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Billet de blog 13 décembre 2021

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Prédation émotionnelle et extrême droite

Dans les milieux d'extrême droite, il règne une culture violente, qui est entre autre misogyne, antisémite et raciste. Paradoxalement, ces personnes semblent victimes d'émotions difficiles à vivre, manipulées et extériorisés à des fins politiques. Ne serait-il pas intéressant d'aborder le problème de l'extrême droite sous l'angle émotionnel ?

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Avant propos : ce texte ne vise en aucun cas à excuser des agressions ou crimes commis par des mouvements d'extrême droite. Face à une montée de discours racistes, misogynes, antisémites et haineux, avec un recrutement important chez des personnes jeunes, il pourrait être intéressant d'expliquer les raisons de cet attrait pour l'extrême droite.


J'ai lu récemment deux témoignages de jeunes hommes, ici et , passés par une phase où ils ont adhéré à une idéologie d'extrême droite, se revendiquant néo-nazie. Les articles sont tournés autour du NSMB, le National Socialist Black Metal, comme courroie de transmission de ces idées nauséabondes.
Même si de tels discours peuvent paraître provenir d'un autre temps, force est de constater que les discours décomplexés d'extrême droite sont légions à l'heure actuelle. Le Rassemblement National est un parti majeur depuis plusieurs années, Éric Zemmour avait de fortes intentions de vote avant même d'être candidat déclaré à la présidentielle, et plus généralement les agressions d'extrême droite sont nombreuses. En lisant ces deux témoignages, quelque chose m'a frappé : ces deux hommes, même si ce n'est pas du tout l'image qui doit être renvoyée publiquement, semblaient dans un état émotionnel extrêmement difficile, avec en particulier une très faible estime d'eux-même, ce qui peut les avoir rendu vulnérables à des discours de haine. J'ai même éprouvé de l'empathie, même si leurs agissements sont inexcusables. Une vidéo de Contrapoints sur les incels - pour involuntary celibate ou célibataires involontaires - avait aussi provoqué le même type de sentiment chez moi. Je vais donc essayer ici, sans faire de généralités puisque je ne me base que sur deux témoignages, de trouver des explications à ce que des personnes tombent dans de telles idéologies d'extrême droite.

Les deux témoignages partent de points similaires : une quête de se démarquer des parents à l'adolescence, avec la volonté de transgresser les normes et les interdits, de trouver ses propres références, musique inclue. Chez les deux familles est décrite une perméabilité au racisme, à l'antisémitisme et à l'homophobie sous couvert d'humour. Ces caractéristiques se retrouvent dans beaucoup de familles, pourtant il y a bien un écosystème propice à l'émergence de discours plus radicaux. Un caractère introverti peut aussi ajouter au malaise de l'adolescent, chez qui la pression sociale pour se distinguer des autres est forte, et l'isolement des deux jeunes hommes dans des villages peut y ajouter un sentiment de solitude.
Pour ces adolescents, internet est un bon moyen de sociabiliser, et de s'exprimer quand parler en groupe est difficile. Dans les deux cas, des rencontres sur internet partant du terreau fertile familial ont permis de capter leur attention, puis de les guider vers des idéologies de plus en plus dirigée à l'extrême droite, que ce soit par de la musique NSBM ou des sketchs "humoristiques" de Dieudonné. L'un des protagonistes parle de "nos grands-frères du web sans jamais savoir qui étaient ces personnes". Leurs malaises d'adolescents trouvent un écho, et une culture qu'ils jugent subversive est accueillie petit à petit. Même dans le milieu amical, les discours outranciers d'extrême droite trouvent un point d'ancrage :

    « on était clairement dans une période de contestation de toute autorité et on voyait que l’apologie du nazisme fonctionnait bien et cette image nous plaisait »

Descente aux enfers

Des difficultés se sont ajoutées à ce moment-là pour les deux jeunes hommes : décès de sa mère pour l'un, l'autre est fils d'agriculteur‧ices, la famille a des problèmes économiques, et son environnement social est parsemé d'alcoolisme et de suicides. N'importe quel adolescent grandissant dans de telles conditions, même sans être particulièrement sensible, doit éprouver des sentiments assez forts d'anxiété et d'insécurité par rapport à l'avenir.
C'est à ce moment-là que l'étau des discours d'extrême droite se referme sur des adolescents vulnérables, émotionnellement en quête de sens et de validation. Leurs souffrances sont entendues, et les ressentiments qui en émergent sont peu à peu orientées au fil de discussions et de références. Car avec sa culture, l'extrême droite véhicule ses termes, ses idées, et ses façons de penser, qui sont incorporés plus en profondeur par les deux hommes. En particulier, une idée est particulièrement prédatrice pour ces profils anxieux : l'essentialisme, qui explique que tout est inscrit dans les gênes, que les gagnants le sont à cause de leur patrimoine génétique, de même pour les perdants. Si on accepte cette idée, alors toute pensée construite est nulle et non avenue : 

