fort réussie au demeurant),  puis juste après l'élection de Macron, JLM et ses poulains tenaient déjà des propos ambigus et firent montre de comportements rigides. L'autoritarisme était déjà à l'oeuvre. Dans les AG et réunions, sympathisants et militants s'inquiétaient d'une parole confisquée par une minorité de sous-chefs  auto-proclamés, investis officieusement par tel ou tel élu local,  national ou par Mélenchon.

La question n'est pas de savoir s'il faut ou non des leaders. Il en faut. A condition que "les têtes" du mouvement ne soient pas recrutés,  investis par cooptation, adoubés du fait d'une  allégeance au(x) chef(s). Si refonte il y a, celle-ci doit exiger que ce parti (c'en est un de fait) soit  structuré sur des bases réellement démocratiques, où le débat est la règle dans le respect des différences d'analyse, où chaque voix compte, où tous les dirigeants sont élus à tous les stades, cela tant au niveau des structures locales, qu'au niveau des instances nationales. Les contributions locales devant remonter et être prises en compte. Or c'est plutôt l'inverse qui se produit bien que le fonctionnement vertical ne soit nulle part codifié, ni imprimé dans le marbre. Bien au contraire. Officiellement, le primat est donné à la délibération, à l'action horizontale.

Au niveau local et national, la priorité est de ne pas rester dans une forme d'entre-soi confortable, mais bien d'ouvrir grandes les portes, d'aller au devant  des citoyens, sans écarter aucun des problèmes majeurs qu'ils rencontrent : logement, emploi, santé , insertion, école,etc. Ecouter, recueillir, proposer et agir. L'un ne devrait pas sans l'autre. Or l'on voit bien -et ce n'est pas propre à la FI- que si des mini-rencontres publiques ou mobilisations existent localement, rares sont celles qui débouchent sur une action concrète, aboutie où  les habitants s'investissent,  une action portant franchement  telle ou telle revendication, quitte à remettre en cause les choix politiques d'édiles locaux, des décisions administrations iniques, ou des situations injustes où la loi du business l'emporte.

S'agissant des élus nationaux, ils ont de part leur travail au Parlement, plutôt contribué à sauver la mise. Ce qui n'interdit pas de critiquer chez certains, cette façon parfois drôle, parfois déplacée de faire de l'agit-propre sur les bancs de l'Assemblée. Mimétisme? 

Bien avant la Présidentielle, nous fûmes plusieurs qui écrivîmes à  Jean-Luc Mélenchon, encore à la tête du Front de Gauche, pour lui transmettre notre émotion,  lui dire combien la violence verbale, les petites phrases limites, la provocation étaient déplacées, humiliantes, contre-productives, lourdes de danger. Que les citoyens n'aimaient pas se voir renvoyer une image dégradée d'eux-mêmes (vocabulaire grossier, interpellations agressives).

 Parmi un florilège déjà fourni, nous avions notamment gardé en mémoire une déclaration, à nos yeux inconcevable, faite lors d'une interview remontant à  2013 sur Hit -radio  (https://youtu.be/-HRSouBlihE ). Interview où il relatait son histoire, son enfance, son arrivée en Normandie -pays d'alcooliques, d' arriérés selon lui-  après avoir quitté Tanger à 11ans. "Je ne peux pas survivre  au milieu de personnes quant y'a que des  blonds aux yeux bleus", c'est au-dessus de mes forces."  déclara-t-il alors. 11ans. C'était donc en 1962.  Je vivais en Normandie... à la même époque. On n'a pas vu la même chose et pourtant je suis native de la région sur plusieurs générations d'ouvriers agricoles. Sans doute cette phrase, comme d'autres plus tard, avait-elle choqué nombre de citoyens, tant dans les couches populaires et classes moyennes. Qui ne dit mot... ne consent pas pour autant.

Comment pouvait-on prétendre conduire un mouvement de gauche, puis plus tard se présenter à l'élection présidentielle et penser de telles vilenies empreintes d'ignorance, de préjugés, de haine. Pour ne pas dire plus. En écoutant ces propos, puis plus tard ce goût permanent pour l'invective et la colère non contrôlée qui constituent son talon d'Achille,  il était prévisible, sauf  remise en cause personnelle, que cet homme allait "s'auto-saboter", tout ficher en l'air (avec  ses fidèles) de ce qu'il avait si difficilement et patiemment contribué à construire, du fait de ces incartades douteuses. Trait de "caractère méditerranéen" argumente-t-il chaque fois qu'il dérape? Ce ne peut être une excuse.

