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Billet de blog 27 mars 2024

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À LA MÉMOIRE DE LAURENT ACHARD

Un texte de Souad El BOUHATI

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Laurent,
Tous les matins, tu partais en balade, toujours vers la même direction : le petit cimetière pas loin de chez toi… Tu t’arrêtais devant les tombes, tu les photographiais parfois… Tu imaginais la vie des gens qui étaient là, sous terre … Est-ce que tu aurais pu être leur ami ? Leur ennemi ? Aimaient-ils le cinéma ? Avaient-ils peur de mourir ? Ont-ils été heureux ? Étaient-ils des salopards ? Étaient-ils des gens bien ? Étaient-ils homosexuels ?  La vie des gens te fascinait, te dégoutait…
PD tu l’étais…  PD tu le revendiquais… PD ton identité… PD ton cinéma… PD le jour… PD la nuit… PD insupportable… PD solitaire… PD radical… PD politique
Seule la mise en scène comptait pour toi. Tu disais : « on s’en fout du sujet, le cinéma ce n’est pas le sujet… Le plan raconte qui tu es… ce que tu penses du monde… ». Un plan de merde pouvait te mettre en colère, révéler la pensée de son auteur. Te fâcher à mort. « Le plan ne triche pas, le plan dit tout, le plan te trahit… Le plan n’est pas le hasard… ». Tu n’aimais pas parler de cinéma, le cinéma était ton intimité, tes joies, tes peines… la faille dans laquelle tu existais… cette faille te comblait, te happait… le réel te rattrapait souvent, de plus en plus souvent… Faire face toujours… Ne pas tomber… Tenir… Résister… À quoi bon ? Mourir peut-être ? Ne pas vieillir surtout.
Et puis les fous rires, Laurent… Rire à tout prix, ne pas perdre de temps… Rire de tout, rire pour rien. Crever de rire. Surtout pas pleurer.
La mort te semblait moins intraitable que la vie... Tu travaillais chez toi après ta balade, souvent seul, souvent débordé… Tu racontais avec colère, ironie tes rdv manqués avec les producteurs qui jamais ne trouvaient de place pour toi - Connards - Toi seul face à eux.
L’effort insurmontable, inhumain. Tes difficultés à leur parler. Leur impossibilité à t’entendre. Toujours la même réponse. Les mêmes connards qui aujourd’hui parlent de toi, infoutus de voir quel auteur magnifique tu étais. Infoutus de défendre tes œuvres auprès des financiers. La pauvreté les révulse, la peur d’être contaminé par les petites gens. On t’a laissé tomber. On t’a mis dehors.
Laurent, tu es mort de ne pouvoir travailler.
Laurent, tu es mort pauvre.
Laurent, tu étais un Grand.
Laurent, ton cinéma si exigeant, si singulier, si vital pour toi, aujourd’hui, personne n’en voulait… Finalement, tu disais être au bout… au bout du bout… que maintenant il fallait te retirer, que tu ne ferais pas mieux, pas pire… tu étais fier… Encore un film ? à quoi bon ? Tu étais fatigué de te prendre des portes dans la gueule…Tu disais vouloir arrêter… Ta vie s’est arrêtée.
Tu disais ton objectif atteint au-delà de toutes tes espérances, de tous tes rêves de jeune garçon… Je ne le pense pas. Tu avais des projets, de beaux projets. Laurent, on t’a empêché… Tant pis pour eux, tant pis pour nous. Tu es mort hors le cinéma bourgeois…
Ton travail nous appartient dorénavant… Notre héritage.
Tes films traverseront le temps, bien plus loin que ta courte vie.
Merci Laurent
Souad

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