- I. La CSG : une mise en place progressive, appuyée par différents arguments
Une introduction graduelle
La CSG a été introduite par la loi de finances pour l’année 1991, et elle été mise en place le 1er février 1991. Le taux de la CSG a subi plusieurs augmentations depuis cette date. Son assiette a également évolué au fil du temps. Voici un historique simplifié de l’évolution des taux de CSG.
Date de mise en place du taux ----------------Taux de CSG appliqué
---------------1991-------------------------------------------------1,1 %------
---------------1993-------------------------------------------------2,4 %------
---------------1997-------------------------------------------------3,4 %------
---------------1998-------------------------------------------------7,5 %------
---------------2005-----------------------------------8,2%pour la CSG sur le capital uniquement
---------------2018-----------------------------------9,9%pour la CSG sur le capital uniquement
---------------2019-----------------------------------9,2 % pour la CSG sur le capital uniquement
Ainsi, le taux de CSG a été augmenté de manière très progressive au fil des années. De même, la part de la CSG dans le financement de la Sécurité sociale en France a progressivement augmenté, comme en témoigne le passage suivant.
« Au fil du temps, le poids de la CSG dans le financement de la Sécurité sociale est donc devenu très important. Les impôts et taxes affectés (ITAF) sont des prélèvements fiscaux explicitement affectés au financement de la protection sociale. Avec 24,2 % du total des ressources en 2017 (188, 9 Md€) contre 3,4 % en 1990, ils constituent la deuxième source de financement de la protection sociale après les cotisations sociales (60,9 % en 2017) (chiffres de la DREES, cf. DREES, 2019). On distingue une cinquantaine d’ITAF (...), parmi lesquels la CSG qui représente à elle seule plus de la moitié du montant des ITAF [19] ainsi que la CRDS. « La montée en puissance des ITAF constitue le changement majeur des vingt-cinq dernières années en matière de financement de la protection sociale. Le modèle français de protection sociale s’est ainsi éloigné d’une logique purement bismarckienne » (Barnoin, Dombs, 2017, p.3)», (Calmette, 2019).
Note [19] : 99,4 milliards d’euros sur 188, 9 milliards d’euros de montant global en 2017, DREES, op. cit.
Ainsi, la part de la CSG dans le financement de la Sécurité sociale a progressé de manière importante. Toutefois, comme Calmette l’affirme lui-même, la CSG représente environ un peu plus de 12 % du financement de la Sécurité sociale en 2017, ce qui reste un montant minime comparé aux 60 % que représentent encore les cotisations sociales cette même année. Mais le poids de la CSG continue de progresser par la suite, comme en témoigne le tableau suivant.
Répartition des recettes de la Sécurité sociale en 2021
Cotisations sociales ------------------------------------49%
Cotisations d'équilibre de l'employeur --------------8%
Cotisations prises en charge par l'État --------------1%
CSG -----------------------------------------------------20%
Taxes et autres contributions sociales --------------18%
Transferts -----------------------------------------------2%
Autres produits -----------------------------------------2%
On peut voir que la CSG a progressé pour représenter désormais 20 % des recettes de la Sécurité sociale. Cette progression de la CSG est notamment liée à la suppression de la cotisation maladie et assurance chômage du salarié, accompagnée d’une augmentation de la CSG de 1,7 %. Cette mesure décidée par Emmanuel Macron contribue au phénomène que nous analysons ici.
Ainsi, la CSG a été mise en place progressivement : les taux appliqués ont augmenté peu à peu, et la part de CSG dans le financement de la Sécurité sociale a également progressé au fur et à mesure. Cette évolution progressive contribue au fait que la CSG soit une « révolution silencieuse ».
Les arguments avancés au moment de la mise en place de la CSG :
« diversifier » les ressources de la protection sociale
Le15novembre1990,le Premier ministre Michel Rocard présentait ainsi à l’Assemblée Nationale la CSG qu’il appelait de ses vœux (Rocard, 1990). Nous soulignons ici les éléments les plus importants de son discours, directement dans le texte.
« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, réformer la sécurité sociale pour garantir son avenir, telle est mon ambition, tel est le chemin sur lequel le Gouvernement doit conduire le pays. (…) Mais parlons clair et sans détour : nous devons maitriser l'évolution des dépenses sociales et nous devons en répartir justement - je dis bien « justement » - la charge entre tous. Nous ne réussirons que si nous savons concilier les exigences de justice sociale avec les impératifs de croissance économique.
Aussi la modernisation du financement de la sécurité sociale que je vous propose d'engager m'apparait-elle essentielle pour trois raisons.
La contribution sociale généralisée est une réforme de justice sociale. (...)
Voilà quarante-cinq ans - je dis bien « quarante-cinq ans » - que le mode de financement de la sécurité sociale est jugé injuste sur le plan social et inefficace sur le plan économique.
Les cotisations sociales touchent davantage les bas et moyens revenus en raison de leur plafonnement et de leur déductibilité fiscale. Elles reposent, pour l'essentiel, sur les salaires et pèsent ainsi sur le coût du travail, donc sur l'emploi ...
M. Louis Pierna. Il faut imposer le capital !
M. le Premier ministre.C'est ce que nous faisons ! Vous n'avez qu'à voter nos textes ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe communiste.) (…)
M. le Premier ministre. Mon gouvernement propose aujourd'hui l'élargissement à l'ensemble des revenus, capital compris, du financement de la sécurité sociale. Je n'avance donc pas masqué et mes choix sont clairs. J'en rappellerai six qui inspirent le texte.
Premièrement, la contribution sociale généralisée est un impôt. (…)
Troisièmement, la contribution sociale généralisée pèsera sur tous les revenus. Oui, les revenus du patrimoine y contribueront, et les revenus de remplacement également. (...)
Chacun paiera dorénavant les charges de solidarité nationale en fonction de son revenu et sur la base d'un principe fort simple : à revenu égal, prestations égales et contribution égale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Je crois pour ma part à ce vieux principe républicain qui veut que la contribution de tous aux dépenses de tous soit répartie en fonction des possibilités de chacun. Cela remonte à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».
Nous pouvons voir dans ce discours la mise en avant de la thématique de la « justice », et de l’imposition du capital comme faisant partie des valeurs importantes qui sous- tendaient en 1990 la mise en place de ce nouvel impôt qu’est la CSG. En imposant à la fois les salaires, les revenus de remplacement et le capital, une répartition souhaitable et juste du financement de la protection sociale semble possible, d’après les propos du Premier ministre Michel Rocard.
Cet objectif de faire contribuer de « nouveaux » acteurs à la protection sociale se retrouve également dans le nom de ce nouvel impôt qu’est la CSG, comme le souligne Jean-François Calmette :
« La contribution est « sociale », elle est donc bien destinée à financer la protection sociale.
Et elle est « générale », c’est-à-dire qu’aucun revenu ne peut y échapper » (Calmette, 2019, p. 15) .
Ainsi, il s’agit de faire contribuer tous les revenus pour plus de justice dans la répartition du financement de la protection sociale.
Une contribution générale présentée comme permettant de garantir le financement de la Sécurité sociale malgré la crise économique
Nous pouvons également trouver résumés d’autres arguments de la mise en place de la CSG dans la citation suivante :
« L’idée d’une contribution de nature fiscale frappant tous les revenus permettait de répondre aux inconvénients des cotisations classiques assises sur les seuls salaires et dont le rendement est directement lié à la situation de l’emploi mais aussi aux voix qui commençaient à s’élever contre le financement exclusivement professionnel d’un système qui avait de plus en plus vocation à couvrir des risques sans aucun lien avec les revenus du travail. La CSG a ainsi pour finalité la mise en œuvre du principe de solidarité générale sans idée de contrepartie » (Lanteri, blog #Le tag social).
Utiliser la CSG devait donc garantir un certain niveau de ressources pour la Sécurité sociale indépendamment de la situation de l’emploi en France. Comme le souligne Lorenzo Lanteri, la CSG tend à affaiblir le concept d’une protection sociale contributive, pensée comme un droit associé au versement de cotisations sociales.
