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Billet de blog 5 juin 2024

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Le visa refusé

Madame La Consule générale de France au Sénégal, je m’adresse à vous à travers cette lettre ouverte pour dénoncer publiquement le mépris et l’indifférence exprimés à l’égard de mon compagnon, de mon fils et de moi-même et qui semble être malheureusement le sort réservé à de nombreux demandeurs de visa. Témoignage

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Madame La Consule générale de France au Sénégal,

Je m’adresse à vous à travers cette lettre ouverte pour dénoncer publiquement le mépris et l’indifférence exprimés à l’égard de mon compagnon, de mon fils et de moi-même et qui semble être malheureusement le sort réservé à de nombreux demandeurs de visa.

Je suis franco-chilienne, née en France d’une mère française, ce qui m’a octroyé jusque là le droit et le privilège de voyager dans le monde entier avec une totale liberté et insouciance.

J’ai rencontré mon compagnon il y a plus de 4 ans au Sénégal et j’ai pu faire des allers-retours réguliers pour travailler avec lui à la création de pièces de théâtre avec l’Institut Français de Dakar et les Alliances Françaises de Ziguinchor et Banjul.

Enceinte début avril 2023, nous avons très rapidement commencé les démarches pour qu’il puisse venir assister à la naissance de notre fils en France. Déjà conscients des difficultés administratives prévisibles, nous avons effectué nos reconnaissances de maternité et de paternité avant la naissance. N’ayant le droit qu’à un visa court séjour, mon compagnon a, dans un premier temps, rempli le formulaire visa « touriste », qui s’est finalement révélé une illusion puisqu’aucun rendez-vous n’est jamais proposé sur la plateforme de demande en ligne.

Découragés et comme la date de mon accouchement approchait, nous avons finalement déposé une demande de visa « visiteur » auquel mon compagnon pensait avoir droit. Je ne m’attarderai pas sur les différentes étapes de l’obscure procédure de demande déjà mainte fois dénoncée, mais je veux rappeler le manque de transparence, de critères et de cadres : aucune information précise n’est jamais fournie, aucune réponse, aucune garantie, ni délai. A cela s’ajoute l’amère sensation de se faire avoir : plus de 100 euros de frais de dossier non remboursables si le visa est refusé, un billet d’avion A/R perdu, intrusion grossière dans la vie privée…

Le terme de ma grossesse était prévu le 2 janvier 2024, et mon compagnon avait pris son billet pour le 10 décembre 2023 pour être présent à l’accouchement et rester près de son fils durant ses deux premiers mois. Nous prévoyions qu’il demanderait ensuite un nouveau visa « long séjour de rapprochement familial ».

Ce n’est que le 14 décembre qu’il a reçu une notification de refus qui portait la mention « informations incomplètes (alors que vos services VSF n’acceptent pas d’instruire les dossiers incomplets) et / ou pas fiables (très subjectif et méprisant à mes yeux) ».

C’est donc seule que j’ai accouché le 27 décembre 2023 d’un petit garçon franco-sénégalais qui a été privé de son père à sa naissance.

Nous avons alors décidé de faire une nouvelle demande de visa « parent étranger d’enfant français » auquel il est maintenant évident que mon compagnon a le droit.

L’expérience précédente nous avait appris qu’il fallait plus de 5 mois pour réunir tous les papiers, obtenir un rendez-vous puis une notification. Puisqu’il semblait inconcevable d’attendre, j’ai décidé - sans avoir, moi, à demander l’autorisation à qui que ce soit - de voyager au Sénégal avec notre fils pour qu’il puisse enfin, à 3 mois, rencontrer son père.

Nous avons malheureusement essuyé un nouveau refus. La première notification m’avait attristée. La seconde a fait naître en moi beaucoup de colère. Au sentiment profond d’injustice s’ajoute l’incompréhension, l’humiliation, et la honte ; « Le dossier que vous avez déposé ne contient pas la preuve de nationalité française de votre enfant », « Le dossier que vous avez déposé ne contient pas la preuve de la résidence en France de votre enfant ou de son intention d’y résider avec vous », « Vous ne justifiez pas que vous contribuez effectivement à l’entretien ou à l’éducation de votre enfant », « Les informations communiquées pour justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables », affirmations totalement inexactes, et alors même que nous avons produit tous les documents et preuves nécessaires.

Le visa refusé, vous offrez la possibilité de faire recours. Cette proposition est très aléatoire puisqu’il est impossible de communiquer avec le Consulat et que la Commission des recours ne répond en réalité presque jamais. Sans nouvelle après 2 mois, nous aurons la possibilité de saisir le Tribunal administratif qui mettra environ 2 à 3 ans à répondre.

Je tiens évidemment à contester cette décision arbitraire, infondée et injuste. On me dit que je pourrais aller vivre au Sénégal. Avec grand plaisir j’irai au pays de la Téranga mais n’ai-je pas aussi le droit de vivre dans mon pays avec ma famille ? Qu’en est-il des droits humains fondamentaux ? « Le droit aux parents d’avoir la garde de leur enfant et des enfants d’être avec leurs parents » / « Le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Qui décide de qui mérite ou non d’assister à la naissance de son fils ? de voir grandir son fils ? Pourquoi un homme sénégalais serait moins digne de fouler le sol français qu’un français le sol sénégalais ? Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que mon compagnon ait absolument les mêmes droits que moi, en particulier celui de vivre avec son fils et celui d’aller et venir entre la France et le Sénégal comme bon lui semble.

Je vous l’écris : vous m’avez privée de la joie d’un accouchement à trois, vous avez privé un père des uniques premiers instants de vie de son bébé, vous privez notre enfant de sa figure paternelle, de son odeur, de son regard, de ses bras, de sa voix. Je suis seule depuis 5 mois, fatiguée et abimée. Notre petit bonhomme grandit très vite et son père nous fait terriblement défaut. C’est un enfant métisse qui a la chance d’avoir une double culture et qui, j’espère, n’aura jamais à avoir honte d’être français.

Notre histoire est sûrement d’une bien triste banalité. Je vous l’écris « ouvertement » parce qu’il me semble important de rappeler que c’est d’humilité, d’humanité, de lumière et de fraternité dont nous avons besoin. Nous sommes tous égaux Madame La Consule, n’oublions pas de prendre soin les uns des autres.

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