Tandis que le Pérou déroule le tapis rouge aux délégations du monde entier et proclame de beaux discours dans les tribunes du sommet mondial sur le changement climatique (la COP20), il rabaisse ses normes environnementales pour doper sa croissance. Et ce alors qu'il est en butte à des centaines de conflits sociaux-environnementaux, liés pour la plupart à l’industrie minière.
Conga, Espinar, Cerro Verde, ces noms sont quelques exemples des centaines de conflits sociaux-environnementaux en cours dans le pays. Conflits pour la plupart liés aux activités minières et d’hydrocarbures.
Malgré cette situation, le gouvernement fait le choix de fragiliser sa jeune législation environnementale (le Ministère de l’Environnement a été créé en 2008) ouvrant la voie à davantage de conflits, comme le prédisent les organisations de défense des droits de l’homme. Comme l’explique Jaime Borda, de l’ONG droits de l’homme sans frontières, « Les populations craignent de se voir expropriées de leurs terres et s’inquiètent des risques de pollution ». Et ce, dans un pays qui possède l’une des biodiversités les plus riches de la planète.
Au coeur de la polémique, une loi qui passe mal au sein de la société civile : la loi 30 230 pour la relance de l’économie, promulguée à la hâte en juillet dernier par le Président Ollanta Humala, pressé d’enrayer le ralentissement économique. Alors que le Pérou affichait des taux de croissance de 6=7% en moyenne ces dix dernières années, il connaît une année 2014 décevante, qui s’annonce comme l’une des plus faibles depuis cinq ans.
En proposant de simplifier les démarches administratives pour les entreprises, le texte espère attirer 11 milliards de dollars d’investissements (8,8 milliards d’euros) et générer plusieurs points de croissance, notamment dans le secteur minier.
Mais pour ses détracteurs la loi fragilise considérablement la législation environnementale, en « privant le ministère de l’Environnement d’une bonne partie de ses prérogatives», nous explique Jose de Echave, ancien vice-ministre de l’Environnement du gouvernement Humala, aujourd’hui codirecteur de l’ONG CooperAcción. Notamment le pouvoir de créer des réserves naturelles protégées, de définir les standards de qualité environnementale, ou encore de fixer les limites d’émissions polluantes. [1]
Une tribune rassemblant des centaines d’ONG demande son retrait. En vain.
Economie extractiviste
L’économie péruvienne repose sur l’extraction des matières premières : or, argent, cuivre, zinc, mais aussi pétrole et gaz – des industries hautement polluantes. Le secteur minier représente à lui seul 70% des exportations.
Chaque semaine au Pérou des cas de pollution de rivières, de lacs, de sols sont rapportés. Mais les entreprises sont rarement sanctionnées. Pire, la loi 30 230 réduit le pouvoir d’action de l’Organisme de sanction, l’OEFA,[2] en abaissant de moitié le montant des amendes. De plus, celles-ci ne pourront désormais être données qu’en dernier recours, « en cas d’atteinte grave à la santé ou l’environnement », explique Vanessa Cueto, de l’ONG DAR.
Le Pérou a par ailleurs été récemment épinglé pour être l’un des pays les plus dangereux pour les défenseurs de l’environnement. Selon l’ONG Global Witness, 57 d’entre eux ont été tués au cours des douze dernières années. Et la justice est souvent inefficace pour punir les coupables de ces crimes. Dernier cas en date : l’assassinat de quatre leaders Ashaninkas en Amazonie, à la frontière du Brésil et du Pérou, par de présumés bûcherons illégaux.[3]
Le Pérou est aussi l’un des 10 pays les plus vulnérables au changement climatique. On estime que 40% de sa surface glaciaire a fondue ces 44 dernières années et elle pourrait disparaître d’ici à 25 ans. [4] La déforestation, quant à elle, est responsable de 40% des émissions de gaz à effet de serre et s’accentue sous le coup de la pression agricole et du trafic de bois illégal. 130 000 hectares de foret disparaissent chaque année - l’équivalent d’une ile comme la Martinique.
Pendant que les 195 délégations discutent des termes d’un futur accord pour contrer le réchauffement climatique, la société péruvienne attend de son gouvernement des avancées en matière environnementale. Notamment une loi cadre sur le changement climatique, promise avant le début de la COP mais toujours en discussion au Congrès. «C’est vraiment le moment de prendre des engagements forts en faveur de l’environnement», juge Vanessa Cueto.
[1] Pour en savoir plus sur la loi: ici à http://www.liberation.fr/terre/2014/11/30/sommet-climat-les-mauvaises-minieres-de-l-hote-peruvien_1153961
[2] Organismo de Evaluacion y de Fiscalizacion ambiental
[3] Voir mon premier post de blog et http://www.theguardian.com/world/2014/sep/09/illegal-loggers-blamed-for-of-peru-forest-campaigner
[4] http://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/changements-climatiques/201412/03/01-4824926-les-glaciers-andins-a-lagonie