    « puisque tout est basé sur la nature innée, réfléchir c’est ne pas être en accord avec la nature, la biologie, l’instantanéité. La réflexion est une "castration" et tout doit être basé sur l’acceptation des instincts »

En particulier, ce passage du deuxième témoignage est fascinant tout en étant glaçant :

    « Si tout est inné, alors il ne sert en définitive à rien de discuter avec un adversaire car ce dernier est au fond programmé pour être votre adversaire. Le convaincre ne sert à rien et c’est aller contre sa nature profonde. Dans l’esprit d’une personne d’extrême droite, chercher à convaincre est déjà chercher à subvertir la nature innée d’une personne, discuter est comme tout aspect de la vie une lutte pour l’existence, le dialogue n’est pas un échange mais un combat, avec à terme pour le/a vaincu·e une soumission et un formatage, et est donc suspect par nature. La discussion est dans l’esprit de l’extrême droite l’arme de la morale d’esclave pour asservir le "maître" à son insu sans avoir à passer par l’épreuve de la sélection naturelle qu’est l’affrontement pur et simple. Elle est de facto suspecte d’être du totalitarisme déguisé. En ces conditions il ne reste que l’épreuve de force, la violence, l’élimination pure et simple de la contestation, pour décider qui l’ordre naturel a jugé bon de mettre au sommet. Le perdant n’a qu’a s’en prendre à lui-même et toute pensée constructiviste n’est vue que comme un truchement de l’ordre naturel, de la "morale d’esclave". Et si tu es perdant, c’est parce que ta volonté n’était pas suffisante et toute autre explication, notamment sociologique, est une fuite devant son infériorité. Dans cette optique, il ne reste plus que l’ultra violence, le blasphème et le suicide comme seules issues au sentiment de défaite »


Cette idéologie d'extrême droite particulièrement toxique réponds donc à une angoisse par un déclinisme qui mène à la dépression, à la détestation de soit et des autres. Mais le plus vicieux, c'est que toute tentative de s'en sortir, notamment par la parole, est vue comme une faiblesse de plus menant quasiment au ridicule - on retrouve cette façon de penser chez les incels avec la théorie de la pilule noire. Le monde est vu comme un champ de bataille permanent, cette idéologie se complet même dans un univers noir qui auto-entretien la dépression :

    « le monde et l’étranger étant un ennemi, et l’important étant l’ordre et la hiérarchie pour faire face au chaos »

Les conquêtes sociales et des minorités sont vues comme des perversions, des couches contre-nature par rapport à un temps passé glorieux, où tout n'était qu'ordre et respect. Cette décrépitude du monde se poursuivra ainsi jusqu'à une apocalypse pour restaurer ce temps ancien fantasmé, ce point étant à discuter selon les idéologies : années 50, 30, époque de Napoléon, des romains, ou autres.

Une fois ce travail d'endoctrinement mené à bien, un adolescent anxieux - à juste titre - de sa place dans le monde à venir se retrouve dans une situation de dépression profonde, avec toutes les issues soigneusement bouchées. Il peut même y avoir un phénomène d'accoutumance comme expliqué par Contrapoints dans le cas des incels : rechercher intentionnellement des commentaires renforçant la mauvaise estime que l'on se porte déjà. Parce que les commentaires positifs peuvent être exagérés, ceux qui sont choquant et font mal doivent être vrais. Les pensées négatives sont alors utilisées comme des rasoirs sur soit-même.
Ce désespoir est entretenu à des fins politiques par ces idéologues d'extrême droite. À de tels niveaux de détestation de soit et des autres, ces loups solitaires parfois endoctrinés uniquement sur internet - et donc difficile à déceler - peuvent passer à l'action violente armée. C'est le cas pour les attentats de Christchurch du 15 mars 2019 (51 morts et 49 blessés), où le meurtrier fait explicitement référence à la théorie complotiste d'extrême droite du grand remplacement, ou lors des attentats de Hanau en Allemagne du 19 février 2020 (11 morts et 6 blessés), où les revendications sont racistes, xénophobes, eugénistes, avec des envies génocidaires envers les peuples non-Blancs. Ce tueur s'est même qualifié lui-même d'incel, montrant bien la proximité de ces idéologies.
Ces deux hommes avaient en commun une détestation des personnes différentes de leurs standards. Les femmes semblent tolérées, mais elles ne doivent surtout pas être revendicatives, et l'un des deux protagonistes met en avant le caractère "aryen" de sa copine, qui lui a particulièrement plu. Toute personne ne correspondant pas à ces critères est rejetée, voir détestée : féministes, LGBTQUIA+, musulman‧e‧s, juif‧ve‧s, antifascistes, militants de gauche, ... Les récentes agressions de l'extrême droite visent d'ailleurs particulièrement ces catégories de la population.

