Tout d’abord, rappelons qu’Israël et l’Autorité palestinienne sont tous deux signataires des Conventions de Genève.
D’un côté, le Hamas a pratiqué des bombardements qui ont tué des civils. 1 300 personnes sont mortes au total, d’après l'armée israélienne, dont une majorité étaient des civils. Les combattants du Hamas ont également pris en otage des personnes civiles. Ceci est contraire à l'article 34 de la IVe Convention de Genève. Ces actions du Hamas constituent une violation du droit international humanitaire.
Voyons à présent les violations du droit international humanitaire du côté israélien. Les représailles contre les personnes civiles sont interdites par le droit international humanitaire. Or, le blocus complet de la bande de Gaza peut être interprété comme une forme de représailles, de même que les bombardements qui ont touché des victimes civiles. Selon l'ONU, 5 540 maisons ont été détruites et environ 3 750 autres logements ont été endommagés. Plus de 2 200 personnes, la plupart étant des civils, dont plus de 720 enfants, sont décédées, selon les autorités palestiniennes. Pourtant, d'après l'article 33 de la IVe Convention de Genève, « Aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu'elle n'a pas commise personnellement. (...) Les mesures de représailles à l'égard des personnes protégées et de leurs biens sont interdites. » Les personnes protégées visées ici sont, entre autres, les personnes civiles.
Ces bombardements israéliens, qui ont causé des dommages à des civils et à des bâtiments civils, sont très problématiques. En effet, selon l'article 48 du Protocole additionnel I des Conventions de Genève, « En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires. » Les bombardements qui ne font pas la distinction entre les cibles civiles et les cibles militaires ne sont donc pas conformes au droit international humanitaire.
Les bombardements de la bande de Gaza peuvent aussi être critiqués d’un autre point de vue. En effet, selon le Protocole I, article 35 « 1. Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité.
2. Il est interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus. » Il est ainsi possible de considérer que les bombardements actuels de la bande de Gaza par l'armée israélienne causent des « maux superflus ».
La bande de Gaza subit un blocus par Israël depuis 2007, depuis la prise du pouvoir du Hamas. En réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre, les Gazaouis sont désormais soumis à un siège complet. Ils sont privés d'approvisionnement en eau, en électricité ou en nourriture. Seule ouverture, le point de passage de Rafah, au sud de Gaza, est contrôlé par les Égyptiens, mais il est actuellement fermé.
Le jeudi 12 octobre, le ministre israélien de l’Énergie, Israël Katz, a affirmé qu’Israël n’autoriserait pas l’entrée de produits de première nécessité ou d’aide humanitaire à Gaza tant que le Hamas n’aurait pas libéré les otages. Le blocus auquel sont soumis les Gazaouis est ainsi particulièrement sévère.
Mais le blocus complet de Gaza pose problème du point de vue du droit international humanitaire. En effet, selon l'article 54 du Protocole additionnel I des Conventions de Genève,
« 1. Il est interdit d'utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre.
2. Il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de mettre hors d'usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que des denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d'eau potable et les ouvrages d'irrigation, en vue d'en priver, à raison de leur valeur de subsistance, la population civile ou la Partie adverse, quel que soit le motif dont on s'inspire, que ce soit pour affamer des personnes civiles, provoquer leur déplacement ou pour toute autre raison. »
L’eau et l’électricité sont des biens indispensables à la survie des civils. En priver les Gazaouis est contraire au droit international humanitaire.
Le blocus est également contraire à l'article 23 de la IVe Convention de Genève.
« Chaque Haute Partie contractante accordera le libre passage de tout envoi de médicaments et de matériel sanitaire ainsi que des objets nécessaires au culte, destinés uniquement à la population civile d'une autre Partie contractante, même ennemie. Elle autorisera également le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches. »
Ainsi, d’après cet article, un soutien humanitaire vers la bande de Gaza devrait être autorisé et non empêché.
Nous pouvons ainsi constater que plusieurs violations du droit international humanitaire ont lieu dans le cadre de la guerre israélo-palestinienne commencée le 7 octobre 2023. Ces violations du droit international humanitaire ont lieu aussi bien du côté israélien que du côté palestinien (du côté du Hamas).
D'un point de vue académique, la question de l'application du droit international humanitaire est toujours soumise à débat. Israël est signataire des conventions de Genève depuis 1949. Il n’est toutefois pas signataire des protocoles additionnels de ces conventions. Le Hamas, lui, n'est a priori pas signataire des conventions de Genève. Toutefois, l'Autorité Palestinienne est partie aux quatre Conventions de Genève et au premier Protocole additionnel. Une question sous-tend alors les débats du droit international humanitaire : les pays doivent-ils respecter seulement les textes qu’ils ont signé, ou le droit international humanitaire a-t-il vocation à s’appliquer plus largement, au-delà de la simple discipline des États ?