La CSG, une fiscalisation relative des ressources de la Sécurité sociale
Par ailleurs, la mise en place de la CSG a été interprétée par des analystes comme une modification du financement de la Sécurité sociale, vers une « fiscalisation ».Par exemple, Jean-François Calmette s’exprime en ces termes sur cet impôt :« Assez indolore au départ puisque prélevée à la source au taux de 1,1 %, l’instauration de la CSG inaugure une fiscalisation progressive (...) du système français de protection sociale annonçant la fin de la spécificité du modèle français » (Calmette, 2019) 1. Cependant, la fiscalisation ici mentionnée n’est que relative, car les cotisations sociales restent la part la plus importante du financement de la Sécurité Sociale (49 % en 2021, voir ci-dessus).
Ainsi, différents arguments ont été avancés au moment de la mise en place de la CSG. L’argument de la justice était central. La CSG ne dépendrait pas des salaires et permettrait de financer la protection sociale malgré les effets délétères de la crise sur le taux de chômage en France. L’analyse des conséquences concrètes de la mise en place de la CSG permet de comprendre que l’objectif de diversification des ressources de la protection sociale n’a pas été atteint, et que les arguments ici évoqués ne tiennent pas la route.
II. La CSG déplace le poids de la protection sociale vers les salariés
La CSG sur le capital rapporte une somme d’argent très limitée
Les rapports récents sur les montants collectés au titre de la CSG montrent que la CSG sur le capital ne rapporte que des montants limités.
Rendement de la CSG par assiette en 2020
Calculé d’après le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité Sociale, septembre 2021
Type de CSG --------------------Pourcentage----------Montant en milliards
--------------------------------------------------------------d’euros en 2020
CSG activité------------------------69,51%----------------84, 400
CSG remplacement-------------19,97 %----------------24, 239
CSG patrimoine------------------5,02 %------------------6, 095
CSG placement-------------------5,33 %------------------6, 465
CSG sur les jeux------------------0,32 %------------------0, 392
Majorations et pénalités-----------0,12 %-----------------0, 144
Consolidation de la CSG
prise en charge dans
le cadre de la PAJE-------------(-0,27 %)---------------(-0, 329)
TOTAL CSG brute--------------100 %------------------121,406
Note : le pourcentage correspond à la part du type de CSG sur l’ensemble des recettes de CSG, arrondie au centième.
Pour obtenir la CSG sur le capital, nous combinons la CSG patrimoine et la CSG placement. Ainsi, la CSG activité (sur les salaires) représente 69,5 % du total des recettes de la CSG en 2020, contre 10,3 % pour la CSG sur les revenus du capital. Cette répartition entre les différents types de CSG n’est pas spécifique à l’année 2020. L’année 2021 est caractérisée par des proportions similaires.
Rendement de la CSG par assiette en 2021
Calculé d’après le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité Sociale, septembre 2022
Type de CSG --------------------Pourcentage----------Montant en milliards
---------------------------------------------------------------- d’euros en 2021
CSG activité------------------------70,69 %------------------92, 618
CSG remplacement--------------18,33 %------------------ 24, 017
CSG patrimoine--------------------4,71 %-------------------6, 167
CSG placement---------------------6,11 %-------------------8, 007
CSG sur les jeux--------------------0,34 %-------------------0, 445
Majorations et pénalités------------0,11 %-------------------0, 139
Consolidation de la CSG
prise en charge dans
le cadre de la PAJE-------------(-0,29 %)-------------------(-0, 380)
TOTAL CSG brute--------------100 %----------------------131012
En 2021, la CSG activité (sur les salaires) représente 70,69 % du total des recettes de la CSG contre 10,82 % pour la CSG sur les revenus du capital. Si l’on oppose ménages et capital, en mettant ensemble dans cette catégorie des ménages la CSG activité et la CSG remplacement, le rapport est encore plus défavorable : les ménages prendraient en charge 89,02 % de la CSG contre 10,82 % pour la CSG sur le capital.
