LE SIONISME EST UN COLONIALISME !
Des milliers de militants de LFI s’en trouvent éclaboussés, alors que la faute n’a été commise que par une poignée de responsables irresponsables. Immédiatement, des analystes à l’affût se sont empressés d’établir un lien entre l’affaire du visuel et l’agression d’un rabbin dans une rue d’Orléans. Il n’y a pas de sot profit ! Le lien qui s’impose, hélas, dans la tête tourmentée de l’agresseur, est plutôt avec les massacres qui ont repris à Gaza. Le jeune homme a-t-il cru venger les Palestiniens en se « payant » un Juif ? Juge-t-il que tout Juif est complice des crimes de Netanyahou ? Voilà bien la définition même de l’antisémitisme et du racisme. J’attaque un homme pour ce qu’il est, ignorant ce qu’il pense. Et quand bien même « penserait-il mal » !
Le sionisme a une double nature, contradictoire et conflictuelle.
Mais, signe des temps, le visuel Hanouna n’avait pas cessé de faire ses ravages qu’une tribune très problématique paraissait dans Le Monde, assimilant une nouvelle fois antisionisme et antisémitisme (« Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme ! Le Monde, 21 mars.)
On a l’habitude, mais les mots ici dépassent ce que l’on a toujours connu. Car ce texte n’est pas exempt de malhonnêtetés. Je n’en ferai pas ici l’exégèse. Deux exemples suffiront. Je lis que l’on « ne reproche plus aux Juifs de contrôler le monde, mais aux sionistes de vouloir contrôler des terres ». Ou l’art de passer d’une proposition antisémite, celle du Protocole des Sages de Sion, à une réalité politique incontestable.
Qui peut nier que les sionistes les plus extrémistes qui conduisent aujourd’hui la politique d’Israël veulent « contrôler des terres » ? Il faut beaucoup d’impudence et d’impudeur pour contester que le gouvernement de Netanyahou mette aujourd’hui les bouchées doubles pour expulser les Palestiniens de Cisjordanie, et entreprendre une vaste opération d’épuration ethnique à Gaza. Il faut beaucoup de racisme pour ne voir dans le sionisme historique qu’un « idéal d’émancipation » comme il est dit dans le texte, et ignorer ce qu’il fut pour les Palestiniens, d’expulsion et massacres. Le sionisme a une double nature, contradictoire et conflictuelle. Honte à ceux qui s’obstinent à ignorer le malheur palestinien, au moment même où l’on extermine à Gaza.
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Les auteurs du texte pratiquent un racisme par omission. De même, ils ne veulent pas entendre parler de génocide. Sont-ils certains que priver toute une population de nourriture et d’eau potable n’a pas une dimension génocidaire ? Enfin, ils se livrent à une incroyable mystification en brandissant comme un épouvantail le slogan « de la rivière à la mer », au moment où celui-ci est mis en œuvre par le gouvernement Netanyahou pour expulser les Palestiniens. Oui, le sionisme est un colonialisme… Après ça, les auteurs du texte peuvent affirmer avec désinvolture qu’ils sont partisans de deux États démocratiques. Ce qui est plus facile à proclamer quand la colonisation a rendu ce projet impraticable.
Peut-il y avoir une démocratie véritable dans un pays qui pratique le colonialisme ?
Tant de mépris pour les Palestiniens n’est certainement pas la meilleure façon de combattre l’antisémitisme. On s’interroge en lisant la longue liste des signataires, parmi lesquels Hollande, Cazeneuve, Valls : qui sont les manipulateurs d’ignorance ? Et combien sont les manipulés ? Cet aveuglement, réel ou feint, n’épargne pas non plus les manifestations en Israël. Il faut les soutenir bien sûr, parce qu’elles exigent la paix. Et parce qu’elles posent aussi, comme à Istanbul et à Belgrade, la question de la démocratie. Mais une moitié de démocratie qui, dans un pays encore meurtri par les attaques du 7-Octobre, oublie le peuple palestinien. Et qui ne se pose que de façon hésitante, une question décisive : peut-il y avoir une démocratie véritable dans un pays qui pratique le colonialisme
La tribune du Monde :
Tribune collective dans Le Monde : Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme !
A l’initiative du collectif Nous vivrons, « Sionistes, fascistes, c’est vous les terroristes ! », c’est ce que l’on entend depuis des mois dans toutes les manifestations dites « propalestiniennes ». L’antisionisme est à la mode. Le déroulé est simple : le sionisme est un colonialisme qu’il faut éliminer. Cette simplification de l’histoire ne dit rien de l’histoire du peuple juif, d’une émancipation qui arrive trop tard, des pogroms qui tuent, d’une Shoah qui extermine. Inscrire le sionisme sur le terrain décolonial est un biais historique permettant de se considérer du « bon côté de l’histoire ». Cela parle de tout, sauf du projet sioniste visant à l’autodétermination et à l’émancipation du peuple juif.
