« On sera au rendez-vous (...) de la bataille pour l'écologie et la biodiversité », déclare le président.
Qu'est-ce que cela veut dire, « être au rendez-vous » ? Il s'agit d'une formule floue, qui suggère une action positive sans en préciser les modalités. Cette phrase est présente à la fin de l'interview, pour résumer les différents domaines d'action de la France. Quelles sont les mesures pour l'écologie présentées par le président ? Peut-on dire que la France est suffisamment « au rendez-vous » des enjeux environnementaux ? Pour répondre à ces questions, nous mettrons les mains « dans le cambouis » en nous confrontant directement aux propos du président pour les analyser passage par passage.
« Je suis convaincu que nous avons un chemin qui est celui de l'écologie à la française », affirme le chef de l’État.
Le président parle d'une écologie à la française, qu'il définit comme une « écologie de progrès ». Toutefois, le discours du président sur l’écologie reste limité à un domaine précis, celui des émissions de gaz à effet de serre, sans envisager les autres enjeux écologiques.
« On a fait la moitié du chemin. On a fait la moitié du chemin qu'on avait à faire et on l'a fait parce que ces 5 dernières années, on a réduit nos émissions de CO2 deux fois plus qu'on ne l'avait fait les 5 années d'avant. Et donc, vous le voyez, d'ici à 2030, il nous faut faire l'autre moitié du chemin, simplement, il faut aller deux fois plus vite. »
Vérifions les affirmations de notre président, mais cette fois en utilisant les données en valeur absolue. En effet, l’accélération d’une réduction peut, mathématiquement, ne pas correspondre à une grande réduction.
Il nous faut également définir la notion de « chemin » en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Il y a plusieurs références disponibles sur cette question. On peut d’abord penser au contributions nationales déposées dans le cadre de l’accord de Paris. L’UE a déposé une contribution, que nous citons ci-dessous.
« Summary of Updated First Nationally Determined Contribution (NDC)
(submitted 12/18/2020)
"The EU and its Member States, acting jointly, are committed to a binding target of a net domestic reduction of at least 55% in greenhouse gas emissions by 2030 compared to 1990." » (Climatewatchdata.org).
Voici la traduction en français de l’extrait cité.
« Résumé de la première contribution nationale actualisée (soumise le 18 décembre 2020)
L'Union européenne et ses États membres, agissant conjointement, s'engagent à un objectif contraignant d'une réduction domestique nette d'au moins 55% des gaz à effet de serre à l'horizon 2030, comparé au niveau de l'année 1990 ».
En 1990, les émissions de gaz à effet de serre sont estimées à 546 millions de tonnes équivalent CO2 (hors secteur des terres, d’après le document de présentation de la Stratégie Nationale Bas Carbone, SNBC, voir référence ci-dessous). Ainsi, selon l'accord de Paris, 55% des émissions de 1990 représente environ 246 millions de tonnes équivalent CO2, objectif à atteindre en 2030.
En 2022, la France a rejeté 408 millions de tonnes d'équivalent CO2 (Ouest France, 04/04/2023).
On peut imaginer qu’il existe plusieurs manières de calculer le « mi-chemin ». Si l’on prend comme point de départ l'année 1990, et l'objectif de 2030, la moitié du chemin serait à 396 millions de tonnes équivalent CO2. Il est vrai que l'on n'en est pas si loin en 2022 avec 408 millions de tonnes d'équivalent CO2. Mais dire qu'on est à la moitié du chemin donne une impression de facilité trompeuse. En effet, le chemin sera-t-il vraiment terminé en 2030 ? Quels seront les domaines dont on réduira les émissions ? Comment ? Pourquoi ? Lorsque le président parle de « moitié du chemin », il s'agit ici de mettre en avant un résultat positif, plutôt que de détailler des mesures globales pour atteindre la neutralité carbone.
Toutefois, il faut relativiser cet objectif de 2030. En effet, il existe également un autre « chemin » potentiel : la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui se définit comme la feuille de route de la France pour conduire la politique d’atténuation du changement climatique. Ce dernier scénario vise à la neutralité carbone en 2050, et cette neutralité correspond à 80 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Le président parle ici de 2030, et non de 2050. Or, le « chemin » de la réduction des gaz à effet de serre ne s’arrêtera pas en 2030 a priori. Du point de vue des objectifs de la stratégie nationale bas carbone de 2050, nous ne sommes pas à la moitié du chemin. Ainsi, se focaliser sur l’objectif de 2030 permet de parler de résultats positifs pour Emmanuel Macron, en évoquant une « moitié du chemin », qui n’est en réalité que toute relative.
