L'imposture Naëm Bestandji [Episode 1]. Naëm Bestandji et l’auto-référencement, ou l’art de se citer soi-même
Naëm Bestandji s'est habitué à référencer ses articles par des notes de bas de page. L'enjeu est important : un article qui semble référencé semble être un article fiable. Ce qui peut tout aussi bien faire illusion : rien ne garantit qu'un article référencé soit un article dont les référencements sont eux-mêmes construits à partir d'arguments et de preuves solides. Nous nous sommes donc intéressés aux notes de bas de page de l'ensemble des articles du blogueur consacrés à l'Alliance citoyenne. Début juillet, en tapant « alliance citoyenne » dans la barre de recherche de son site, nous sommes tombés sur 11 articles écrits au sujet de l'association (19/05/2019 ; 1/07/2019 ; 27/07/2019 ; 29/09/2019 ; 23/12/2019 ; 28/01/2020 ; 10/03/2020 ; 20/04/2020 ; 6/08/2020 ; 1/12/2020 ; 7/12/2020). Nous avons ajouté les deux derniers articles rédigés par le blogueur sur l'Alliance citoyenne, qui n'apparaissent dans la recherche, à savoir ceux du 15 juin et 2 juillet 2021 (la recherche ne comprend donc pas les articles de fin juillet - début août). Au total, nous nous sommes appuyés sur un corpus de 13 articles, qui comprennent en tout 42 notes de bas de pages :

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L'observation donne lieu à des résultats étonnants. Au total, sur 42 notes de bas de pages censées valider son propos, 26 sont des références directes à d'autres articles du blog de Naëm Bestandji, soit 62 %. Naëm Bestandji se cite donc lui-même à répétition, validant à chaque fois ses nouveaux articles à l'aide d'autres articles écrits par ses soins, eux-mêmes validés par d'autres articles du blogueur. Ajoutons que, sur les 16 autres notes de bas de page, une correspond à une tribune dans Marianne signée... Naëm Bestandji. Une autre renvoie à un montage vidéo publié par le compte Youtube de... Naëm Bestandji (nous verrons par la suite en quoi ce montage est particulièrement problématique). Éclairant processus d'auto-validation. Le blogueur est sa propre référence, ce qui ne l'aide certainement pas à voir plus loin que ses propres certitudes.
L'imposture Naëm Bestandji [Episode 2]. Naëm Bestandji et le déshonneur par association : l’art de trafiquer des vidéos pour disqualifier des militantes de l’Alliance Citoyenne
Intéressons nous maintenant au montage vidéo qui semble être, selon lui, l’argument ultime pour démontrer que l’Alliance citoyenne serait un groupuscule islamiste. Il le ressort régulièrement à la fin de ses articles et annonce fièrement l’avoir montré à Eric Piolle. Ce montage contient deux vidéos d’un prédicateur musulman, qu'il fait suivre par celle d’une militante de l’Alliance citoyenne. Il a été publié sur le compte Youtube de Naëm Bestandji, on peut donc raisonnablement penser que c'est bien le blogueur qui l'a lui-même réalisé. Cette vidéo, nommée « Burkini à Grenoble : les raisons idéologiques de ces offensives islamistes », a un but bien précis : démontrer un soi-disant lien entre les actions des femmes qui revendiquent la liberté de porter un maillot de bain couvrant en lycra et la ligne idéologique de ce prêcheur exprimée dans cette vidéo, afin d’asseoir l'idée qu'elles et lui feraient donc front commun.
