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Billet de blog 12 octobre 2008

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Tchernobyl : Le poing

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis aveugle. sympathisant du réseau sortir du nucléaire, je pensais être sensibilisé à cette question, de ces dangers et de la catastrophe qui est en route. Je suis aveugle. De nombreux reportages, des articles innombrables, des émissions de radio et des livres, avaient construit en moi une connaissance de cette tragédie. Ou ce que je croyais être une connaissance. Il n'en est rien. J'ai saisi ces images il y a quelques jours lors d'une conférence à Vilnius sur le sort réservé aux liquidateurs, ces personnes que l'Union soviétiques a envoyées à la mort pour boucher les trous de la centrale qui venait de partir en enfer. Je te les donne, bien maladroitement ....

Un liquidateur biélorusse se lève et dit d'une voix étonnamment ferme : "Nous n'avons pas besoin de vos expériences sur les rats pour démontrer les dangers de la radioactivité. De tous mes collègues qui ont travaillé sur le site, Je suis le seul survivant. J'ai 43 ans. Messieurs les scientifiques, en Biélorussie, depuis 22 ans, les rats ce sont les hommes." Sa main droite est fermée comme une pierre, une pierre pendue au bout de son bras. Les doigts sont blancs. Il ne doit plus rester une seule molécule d'air dans cette paume. Tout est tendu, prêt à exploser. La rage de cette homme, sa douleur ne se trouvent ni dans sa voix, ni dans son comportement, mais enfermées dans ce poing comme dans une cage.

L'ancien président de Biélorussie est installé à une dizaine de mètres dans la grande salle de Conférence. D'où il est, il ne peut pas voir, il peut juste entendre. Il se lève d'un bon, comme si les propos du liquidateurs étaient incohérents. " La construction d'une centrale nucléaire en biélorussie est indispensable. Nous avons besoin de cette énergie si nous voulons rattrapper notre retard et nous développer. Le projet d'AREVA est notre planche de salut."

Le liquidateur reste impavide. Son poing sous la table est devenu rouge sang, comme un coeur qui bat, BOUM, BOUM.

Je te dis cela parce que j'ai compris tout à coup que aucun moyen de communication au monde n'est en mesure de véhiculer les informations transmises par ce poing sous la table. Tu peux faire des gros plans dans un documentaire, tu peux le raconter dans un billet de blog, tu peux faire une photo noire et blanc ou un dessin, tu peux même mettre un micro qui te fait entendre les os qui craquent à l'intérieur et le sang qui cogne dans les veines, rien ne permet de décrire la violence et la profondeur de ce que ce poing m'a enseigné. Et cette idée m'a inquiété.

Au fait, vous saviez-vous qu'AREVA, l'industrie préférée du gouvernement français offrait ses services pour installer une centrale nucléaire en Biélorussie ? Que les nucléocrates venaient ajouter à leur arrogance, le mépris des morts et de la douleur. Et cela vous fait quoi ? Moi, je vous le dis en toute simplicité, je sens le poing de ma main droite qui se crispe sous la table.

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