Aux racines du mal

Dans leurs deux témoignages, les auteurs livrent un retour ce qui leur a permis de sortir de ces idéologies prédatrices. D'un côté, le travail dans un milieu solidaire a fait émerger d'autres discours, avec le développement d'idées qui sont véhiculées par des podcasts, vidéos, ou films sur la politiques ou les luttes sociales, antiracistes, féministes. De l'autre, un déclic est arrivé lorsque les comportements toxiques de Soral ou Dieudonné ont pu être constatés et analysés. Cette perte de confiance dans les idéologues d'extrême droite est allée de pair avec une ouverture aux idées de gauche, de luttes. La notion de constructivisme a semblé particulièrement importante : au contraire de l'essentialisme, le monde est vu en terme de constructions sociales et d'influences. Si une personne est pauvre, ce n'est pas parce qu'elle est intrinsèquement - voir génétiquement - programmée pour être pauvre, c'est au contraire dû des oppressions systémiques sociales, raciales, genrées, à un système politique de maintien des inégalités. À ce moment-là, changer les choses devient possible : lutter devient nécessaire, voir même indispensable ! D'un point de vue émotionnel, on sort du défaitisme, on reprend son destin en main et on se donne la possibilité de le changer. On sort aussi d'une auto-dévaluation permanente de soit, ce qui rend moins vulnérable aux idéologies prédatrices et permet de développer une pensée critique. C'est probablement là l'une des clefs émotionnelles pour sortir des idéologies d'extrême droite. 


Cependant, force est de constater que ces idéologies racistes emprisonnent toujours un grand nombre de personnes : comment les extraire de ces discours d'extrême droite ? Probablement par de l'empathie, avant qu'elles ne tombent sur ce type d'idéologies, mais il semble difficile de contrer complètement la présence de l'extrême droite sur internet. Une bataille culturelle peut se jouer sur des plates-formes comme Instagram, Twitch ou Youtube, où de nombreuses chaînes vulgarisent des sciences sociales ou des idées liées à la gauche1. Dans le même temps, accepter des contenus d'extrême droite pour ces hébergeurs donne la possibilité de toucher un large public, et une partie de la responsabilité leur incombe incontestablement.
On ne peut pas non plus éviter une part d'auto-critique à gauche. Les discours de la collapsologie et de l'effondrement, même s'ils peuvent être utiles - et ça a été le cas pour moi - peuvent aussi participer à cette ambiance "fin du monde" anxiogène si chère à l'extrême droite. Un nombre non négligeable de personnes ayant connaissance de la collapsologie a basculé dans la sphère survivaliste, faite d'armes, de bunkers et de boites de conserves, où l'apocalypse est attendue pour s'entre-tuer.
Les valeurs véhiculée par notre société sont également mentionné par l'un des deux témoignages. En particulier, la pression mise sur la compétition, le mérite, créé des gagnants, mais aussi des perdants pour qui l'estime d'elleux-même est mise à rude épreuve :


