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Billet de blog 24 novembre 2023

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Violences au sein de la famille : inceste, penser la lutte autrement

A l'heure du rapport de la CIIVISE & de la manifestation annuelle contre les violences sexuelles, quelles perspectives pour la lutte contre l'inceste ? L'avenir des victimes d'inceste et de leurs familles se limite-t-il au duo justice-psychiatrie ? Pour une pensée de l'inceste comme un phénomène social et non une déviance individuelle, qui prend racine au plus profond de nos pratiques familiales et éducatives.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

#MeTooInceste, la CIIVISE… Dès qu’il est question d’inceste, les médias semblent n’avoir que deux réflexes. D’abord, parler chiffres – parce qu’il faut convaincre le public que l’inceste est un sujet massif, qu’on ne peut contourner. Vu que tout le monde aimerait tellement le contourner.

Puis, parler justice ou psychiatrie – parce que les gens ont besoin d’être rassurés. La confrontation aux chiffres (deux à trois enfants par classe) est vertigineuse. Insupportable. Alors, il faut nécessairement traiter le sujet de façon à s’en débarrasser.

Se débarrasser de l’inceste, c’est-à-dire : le déplacer. En parler ailleurs, à l’écart des regards, dans le cabinet d’un psy ou dans le bureau d’un juge.

La CIIVISE remplit cette même fonction : permettre aux victimes de s’exprimer, mais à l’écart, dans des assemblées d’autres victimes et dans des rapports de 700 pages que personne ne lira, à part les concerné-e-s. Cantonner les victimes au témoignage, surtout – il ne faudrait pas qu’elles prennent trop de place, qu’elles sortent de leur misérable petite histoire.

Grâce aux psys, aux juges, à la CIVIISE, les familles peuvent se rassurer. L’inceste restera le problème individuel de la victime et de son agresseur et n’atteindra surtout pas la terrifiante sphère collective, où chacun doit s’interroger sur ses comportements.

Mais si on parle de deux enfants par classe, cela signifie que l’inceste ne se produit pas que dans les familles des autres. Cela signifie que ce n’est pas que le problème des autres.

L’inceste, est peut-être dans votre famille à vous. Chez vous. Chez nous.

Le problème, il est peut-être dans votre silence à vous,

dans les histoires que vous vous racontez pour vous convaincre que ce geste, que vous avez aperçu, qui vous a mis vaguement mal-à-l’aise, n’était qu’un malentendu,

dans votre façon de vous convaincre que cette attitude qui vous gêne, dans l’éducation d’untel avec son enfant, vient du fait que vous voyez le mal partout,

dans votre conviction qu’il est indécent de révéler ce qui se passe en famille sur la place publique,

dans vos schémas de pensées, votre volonté de contrôle,

votre rapport aux enfants et à leur autonomie,

dans ce qu’on vous a transmis, en une myriade de craintes générationnelles et de confusions instituées en vérité.

Alors, oui, il est tellement plus simple de penser que le démantèlement de l’inceste viendra du duo justice-psychiatrie. Mais peut-on honnêtement s’accrocher à une solution qui consisterait à emprisonner des millions d’agresseurs ? (Ben oui, deux enfants par classes, ça fait combien ?) Peut-on honnêtement en finir avec l’inceste en ne se préoccupant que de l’après passage à l’acte ?

La solution vient de l’avant. Elle est dans nos familles. Dans nos rapports à nos cadets, à nos enfants. À leur individualité, leur autonomie, leur corps.

Elle est dans la vigilance, dans le repérage de ce qui permet, chez nous, l’existence de l’inceste plus que dans la diabolisation de celui qui l’a produit.

L’inceste n’est pas un accident. Il arrive parce que les conditions sont réunies pour permettre aux uns d’exercer une domination sur les autres sans être réprimés.

Et si l’inceste n’est pas un accident, alors il doit être démantelé au plus profond de la famille. Chez les silencieux, les complices, les confus. En somme, dans tous les angles morts où il pourrait se (re)produire.

Elsa A.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.