Nous pouvons ici relever une contradiction entre les objectifs affichés par Michel Rocard aumoment de la création de la CSG et ses effets concrets. En effet, dans son discours, le principe de justice était illustré par le fait que tous les revenus étaient mis à contribution,même ceux du capital, à un taux d’imposition similaire. Cependant, la CSG du patrimoine, dans les faits,ne représente que 10 % du montant total perçu par l’État au titre de la CSG. Dès lors, alors que lamultiplicité des revenus mis à contribution était censée garantir le caractère de justice de la CSG, nous pouvons constater que tous les types de revenus ne permettent pas de garantir un niveau decontribution équivalent entre les différents acteurs. De fait, la mise en place de la CSG permet un déplacement du poids du financement de la protection sociale vers les salariés, car ce sont eux qui en portent la charge la plus importante (environ 70 % du total du montant perçu au titre de cet impôt). La CSG met ainsi en place une répartition de la contribution entre capital et travailleur qui est moins favorable que les cotisations sociales.
Dès lors, on peut aussi en conclure que la CSG ne permet pas de garantir des ressources indépendamment du niveau de l’emploi, comme cela a été avancé au moment de sa création. La CSG dépend principalement des salaires, et en cela elle diffère peu des cotisations sociales. L’équité de la CSG semble donc moins importante qu’avec les cotisations sociales. Ces dernières garantissaient un certain niveau de parité entre la contribution des employeurs et des employés. On est loin des 70 %-10 % qui sont la répartition capital/travail de la CSG.
L’illusion d’équité est produite par le taux appliqué de CSG, qui était initialement identique pour tous les revenus, et qui est désormais globalement similaire. Toutefois, il s’agit d’une illusion. L’assiette (le montant à laquelle on applique le taux) à laquelle le taux est appliqué diffère totalement. Il y a beaucoup plus de salaires à taxer que de revenus du capital à taxer. Comme l’assiette est différente, on a des revenus qui ne sont pas équivalents pour la CSG capital et la CSG activité, même si l’on applique le même taux.
Nous appelons le phénomène ici à l’oeuvre une illusion de désignation : en désignant deux éléments côte à côte, on a l’impression qu’ils sont équivalents. Pourtant, en regardant les chiffres, on se rend compte que les deux éléments présentés côte à côte sont différents. L’existence d’une CSG activité et d’une CSG du capital suggère une équité dans leur contribution. Pourtant, les chiffres montrent que ces deux CSG ne sont pas équivalentes.
Les cotisations sociales ont un meilleur rendement pour la protection sociale que la CSG grâce au rôle de tiers garant du travailleur
Auparavant, la Sécurité sociale était financée principalement par des cotisations sociales assises sur les salaires, ces cotisations étant financées en partie par les travailleurs et en partie par les employeurs. Ces cotisations sociales existaient dans un contexte où l’État fixait un salaire minimum, et la part employeur des cotisations sociales constituait de fait une forme de « sur-salaire»obligatoire ou un « salaire additionnel indirect et obligatoire » pour le travailleur.
Cette situation avait un avantage pour les institutions de protection sociale. En effet,l’employeur a le devoir de déclarer à l’URSSAF tous les employés qu’il fait travailler sous son autorité.Ce « devoir de déclaration » des travailleurs était ainsi couplé au versement des cotisations sociales. Cette situation permet de mettre en présence trois acteurs, qui contrôlent réciproquement leurs agissements dans le cadre de l’établissement de la relation de travail : ces trois acteurs sont l’employeur, le travailleur et l’URSAAF, l’organisme principal de collecte des cotisations sociales pour la Sécurité Sociale en France. Cette co-présence de différents acteurs dans le cadre d’une relation de travail définie légalement et associée au versement de cotisations sociales est un système particulièrement intéressant du point de vue du niveau de garantie des ressources financières attribuées au système de protection sociale. En effet, le travailleur joue concrètement le rôle de « tiers garant » du versement d’un minimum de cotisations sociales aux organismes de protection sociale. Les salariés recevant obligatoirement un bulletin de salaire, où ils peuvent vérifier le versement des cotisations obligatoires, on peut penser que le fait d’associer la relation d’emploi au versement des cotisations permet de garantir un niveau de perception élevé des cotisations sociales effectivement dues à la Sécurité sociale.