Partant de cette lecture, tout y passe : l’anti-impérialisme, l’antifascisme, l’anticapitalisme. Et, surtout, beaucoup de complotisme, mais sans jamais se revendiquer de l’antisémitisme. Comme le disait, dans les années 1970, le philosophe Vladimir Jankélévitch [1903-1985], « l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre ; ils auraient mérité leur sort ». Nous en sommes là.
Depuis le 8 octobre 2023, nous assistons à un relativisme des massacres du 7 octobre 2023 et à une condamnation du sionisme. En résumé, si les juifs n’étaient pas là, tout cela ne serait pas arrivé. C’est ainsi que le « sale sioniste » a remplacé le « sale juif ». On ne s’attaque plus au peuple « déicide » mais au peuple « génocidaire ».
On ne reproche plus aux juifs de vouloir contrôler le monde mais aux sionistes de vouloir contrôler les terres. Ces terres qui font la taille de la Bretagne et qui rassemblent plus de la moitié des juifs du monde dans le seul Etat juif de la planète. « Si vous le voulez, ce ne sera plus un rêve », disait Theodor Herzl [1860-1904], père du sionisme moderne, à la fin du XIXe siècle. Le sionisme, c’est un idéal d’émancipation, un ancrage durable, un barrage à la haine, un rempart à l’extermination. Le sionisme, c’est ce qui devait permettre aux juifs de décider de l’avenir de leurs enfants.
Selon une étude de l’IFOP publiée le 3 mars, le sionisme vaut à ces enfants juifs que 37 % de leurs camarades d’école « refusent de nouer certaines relations amicales ou sentimentales avec eux en raison de leur soutien à Israël ». La mécanique est rodée. Les juifs sont des sionistes, les sionistes sont des fascistes, les fascistes sont des génocidaires.
Tout juif soutenant le sionisme devient coupable, tout juif attaché à Israël est condamné. L’antisionisme essentialise. L’antisionisme déshumanise. L’antisionisme assigne les juifs de la diaspora à prendre position sur la politique du gouvernement israélien. A quel titre ? Sachant, par ailleurs, que seuls les juifs antisionistes auraient le droit au soutien des nouveaux antiracistes. Les autres sont non seulement responsables des violences dont ils font l’objet, mais ils en sont comptables. Parce qu’ils sont du « mauvais côté de l’histoire ».
L’antisionisme est du révisionnisme. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote la résolution 181 visant à la création d’un Etat juif. Le 14 mai 1948, David Ben Gourion [1886-1973] proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël. Quatre-vingts ans après, du parvis de Columbia à celui de Sciences Po, des réseaux sociaux à l’Assemblée nationale, la légitimité de l’Etat d’Israël est non seulement remise en cause mais de nouveaux plans de partage sont suggérés. Sans consulter les concernés. On parle d’un foyer binational dans le meilleur des cas. Plus souvent d’une Palestine « from the river to the sea » (« de la rivière à la mer »), rayant le foyer juif de la carte. Pourquoi une cause en effacerait-elle une autre ? Nous sommes pour la coexistence de deux Etats démocratiques. Ni antisionisme ni suprémacisme, nous reconnaissons les mêmes droits à tous les peuples.
Le 7-Octobre a bouleversé nos certitudes. Il a changé la vie des Français juifs : 57 % des actes racistes touchent 0,6 % de la population française. On ne doit plus pouvoir être antisémite impunément. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, un tiers des actes antisémites recensés en 2024 étaient motivés par la cause palestinienne. Pour que l’antisionisme ne serve plus de prétexte à l’antisémitisme, c’est à la République de protéger les juifs en intégrant dans sa loi l’antisionisme comme nouvelle forme d’antisémitisme. Il ne s’agit pas ici de museler la critique légitime de la politique d’un gouvernement israélien auquel le sionisme survivra, mais de condamner l’antisionisme qui frappe, l’antisionisme qui viole, l’antisionisme qui discrimine, l’antisionisme qui humilie.
C’est, comme l’écrivait Martin Luther King [1929-1968] dans sa lettre à un ami antisioniste, en 1967, cet « antisionisme qui est de la discrimination envers les juifs parce qu’ils sont juifs. En un mot, c’est de l’antisémitisme » qui ne doit plus être toléré et qui doit être puni par la loi. Avant que les antisémites ne fassent la loi, parce que la République ne leur appartient pas.