« Demain, je validerai ici même, à l’Élysée, dans un Conseil présidentiel de l'écologie, la planification ».
Il faudra être vigilant et observer ce que signifie le terme de planification écologique dans le vocabulaire macroniste, et sa manière d’être mis en œuvre.
« On doit sortir du charbon »,.
« On va complètement les convertir à la biomasse » (en parlant des sites de Cordemais et Saint-Avold).
La centrale de Saint-Avold avait déjà été fermée peu avant les élections de 2022 (mars 2022), pour être rouverte ensuite en octobre de la même année (Le Nouvel Observateur, 21/09/2022). Doit-on fermer une fois encore cette centrale pour la rouvrir plus tard ? La fermeture puis réouverture de Saint-Avold dans le passé semble plaider pour un manque de réalisme de cette mesure de renonciation au charbon, surtout dans le contexte de fort coût de l'énergie avec la guerre en Ukraine.
« (…) on doit pousser nos ménages à céder les vieux diesels et les vieux véhicules thermiques, comme on dit pour aller plus vers ou de l'hybride et de l'électrique et progressivement de plus en plus de l'électrique. Mais on doit le faire en étant intelligent, c’est-à-dire en les produisant chez nous, les véhicules et les batteries ».
Emmanuel Macron ne dit pas comment il va faire pour que les véhicules électriques soient produits en France. Il ne donne pas de mesures concrètes pour arriver à mettre en œuvre cet objectif. Le soutien aux ménages n'est pas détaillé non plus à ce stade de l’interview.
« Ce qui est très important pour nos Français, c'est qu'on est attachés à la bagnole, on aime la bagnole et moi, je l'adore ».
Nous avons ici un faux pas stratégique : il s'agit de compenser symboliquement la remise en cause des véhicules thermiques. D'un côté, certes, le président dit qu’il faut remplacer les véhicules thermiques. De l'autre, « on aime la bagnole ». L'utilisation d'un registre de langue vulgaire vise à retenir l'attention des téléspectateurs. Peut-être même qu’elle contribue à donner au président un air sympathique. Pourtant, cette formule choquante est creuse : aucune mesure politique n'y est associée. La bagnole que l’on aime, est-elle thermique, électrique ? Hybride ? On ne sait pas. Nous pensons que ce faux pas stratégique sur le plan du niveau de langue permet d'avoir deux volets dans le discours sur la voiture : un discours positif, et un discours de changement. Toutefois, le discours positif exprime seulement un sentiment, et il a donc moins d’implications. S'il est vrai que les Français aiment leurs voitures, quelle conséquence politique faut-il en tirer ? Ce n'est pas précisé. Cette formule, « on aime la bagnole », permet ainsi de rendre en apparence plus favorable à la voiture le discours du président, alors qu'en réalité il ne l'est pas. Il s'agit bien ici de réduire les émissions de C02 et de faire passer les ménages à la voiture électrique ou hybride. Cette formule sert ici à faire vivre un « en même temps », mais sur le plan symbolique. On est contre la voiture thermique, mais on l'adore tout en même temps. On touche ici aux miracles de la communication politique, où les prestidigitateurs peuvent à la fois aller dans un sens et dans son contraire, en tout cas sur le plan symbolique, à condition d’employer les mots qui conviennent.
« Et donc nous sommes en train de reproduire des véhicules électriques sur le sol français ».
« On ouvre 4 très grandes usines de batteries électriques en France en ce moment même. Et toute cette vallée électrique qui ira de Douai à Dunkerque, c'est des dizaines de milliers d'emplois industriels qui vont être créés dans les prochaines années grâce à ça. »
Il n'est pas sûr que la voiture électrique permette de créer tellement d'emplois, car le secteur industriel tend en général à créer un nombre d’emplois limité, avec un niveau d'automatisation de plus en plus élevé des processus de production.
« C'est-à-dire qu'on va à la fin de l'année mettre en place un système au fond, à horizon d'environ 100 euros par mois, on va permettre à des ménages d'acheter des véhicules produits en Europe, électriques qu’ils vont pouvoir amortir ».
Nous pouvons ici noter une mesure concrète du président en faveur de l'écologie et des ménages. Toutefois, l’investissement sera porté par les ménages eux-mêmes, dans le cadre d’un leasing. Est-il réaliste de penser que les constructeurs accepteront massivement de vendre en leasing ? En effet, le leasing consiste également à différer la rémunération des constructeurs automobiles. Le constructeur perçoit plus tard un ensemble de petites mensualités au lieu de toucher le prix total de la voiture immédiatement. Le changement massif vers des voitures hybrides et électriques pourra-t-il être supporté uniquement par les constructeurs et les ménages ? On peut s’attendre à ce que ce leasing ne concerne qu’un nombre marginal de ménages, et à ce que la majorité des Français doive s’équiper à leurs frais, ou en s’endettant à titre privé.
