La Commission de l’Agriculture du Parlement européen vote sur le projet de la nouvelle PAC (Politique Agricole Commune) cette semaine. De cette réforme dépend le sort de 500 millions de personne, les européennes et les européens des 27 états membres, dont nous sommes, vous M. Plenel et moi, Amaitenaz. Oui, notre vie et notre alimentation future dépend de ce qui sortira de cette nouvelle réglementation.
A ma droite : l’agro-industrie, poids lourd du lobbying bruxellois, représentant Nestlé et Danone, Carrefour et Monsanto, New Holland et la Sodexho. Les muscles sont puissants. C’est une belle bête puissante et vigoureuse. Depuis 1962, elle a gagné tous ses combats.
A ma gauche : les paysans (souvent réactionnaires d’ailleurs). Ils sont petits et divisés, éparpillés dans des campagnes, sans wifi et dans pas mal de coins sans route convenables. Ils disparaissent à une vitesse prodigieuse. 4 millions de fermes rayées de la carte en 10 ans en Europe, c’est près de 6 millions d’emplois qui ont disparu. Quand une entreprise ferme dans un canton, les socialistes s’affolent, et le Ministre du redressement poussif s’habille en guignol. Quand 100 fermes glissent la clé sous la porte dans le même coin, tout le monde s’en moque. Les lumières s’éteignent les unes après les autres. Les ploucs ont l’avantage d’être discrets, de faire faillite en silence. Les villages se vident et la vie s’en va.
Plus aucun européen ne pense réellement être confronté dans l’avenir à un problème d’approvisionnement alimentaire. Nous pensons tous que notre assiette est garnie jusqu’à la fin des temps. L’Europe importe pourtant 50 millions de tonnes de soja et autres produits alimentaires transgéniques pour alimenter les volailles, les porcs et les vaches. Les chiffres ne parlent pas vraiment, ils est nécessaire de les traduire : aujourd’hui l’Europe il faut acheter 100 kilo de soja chaque année par européen.
La plupart des importations viennent de l’Amérique du sud, en particulier du Brésil. Le monde change vite. Les chinois veulent aussi leur bout de jambon. Ils construisent des routes trans amazonienne pour aller acheter eux aussi le soja des brésiliens. Résultats, et là les libéraux ont raison, l’offre a du mal à suivre la demande et les prix s’envolent. Nous aurions pu profiter de cette réforme de la PAC pour ré-orienter notre production agricole et produire les aliments nécessaires à nos élevages en Europe.
Mais non, le débat sur l’agriculture n’a pas eu lieu. L’agro-industrie va gagner le combat en trente seconde. Les paysans sont KO debout. Mais qu’importe, le public n’est pas dans la salle, et les médias non plus. Nestlé poursuivra son business et permettra à Mme Bettencourt d’utiliser son argent pour graisser les rouages d’un système politique qui lui convient à merveille et que vous dénoncer joliment.
Le mirage d’informations qui nous entoure n’a pas placé ce sujet dans la case actualité. La guerre au Mali, la violence en Algérie, et l’affaire Cahuzac, sujets certes importants, occupent l’essentiel de nos esprits, des ondes de nos radios, et des bits de nos blogs. Pourtant de cette réforme dépend notre alimentation quotidienne. Trois fois par jour la plupart des européens passent à table, mangent un sandwich, grignotent un snack, et 40 millions d’entre nous visitent les « restaurants du cœur » ou pire encore, font la queue pour avoir une soupe chaude servie par des bénévoles.
La réforme de la PAC aura une influence sur l’emploi de millions de gens, l’accaparement des terres, l’eau et l’irrigation, l’érosion des sols, la biodiversité et la marchandisation du vivant, sur la société de demain, les rapports nord-sud et sud-sud (donc sur les guerres à venir), les biocombustibles. J’arrête ici cette liste interminable et je l’admet démoralisante.
M. Plenel, vous dirigez un média désincarné mais qui prend de plus en plus d’importance dans la création de l’opinion publique. Les choix éditoriaux ne sont pas simples j’en conviens. J’attends avec impatience de voir comment Mediapart traitera ce sujet fondamental cette semaine. Lui ferez-vous une place au milieu des scandales, du sang et de la guerre, facilement compréhensible par vos abonnés et donc relativement rentables ?
Je l’espère.
En cas d’absence de la Une, je ne vous en tiendrai pas rigueur car on ne peut pas être sur tous les fronts, j’en conviens. Vous aurez une séance de rattrapage lorsque cette réforme calamiteuse de la PAC passera en session plénière à Strasbourg au mois de mars, parce que même si cela doit vous surprendre, la faim est une préoccupation constante de 40 millions d’européens, et nul n’est assuré au train ou vont les choses d’avoir son assiette garnie jusqu’à la fin des temps. Mais il sera alors un peu tard et nous attendrons 7 ans jusqu’en 2020 pour voir le prochain combat. J’espère qu’alors le public sera enfin dans la salle, alerté par Mediapart, pour soutenir les petits paysans et l’agriculture familiale contre l’agro-industrie.
PS : Ce blog ne cherche pas à vous culpabiliser mais plutôt à vous aiguillonner tel le brave paysan qui rentre le soir ses vaches à l’étable pour la traite en les engueulant un peu tout en sachant combien leur lait sera crémeux.