La CSG utilisée en remplacement des cotisations sociales permet de contourner ce rôle de « garant » qu’avait le travailleur par rapport au paiement par l’employeur des cotisations sociales dues aux institutions concernées. Cette perte de la « fonction de tiers garant » par le travailleur a sans doute eu un effet sur la possibilité de percevoir les sommes venant des revenus du capital : il est possible que cela contribue au fait que l’on puisse moins taxer le capital.
Nous avons pu constater ci-dessus que la CSG sur les revenus du capital rapporte relativement peu d’argent. Comment expliquer ce phénomène ? Il semblerait que cette CSG soit basée surtout sur les simples déclarations des entreprises. Or dans la présentation de leurs comptes, les entreprises ont un certain pouvoir discrétionnaire. En effet, lorsqu’un profit est réalisé, il est possible pour les entreprises de d’affecter les sommes dégagées à l’investissementpar exemple, ou à d’autres dépenses. Ce pouvoir discrétionnaire des entreprises dans la présentationde leurs comptes et dans l’affectation de leurs crédits leur donne une certaine marge de manœuvredans la définition de leur revenu qui est pris en compte en tant que profit. En effet, les entreprises sont taxéessur leurs bénéfices auquel on soustrait les dépenses desentreprises. Il est donc possible pour les entreprises d’augmenter leurs dépenses pour réduire leurtaxation, ou de jouer sur divers leviers d’optimisation fiscale. Une fois le niveau de bénéfice déterminé, ces bénéfices pourront éventuellement êtreversés aux actionnaires sous la forme de dividendes, et ce sont ces versements seulement qui serontciblés par la CSG. Ainsi, la CSG passe après de nombreuses opérations comptables préalables, qui sont dans une certaine mesure à la discrétion des entreprises.
En outre, nous pouvons penser qu’il existe un niveau important d’évasion fiscale,et que certains profits ne sont pas déclarés et qu’ils échappent ainsi à l’imposition. Il est aussi également possible que les revenus du capital soient versés à des personnes étrangères qui ne relèvent pas de la Sécurité Sociale française. Or dans ce cas, ces personnes ne payent pas la CSG, comme l’explique Jean-François Calmette:
« (…) suite à un arrêt Dreyer n°422780 du 1er juillet 2019, le Conseil d’État a confirmé récemment que les revenus du patrimoine perçus en France par les personnes qui ne sont pas affiliées obligatoirement au régime français de Sécurité sociale ne peuvent pas être soumis aux prélèvements sociaux qui « financent même partiellement des prestations de Sécurité sociale », en application d’un arrêt de la CJUE C-372/18 du 14 mars 2019 » (voir Dort, 2019) 13.
Le capital détenu par des personnes non-couvertes par la Sécurité sociale française échappe donc à l’imposition de la CSG.
Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, il semble que la CSG sur le capital soit plus facilement évitable pour les entreprises que les cotisations sociales assises sur les salaires des travailleurs. De ce fait, les cotisations sociales semblent plus sûres que la CSG pour garantir un niveau de financement de la sécurité sociale dans notre pays.
Une déconnexion de la notion de « droit social » et de la notion de « paiement des cotisations »
Enfin, la CSG conduit à dissocier deux dimensions importantes. En effet, les cotisations sociales font le lien entre le paiement des cotisations sociales et l’attribution de droits sociaux. La CSG, elle, permet le paiement d’une somme allouée à la protection sociale, mais elle ne permet pasà la personne qui paye d’obtenir un droit à des prestations spécifiques. Cette évolution est aussi une forme de révolution.