« Et si vous voulez, par rapport au débat sur le pouvoir d'achat qu'on vient d'avoir, l'écologie est la réponse. Ici même, vous savez, à l'Elysée, il y a 5 ans, quand j'ai été élu, on avait deux centrales. Je vous parle très concrètement parce que l'État doit être exemplaire. On avait deux chaudières au fioul. On les a passées toutes les deux d'abord au gaz, c'est la bonne transition. Ensuite, on a mis en place un système de géothermie. Grâce à ça, on est en train de se passer d'une de ces deux chaudières. Et d'ici à 2024, on va pouvoir faire le froid et le chaud grâce à la géothermie. Bilan des courses: on aura réduit de 80 % les émissions. On aura divisé par 3 la facture. Et en moins de 5 ans, on aura fait un investissement rentable. C'est ce qu'on doit faire partout. Simplement, qu’est-ce qu'il faut faire ? Il faut accompagner les ménages les plus modestes ».
Non, on ne peut pas dire que l'écologie soit la réponse au débat sur le pouvoir d'achat. En effet, l'État perçoit la TVA et il peut agir sur les prix s'il décide de le faire, mais il ne le fait pas actuellement. L'exemple du chauffage de l'Élysée n'est pas pertinent. En effet, il suppose des fonds pour investir dans ces pompes à chaleur. L’Élysée a eu accès à ces fonds nécessaires pour moderniser son équipement, mais au niveau des ménages, quel est l'équivalent ? On ne sait pas. On ne peut donc pas filer la comparaison proposée entre l'Élysée et les ménages. Cette comparaison donne au président l'air d'être un peu hors sol, dans son monde à lui, sans se confronter aux enjeux extérieurs et sociaux de la crise écologique, à l'échelle des ménages et à l'échelle nationale. À l’Élysée, tout s’est bien passé. Cet exemple sert d’écran de fumée pour ne pas traiter la question épineuse du pouvoir d’achat, et du financement de la transition écologique.
« On va développer les pompes à chaleur et accompagner les ménages pour s'équiper de pompes à chaleur. Parce que les pompes à chaleur, c'est intelligent, ça fait des économies d'énergie, ça réduit très fortement les émissions et on va produire en France ces pompes à chaleur, on va en produire, on va tripler la production. Donc c'est tout ça la planification écologique ».
Le programme proposé pose question, car il repose sur l'investissement privé. Qu'est-ce que l'accompagnement par le gouvernement dont il est question ? Il s'agit là encore d'un terme sans mesure concrète.
Il ne faut pas interpréter abusivement le terme de planification chez Emmanuel Macron : en effet, il ne s’agit pas d’une politique d’investissements publics coordonnés, mais d’un ensemble de mesures dont la charge financière est encore majoritairement laissé au secteur privé. Le financement de la transition écologique repose ainsi sur les acteurs traditionnels du capitalisme. Le laisser faire libéral perdure, mais sera-il suffisant face à la crise du réchauffement climatique ?
Conclusion : il va falloir encore travailler pour proposer une définition convaincante de l'écologie à la française. L’écologie proposée par Emmanuel Macron reste « dans les choux », ceux du capitalisme, qu’elle ne parvient pas à remettre en cause. L’usage du terme de planification peut sembler être une avancée, mais la démarche globale du président ne semble pas apporter les investissements massifs qui sont nécessaires. Bref, en matière d’écologie, notre gouvernement a encore du pain sur la planche, et les observateurs doivent conserver leur esprit critique.
Notes et références (dans leur ordre d’apparition)
La transcription de l’interview d’Emmanuel Macron
Climatewatchdata.org
https://www.climatewatchdata.org/ndcs/country/FRA?document=revised_first_ndc
Document de présentation de la Stratégie Nationale Bas Carbone, SNBC
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SNBC-2%20synthe%CC%80se%20VF.pdf
Maxime Mainguet, « La France a diminué ses émissions de gaz à effet de serre de 2,5 % en 2022 : est-ce suffisant ? », Ouest France, 04/04/2023
« La centrale à charbon de Saint-Avold, qui avait fermé en mars, va redémarrer début octobre face à la crise énergétique », Le Nouvel Observateur, 21/09/2022