JLM, comme nombre de militants et cadres FI,  considère dans la lignée d'autres hommes politiques,  qu'il faut parler "dru"  pour être compris par "le peuple", les populations d'origine modeste ayant prétendument une inclination pour la rudesse du langage. Mépris inconscient. Comme si "le peuple de gauche"convaincu ou  putatif n'avait que gros mots à la bouche. Postulat erroné qui dénote une  méconnaissance de ces milieux. De même que les classes moyennes et populaires détestèrent vite les saillies à la testostérone de Sarkozy, ainsi que sa violence verbale et gestuelle, elles n'aiment pas davantage celles de Mélenchon et de certains de ses adjudants. (Et encore moins, bien sûr, celles de Macron, lequel joue sur autre registre, sans gros mots, mais clairement et volontairement méprisant).

En politique, l'objet du désir est ailleurs. Si la grossièreté  a envahi le champ politique et nombre de médias, c'est se tromper que de penser que les citoyens se retrouvent dans celle-ci, a fortiori lorsqu'elle émane de  leaders politiques. Cette posture ne produit aucun effet miroir, mais au contraire un effet repoussoir. Un homme ou une femme politique a pour mission d'élever le débat, de forger une espérance, de contribuer à ce que les citoyens se reconnaissent dans les idées et le projet qu'il défend,  y retrouvent le meilleur d'eux-mêmes. L'espoir de faire ensemble quelque chose de positif, de plus grand que soi. 

Sans compter le fait qu'on ne construit pas d'alternance à gauche, en vase clos, avec le dessein de clouer au tapis les autres formations, ce qui fut clairement énoncé. Ce qui n'exonère d'ailleurs pas les autres partis politiques se réclamant de la Gauche de leur propres responsabilités. Le refus de faire front commun a mis tout le monde KO. Y compris récemment, aux Européennes, lorsque les têtes de listes avaient fait une bonne campagne.

Cela étant dit, nombre de cadres de la FI ont souvent fermé les yeux, parfois imité le style grande gueule du boss,  restreignant eux aussi  les possibilités d'un vrai débat interne.  Et puis, que n'ont-ils rué dans les brancards plus tôt? Avant le désastre. Formidable gâchis. Qui ne saurait être réparé avant de longs mois de travail, de remise à plat et de discussions larges. Avec d'autres formations politiques proches, sans quoi, la Gauche n'est pas prête de retrouver des jours meilleurs. Cela à un moment où sa présence serait plus que jamais essentielle, face au mur que représente le duo Macron/Le Pen.

Le  "dégagisme" tant prôné par la FI et son leader n'a jamais été un mot rassembleur, mais au contraire empreint d'une violence sourde. Un mot qui fait peur car porteur d'hypothèses sombres, d'imaginaires négatifs.

En politique, on doit émettre des propositions (ce fut fait), les défendre pied-à-pied,  mais nullement s'arroger le monopole de la pureté. Notion de pureté traduisant  l'idée selon laquelle seule la FI rejetterait toute compromission. Dans la pratique tout  compromis ... Ce concept de pureté est peu engageant. Les citoyens ne sont  ni sourds ni amnésiques. Si certains trop jeunes, n'ont pas les référents historiques leur permettant d'apprécier le sens historique des mots, il est une majorité d'entre eux qui, bien qu'isolés, silencieux, déprimés, voient leurs oreilles et leur mémoire heurtées par certaines expressions.

Même si celui qui s'exprime ainsi ne peut en aucun cas être comparé, d'aucune façon que ce soit, avec les anti-républicains, Rassemblement national, Identitaires et autres hurluberlus dangereux du même acabit. Ce que fait avec une joie et un cynisme non dissimulés, par pur calcul, une large panoplie de commentateurs.

Pendant cette belle campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon et nombre de militants ou sympathisants ont aimé reprendre en choeur : "Que se vayan todos". Or, rien de comparable entre l'histoire politique de la France et de l'Argentine. Comparer, c'est oublier que ce cri du peuple argentin, né dans un pays où corruption, dictature et régime autoritaire ont essoré l'économie et détruit la vie de millions de personnes était en réalité un cri de colère profondément dénué d'espoir. Cela, même si le  mouvement de contestation des Piqueteros à partir de 2001 et les  manifestations monstres des cazoleros  obligèrent  Fernando de la Rua à quitter fissa, la Casa Rosada pour laisser place à Nestor Kirchner, élu en mai 2003. Si puissant, profond et symptomatique soit-il de la fracture sociale,  du réveil des classes populaires, le mouvement des Gilets Jaunes n'est pas assimilable à celui des grévistes et manifestants latinos. Il y a fort à parier que ce mouvement est durable, mais qu'il n'ébranlera pas le pouvoir en place, faute justement d'alternative crédible, progressiste et durable. A Gauche d'ici à trois ans. A moins -scénario catastrophe - que plus de 50%  des Français votants en arrivent à franchir le pas et placent Marine le Pen à l'Elysée. Le dégagisme profite quasi-toujours à la Droite ou l'extrême droite . Il  n'est  porteur d'aucun avenir radieux. En Europe, en tous cas.

A lire : 

*https://blogs.mediapart.fr/pommeframboise/blog/070619/repenser-le-fonctionnement-de-la-france-insoumise-note-integrale

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