Altermondes (avatar)

Altermondes

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 novembre 2015

Altermondes (avatar)

Altermondes

Abonné·e de Mediapart

« Un chevalier plein de bonté, mais un chevalier sans armure »

Tout le monde se pose la question : y a-t-il un lien entre l’assassinat d’Anna Politkovskaïa et le dossier sur la torture qu’elle était en train de finaliser et dont elle avait annoncé la parution prochaine sur les ondes de Radio Liberté ? Journaliste à Novaïa Gazeta et consœur de la reporter russe morte le 6 octobre 2005, Elena Milashina témoigne et rend hommage à son amie.

Altermondes (avatar)

Altermondes

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout le monde se pose la question : y a-t-il un lien entre l’assassinat d’Anna Politkovskaïa et le dossier sur la torture qu’elle était en train de finaliser et dont elle avait annoncé la parution prochaine sur les ondes de Radio Liberté ? Journaliste à Novaïa Gazeta et consœur de la reporter russe morte le 6 octobre 2005, Elena Milashina témoigne et rend hommage à son amie.

Neuf années déjà se sont écoulées depuis ce jour terrible où ma collègue, Anna Politkovskaïa, a été assassinée. C’était précisément un samedi, le jour où nous envoyons à notre imprimeur le bon à tirer. Le numéro auquel nous venions de mettre la dernière main devait contenir un nouvel article d’Anna ; finalement, c’est sa nécrologie qui y fut publiée. Une énorme photographie (elle y était étonnamment belle !) sur fond noir et, en guise de titre, son prénom. Ania.

Rares étaient ceux qui l’appelaient par ce diminutif, Ania. Pas seulement parce qu’elle n’a jamais apprécié la familiarité. En réalité, même si nous ne l’avons jamais formulé ainsi de son vivant, pour nous, ses collègues, il était évident qu’Anna était plus qu’une journaliste. Même plus qu’une légende. Elle était un symbole. Peut-être le symbole le plus marquant, le plus fort, de cette autre Russie dont le monde semble avoir pratiquement oublié l’existence. Une Russie compatissante, honnête et libre. Cette Russie-là a le visage et la loi morale d’Anna.

Après l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, le président Poutine a déclaré : « Elle était connue dans les milieux des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme, mais son influence sur la vie politique en Russie était minime. » Jamais peut-être Poutine n’avait été aussi loin de la vérité. Politkovskaïa n’est plus là depuis neuf ans. Mais il n’y a toujours personne d’aussi important et influent qu’elle en Russie.

Politkovskaïa et Poutine, c’est comme Andreï Sakharov et l’Union soviétique dans ses dernières années. C’est un combat entre le bien et le mal. Anna n’est plus là physiquement, mais ce combat, éternel comme la vie, n’a cessé, depuis sa mort, de gagner en intensité. Car cette confrontation ne peut se terminer que par la victoire du bien. Politkovskaïa croyait dans le pouvoir du bien et puisait sa force dans cette croyance. Andreï Sakharov avait fini par vaincre. Nous devons nous en souvenir. Nous devons y croire.

Pendant de longues années, Ania a occupé dans notre rédaction le bureau voisin du mien. Nous avons travaillé ensemble à Moscou et au Caucase. C’est moi qui lui ai téléphoné à Washington, en octobre 2002, le jour où des terroristes ont pris 900 otages dans le théâtre de la Doubrovka lors d’une représentation de la première comédie musicale russe, « Nord-Ost ». Les terroristes avaient exigé qu’on fasse venir Politkovskaïa en tant que négociatrice, car ils lui faisaient confiance. Y aller ou pas ? Ania n’a pas hésité une seconde. En composant son numéro, je savais qu’elle accourrait immédiatement. Et je craignais pour sa vie. Nous avions toujours peur pour elle. Elle était un chevalier plein de bonté, mais un chevalier sans armure, totalement vulnérable.

Après sa mort, j’ai commencé à travailler en Tchétchénie. Pour que les commanditaires de son assassinat, qui sont restés impunis, sachent que s’ils tuent une personne, une autre viendra prendre sa place. Il est impossible de nous tuer tous. Je sais que de nombreux Tchétchènes me comparent à Politkovskaïa, qu’ils connaissaient personnellement. Ils la connaissaient, ils la protégeaient du mieux qu’ils le pouvaient, ils l’aimaient. Tout comme Politkovskaïa connaissait la Tchétchénie, la protégeait et l’aimait. Le plus grand éloge pour moi est d’entendre de la part d’un Tchétchène ces mots : « Vous poursuivez son œuvre. »

Ce témoignage poignant d’Elena Milashina est tiré du hors-série « 10 ans » d’Altermondes, a paraître le 4 novembre. Il est accompagné des fragments, pour la première fois traduits en Français, de l’article qu’Anna Politovskaïa n’a pas eu le temps d’achever avant son assassinat. Elle préparait alors un dossier sur la torture. Pour se procurer ce hors-série et avoir accès à ce contenu exclusif, rendez-vous sur la boutique en ligne d’Altermondes.


Altermondes est en campagne

Le hors-série 10 ans d’Altermondes compte parmi les contreparties proposées par la revue dans le cadre de sa campagne de financement participatif. Chaque soutien qui contribuera à hauteur de 20 euros recevra ce numéro spécial. Et pour 10 euros de plus, le rédacteur en chef d’Altermondes, David Eloy, dédicacera l’exemplaire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.