Conclusion : avec la CSG, le financement de la Sécurité sociale pèse davantage sur les salariés et sur les ménages
« Les revenus d’activité constituent l’assiette principale (65%) des recettes des régimes de base et du FSV (cf. graphique 2). En effet, les cotisations (en quasi-totalité) et la CSG (à 70%) sont assises sur ces revenus, ainsi que certaines recettes fiscales, notamment le forfait social et la taxe sur les salaires. Les prélèvements sur la consommation représentent 12% du total et sont composés de la TVA, des droits sur les tabacs et les alcools. Ceux des revenus de remplacement (CSG surtout) représentent 4% des recettes. La part des prélèvements sur les revenus du capital est restée stable à 3% des recettes. Enfin, 2% des recettes sont issues de la taxation de l’activité des entreprises, notamment la taxe de solidarité additionnelle et la contribution sociale de solidarité des sociétés (cf. fiche 1.4), tandis que la cotisation d’équilibre de l’employeur représente 8% des recettes » (Rapport de la Commission des Comptes de la Sécurité sociale, septembre 2022 sur l’année 2021, page 40).
Cette citation d’un rapport de la Commission des Comptes de la Sécurité sociale confirme notre affirmation : la CSG pèse davantage sur les salariés que sur le capital, et en général, le financement de la Sécurité sociale pèse de plus en plus sur les salariés.
La CSG est une révolution silencieuse, parce qu’elle a été mise en place très progressivement. La CSG avait pour but une répartition « juste » du financement de la protection sociale. Au contraire, elle déplace la charge du financement de la Sécurité sociale vers les salariés. Comme la CSG dépend des salaires principalement, on ne peut pas dire qu’elle permet de faire contribuer de nouveaux revenus pour surmonter la crise du chômage. La dépendance au niveau de masse salariale reste globalement inchangée. Le fait de parler d’une CSG activité et d’une CSG sur le capital produit une illusion de désignation. Pourtant, lorsque l’on étudie les chiffres, un ratio d’environ 70 % contre 10 % montre que le poids de la CSG est essentiellement supporté par les salariés. Pour faire payer le capital, les cotisations sociales employeur sont plus efficaces que la CSG. Le travailleur joue un rôle de tiers garant dans ce cas, alors qu’avec la CSG sur le capital, le prélèvement survient après tout un travail de présentation des comptes de l’entreprise, où celle-ci dispose d’un pouvoir discrétionnaire important. Enfin, la CSG affaiblit la notion de protection sociale pensée comme un droit, et cela semble moins protecteur pour le travailleur. En résumé, la CSG a été une révolution silencieuse du financement de la protection sociale ; elle a déplacé une partie du coût de la Sécurité sociale vers les épaules des salariés, contrairement aux arguments invoqués lors de sa mise en place.
Références
Barnouin Timothée, Domps Aurore, « 55 ans de diversification des financements de la protection sociale », Études & Résultats, DREES, mars 2017, n°1002.
Calmette Jean-François, « La discrète montée en puissance de la CSG », Gestion & Finances Publiques, 2019/6 (N° 6), p. 76- 84. https://www.cairn.info/revue-gestion-et-finances-publiques- 2019-6-page-76.htm
Commission des comptes de la Sécurité sociale, rapports
DortAurélie,«La jurisprudence de la CJUE du 14 mars 2019 ou l’affaire de Ruyterbis »,RDS, n° 90, 2019, pp. 664-667. Ministre de l’Action et des comptes publics contre M. et Mme Raymond Dreyer.
DREES, La protection sociale en France et en Europe en 2017 - Résultats des comptes de la protection sociale, édition 2019
Lanteri Lorenzo, blog #le tag social
https://www.letagsocial.com/single-post/2017/09/12/Bascule-cotisations-CSG-Comment-Macron-change-notre-paradigme-de-protection-sociale
Loin°90-1168du29décembre1990de financespour1991,JORFn°303,30déc. 1990,p.16367.https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000717191/
Rocard Michel, Déclaration du Premier ministre, sur la contribution sociale généralisée (CSG), àl'Assembléenationalele15novembre1990.https://www.vie-publique.fr/discours/195965- declaration-de-m-michel-rocard-premier-ministre-sur-la-contribution-s