    « Élevez des enfants dès le plus jeune âge à être des bêtes de concours, à coups de tableaux, de classements, de prix et de mérite, apprenez-leur à lutter les uns contre les autres, dites-leur qu’ils peuvent et doivent s’accomplir seuls et que au final, si la solidarité c’est bien beau et très moral, au moindre pépin, on est juste tout seul face à ses problèmes et que ce qui distingue le winner de la loque c’est la volonté... Sélectionnez les plus aptes aux études supérieures comme étant les plus aptes à la compétition permanente, rendez normal le fait d’éliminer l’autre et de le voir avant tout comme un concurrent, assommez-les de normes à respecter, de quotas à remplir, brimez-les avec l’angoisse de ne pas être la hauteur de ce qu’on attend d’elleux, dites-leur que la vie est une lutte permanente pour la survie du plus apte, que leur bien-être passe par l’élimination des concurrents lors d’une grande course vers le sommet de la pyramide... Bref faites-en dès l’enfance des tueurs symboliques, avec tout l’appui du système scolaire et du monde du travail, lequel n’est qu’une projection de ce que nous apprend l’école »


Enfin, un angle d'attaque important dans le combat contre l'extrême droite semble être leur misogynie et leur sexisme :


    « Élevez des hommes avec l’idée dite et répétée que la virilité est ce qui distingue le "vrai homme" de la "flaque", dites-leur que pleurer est un acte de faiblesse, dites-leur à longueur de cours d’histoire, de films, de série et de musiques et de pub que ce sont les vrais hommes qui font l’histoire et que le modèle à suivre est le seul valable, dites-leur que la virilité leur donne accès à la réussite, à l’admiration d’un troupeau de femmes qui ne demanderont qu’à porter leurs enfants. Faites-leur subir la désillusion que le monde ne fonctionne pas comme ça et dites-leur que quoi qu’ils fassent le statut d’élu sera réservé à un petit nombre et que la plupart d’entre eux seront condamnés à rester devant les portes du palais à crever la dalle dans la solitude et le froid... Dites-leur que s’ils ont échoué c’est parce que la vraie morale d’antan a été dévoyée par un bouc émissaire quelconque, que l’âge d’or est mort depuis longtemps et que la seule issue digne pour sauver sa virilité dans l’échec, c’est l’accélérationnisme, l’action suicidaire, le crime de masse et le suicide... »


La misogynie est ici une courroie de transmission très importante, à la fois pour la dévaluation de soit et pour la haine des femmes et des faux hommes. C'est à la fois une injonction, une pression constante, mais aussi un but inatteignable, qui confronte tous les hommes dans cette situation à un sentiment d'échec, à la dévaluation voir la détestation de soit, et à l'entérinement de soit dans une figure de perdant. Lutter contre ces idées semble donc prioritaire, et c'est déjà le cas avec le discours féministe actuel. Mais en particulier, les hommes peuvent ici avoir un rôle fondamental : se renseigner sur des concepts féministes, parler de ses émotions et sentiments, s'autoriser à pleurer, montrer parfois ses failles, ou exprimer son empathie peuvent à la longue faire voir le monde sous une perspective différente, notamment auprès d'hommes qui pourraient être tentés par les discours d'extrême droite.

Conclusion

Par ces deux témoignages, un aperçu est donné de la psychologie des personnes tombées dans l'extrême droite, et en particulier de leur très faible estime d'elleux-même, qui les pousse dans le pire des cas à l'agression armée ou au suicide. Lutter contre ces idéologies implique donc de lutter contre le défaitisme en général, la gauche étant toujours portée par un idéal collectif à atteindre dans le futur. L'indignation et l’écœurement font parti des sentiments indispensables à la gauche, mais pour servir de motivation dans le but de porter cet idéal d'une société meilleure. Sans idéal collectif, et avec une détestation de soit-même et des autres, ces sentiments peuvent centrer la personne sur elle-même et sur sa faillibilité. Il n'y a pas d'échappatoire possible, puisque la pensée essentialiste maintient la pression sur l'individu, et ne considère pas le collectif comme le fait la pensée constructiviste.
Même par les temps actuels d'une extrême droite décomplexée que ce soit pour l'élection présidentielle de 2022 ou dans la rue, la gauche doit donc garder ses idéaux d'une société plus collectives, harmonieuses et égalitaires, car c'est cela même qui fait sa force face à l'extrême droite. Et c'est probablement sa meilleure arme pour lui permettre d'inverser le cours des choses.


1 : quelques recommandations de chaînes youtube :

En français :

En anglais :

  • Contrapoints : philosophie, sociologie et politique
  • Philosophy Tube : philosophie et politique
  • The Alt-Right Playbook : playlist d'une série de vidéo sur la montée de l'extrême droite aux États-Unis, dans laquelle de nombreux parallèle peuvent être fait avec la situation en France, sous-titrée en français

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