Ce procédé rhétorique, qui figure en bonne place dans la palette des sophismes, a un nom bien précis : il s'agit du « déshonneur par association », défini comme l'action de « comparer l’interlocuteur ou ses positions à une situation ou à un personnage servant de repoussoir ». C’est une stratégie classique pour disqualifier quelqu’un à qui on s’oppose : on met en lien les propos de ce locuteur avec ceux d’un autre locuteur plus “sulfureux” pour démontrer l’existence d’une continuité. Ici, la vidéo présente d'abord un prédicateur qui appelle les femmes à se voiler en le justifiant par le fait qu'il faudrait que les femmes évitent de tenter les hommes. Dans la suite de la vidéo, une militante de l’Alliance citoyenne exprime son souhait de pouvoir se baigner en maillot de bain couvrant. Les deux propos accolés donnent alors l'impression que si la militante souhaite se baigner ainsi, c'est pour les mêmes raisons énoncées par le prédicateur, et qu'elle souhaiterait également que toutes les femmes se voilent. Ce qui est bien entendu complètement faux puisqu’elle se bat, comme toutes les militantes de l’Alliance citoyenne, pour le droit de toutes les femmes à disposer de leurs corps comme elles le souhaitent, comme le montrent les affiches collées récemment dans Grenoble.
Mais allons plus loin. Suite aux propos de la militante de l'Alliance citoyenne, Naëm Bestandji ajoute de nouveau un extrait du prédicateur, dans lequel celui-ci appelle les musulman.es à se mobiliser « pour les piscines ». En faisant cela, le blogueur laisse entendre qu'il y aurait donc un lien de cause à effet entre cet appel et les actions de l'Alliance citoyenne. Comme nous n'avions jamais entendu parlé de cet homme, nous avons donc visionné la vidéo originale de l'intervention du prédicateur dans son entièreté. Pas besoin d'aller très loin pour comprendre que son propos est très différent des revendications des militantes de l'Alliance citoyenne. A aucun moment il ne promeut le port du maillot couvrant dans les piscines municipales, et encore moins la désobéissance civile. Au contraire, il prescrit à son auditoire de se mobiliser pour obtenir des horaires non-mixtes dans les piscines municipales autant pour les hommes que pour les femmes, et invite aussi les associations musulmanes à construire leurs propres piscines pour pouvoir établir leurs propres règlements intérieurs à destination des musulman.es. Bref, tout l'inverse du sens des actions des femmes s’organisant au sein de l’Alliance citoyenne, qui se mobilisent pour avoir la possibilité de se baigner avec un maillot de bain de la longueur qu’elles souhaitent, dans les piscines municipales, avec toutes et tous.
Naëm Bestandji connaissait le contenu de la vidéo de ce prédicateur, mais il a choisi de n'en retenir qu'une partie pour fabriquer un lien, factice, entre ce prédicateur et l'action des militantes de l'Alliance citoyenne. À nouveau, le blogueur, largement repris par l'extrême droite, à une vision très personnelle de la rigueur scientifique.
L’imposture Naëm Bestandji [Episode 3]. Naëm Bestandji et la rhétorique des intentions cachées (ou du procès d’intention)
Pour être exhaustif, ajoutons que Naëm Bestandji, quand il ne se cite pas lui-même ou qu’il ne fait pas des montages vidéos malhonnêtes, utilise en effet des sources : principalement des articles de presse relatant des actions de l’Alliance citoyenne, comprenant des interviews, des publications de l’association sur les réseaux sociaux ou des tribunes dans des journaux. Il les utilise cependant d’une manière encore une fois bien à lui, s'écartant de toute rigueur méthodologique.