Il faut également se demander quel droit international humanitaire doit s'appliquer dans le cas de ce conflit précisément. Est-ce qu'il s'agit d'un conflit entre deux États, ou d'un conflit interne à un seul État ? Tout dépend si l'on reconnaît l'Autorité palestinienne comme un État, et si l'on reconnaît le Hamas comme le parti au pouvoir en Palestine (1). Si le Hamas prend part au conflit en tant que parti au pouvoir en Palestine, il s’agit d’un conflit entre deux États. Même sans reconnaître l’État palestinien comme étant partie au conflit, une autre interprétation peut aboutir à la reconnaissance d'un conflit entre deux États. En effet, d'après le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, article 1 (4), « "les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" doivent être considérés comme des conflits armés internationaux. » Si l'on définit l’établissement de colons israéliens à Gaza et en Cisjordanie comme une occupation coloniale, on aboutit au fait que le conflit actuel entre Israël et le Hamas soit un conflit inter-étatique. La dernière option consiste à considérer le Hamas non comme le vainqueur des élections en Palestine en 2006, mais comme une simple organisation. Dès lors, il s'agirait d'un conflit interne à un État, et le droit international humanitaire appliqué devient différent. Le conflit opposerait dans ce cas une organisation terroriste et un État. Ainsi, selon la manière dont on considère les belligérants, et donc selon la manière dont l’on définit le conflit (inter-étatique ou intra-étatique), le droit international humanitaire appliqué sera différent.
Le droit international humanitaire a vocation à limiter, autant que possible, les dégâts causés par les conflits armés. Nous appelons chacune des parties de cette nouvelle guerre israélo-palestinienne à respecter le droit international humanitaire dans toutes ses facettes, pour limiter les pertes humaines et matérielles dans les deux camps.
(1) Cette interprétation du Hamas comme parti au pouvoir en Palestine soulève un ensemble de questions complexes. Il n’y a pas eu d’élections démocratiques pour l’Autorité palestinienne depuis la victoire du Hamas en 2006. Le Hamas a manifestement pris le pouvoir à Gaza, et le Fatah est au pouvoir en Cisjordanie. L’État palestinien semble ainsi lui-même morcelé en plusieurs tendances, qui se sont d’ailleurs apparemment mutuellement affrontées. Il serait ainsi sans doute plus juste de considérer le Hamas comme l’un des partis au pouvoir au sein de l’autorité palestinienne. Mais comme le Hamas a gagné les élections, l’interprétation du Hamas comme parti au pouvoir reste plausible.
Références
AFP, « Confirmation que la Palestine est partie aux Conventions de Genève », L'Orient - Le Jour, 11/04/2014.
https://www.lorientlejour.com/article/862804/confirmation-que-la-palestine-est-partie-aux-conventions-de-geneve.html
Comité International de la Croix-Rouge, Les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels, 01/01/2014
https://www.icrc.org/fr/document/conventions-geneve-1949-protocoles-additionnels
Comité International de la Croix-Rouge, « Israël, État partie », Base de données de droit international humanitaire.
https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gciv-1949/state-parties/il?activeTab=1949GCs-APs-and-commentaries
Comité International de la Croix-Rouge, Résumé des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs protocoles additionnels, décembre 2012.
https://blogs.icrc.org/hdtse/wp-content/uploads/sites/113/2017/06/0368_001_resume-conventions-geneve_low.pdf
FranceInfo, « Guerre entre le Hamas et Israël : dans Gaza bombardée, des milliers de Palestiniens fuient face à la menace d'une offensive terrestre israélienne », FranceInfo, 15/10/2023.
https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/en-images-guerre-entre-le-hamas-et-israel-dans-gaza-bombardee-des-milliers-de-palestiniens-fuient-face-a-la-menace-d-une-offensive-terrestre-israelienne_6121944.html
Galopin Alice, Mathilde Goupil, « Guerre entre Israël et le Hamas : le conflit a fait un million de déplacés dans la bande de Gaza en une semaine », FranceInfo, 15/10/2023.
https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/direct-guerre-entre-israel-et-le-hamas-l-armee-israelienne-donne-un-delai-supplementaire-aux-habitants-pour-evacuer-le-nord-de-gaza_6123294.html
Huffington Post avec l’AFP, « Guerre Israël-Hamas : Mahmoud Abbas sort du silence et réclame "la fin immédiate de l'agression" contre les Palestiniens », Huffington Post, 12/10/2023.
https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-israel-hamas-mahmoud-abbas-sort-du-silence-et-reclame-la-fin-immediate-de-l-agression-contre-les-palestiniens_224358.html