Ainsi, on le surprend à mentir ouvertement. Dans son article du 19 mai 2019, il cite en note de bas de page un article de Place Gre’Net datant du 10 avril 2019, couvrant la “Course des libertés” organisées par des militantes de l’Alliance citoyenne, pour affirmer que ces dernières auraient pour revendication de ne plus être examinées par des médecins hommes : “Face à l'impasse de la lutte pour obtenir des horaires aménagés où hommes et femmes seraient séparés, ces intégristes se concentrent pour l'instant sur l'acceptation du burqini. Les baignades non mixtes, ce sera pour plus tard, une fois que le burqini sera mieux accepté. C'est la stratégie classique des petits pas où, après chaque "accommodement raisonnable" (qui ne sont rien d'autres que des renoncements), on se met à militer pour le suivant. Ces islamistes ne s'en cachent pas. Un des objectifs de leurs actions à Grenoble est, par exemple, de pouvoir être examinées uniquement par des femmes médecins”. Or, en lisant l’article de Place Gre’Net, à aucun moment n'apparaît cette revendication. Il est bien indiqué que, pendant la course, les discriminations à l’hôpital ont aussi été évoquées : “Leurs revendications ? Que les femmes musulmanes soient autorisées à porter le voile, en particulier dans les piscines municipales, les salles de sport, mais aussi à l’hôpital ou encore pour accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires”. Mais rien de plus n’est précisé dans l’article. Ce que Naëm Bestandji traduit par : “Un des objectifs de leurs actions à Grenoble est, par exemple, de pouvoir être examinées uniquement par des femmes médecins”.
Si dans ce cas Naëm Bestandji ment, cet exemple illustre la ligne directrice qui guide sa rédaction : la rhétorique du procès d’intention. Selon lui, les militantes de l’Alliance citoyenne auraient des intentions cachées, qu’il ne peut pas prouver, mais qu’il répète mille fois pour en faire une vérité établie. Cette rhétorique est souvent plus subtile que le mensonge : elle repose notamment sur l’argument de la “pente savonneuse”, définie par l’action de “faire croire que si on adopte la position de l’interlocuteur, les pires conséquences, les pires menaces sont à craindre”, et sur celui “l’homme de paille”, définie comme l’action de “travestir la position de l’interlocuteur en une autre, plus facile à réfuter ou à ridiculiser”. En voici deux illustrations :
“Naturellement, elle s’est emparée du sexisme du voile pour assurer, sur le terrain, des offensives par ce cheval de Troie politique. Cela commença par les piscines municipales à travers le burqini, puis les salles de sport et les terrains de football. L’objectif est d’imposer partout le sexisme du voile, progressivement, comme le confirme une des militantes de l'association : “on essaye d’y aller petit à petit. C’est un combat de tous les jours. On essaye d’y aller progressivement. Et ça marche. (…) Petit à petit, quand [une] “injustice” sera réglée, on pourra en prendre une autre. On procède vraiment par étape. (…) On va commencer une nouvelle campagne qui est la campagne pour le travail, qui est une longue campagne, qui va être très très compliquée. Mais en tout cas on est ambitieuses et on voit que ça marche. Donc on continue, jusqu’à la victoire”. Le but ultime est l’apartheid sexuel arbitré par les critères islamistes pour un meilleur enracinement de leur idéologie totalitaire” (Naëm Bestandji, 21 juin 2019) ; “Pour les islamistes partisans du burqini (tous les islamistes ne le cautionnent pas), ce vêtement n’est qu’une étape. Une fois bien installé, les autres revendications islamistes en attente se manifesteront. La première étant la séparation stricte des sexes (comme l'a déjà laissé entrevoir Alliance citoyenne)” (Naëm Bestandji, 21 juin 2019).
Ici, Naëm Bestandji prête des intentions cachées aux membres de l’Alliance citoyenne en leur attribuant des propos qu’elles ne tiennent pas, en caricaturant leurs revendications, et en affirmant que, si demain le maillot couvrant est autorisé dans les piscines municipales, elles demanderont par la suite des horaires non-mixtes, de séparer durablement les sexes, de ne pas être examinées par des hommes, et feront pression pour que toutes les femmes soient obligées de se voiler. Peut-il le démontrer ? Non. Il décrit ainsi les militantes de l’Alliance citoyenne comme des femmes sournoises avançant avec un agenda caché. En plus de reproduire les poncifs les plus sexistes sur les femmes (elles seraient vicieuses par essence), cette rhétorique, bien ancrée dans les milieux complotistes, vise à les disqualifier en jetant le soupçon sur elles. Naëm Bestandji, complotiste ?
