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Billet de blog 21 octobre 2014

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La Bolivie ignorée

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je voudrais rebondir sur un article d’Acrimed[1] (Observatoire des Médias) qui analyse pourquoi les élections boliviennes sont sorties des écrans radars de l’information.

En effet, me trouvant en Bolivie, étant journaliste, j’ai pu constater le peu d’intérêt porté à ce pays. Il y a bien sûr eu quelques articles sur le sujet de correspondants (RFI, Le Monde, Le Figaro) ou d’envoyés spéciaux (L’Humanité, Mediapart), mais la plupart des rédactions ont traité le sujet à partir d’une unique source : la dépêche AFP.

Ce relatif silence médiatique, comme l’écrit Nils Solari dans son article, est le résultat de plusieurs facteurs. Entre indolence, manque de moyen des rédactions et croyance- a priori- que la Bolivie n’intéresse pas les lecteurs/téléspectateurs. Autre raison, plus idéologique, serait qu’une partie de la presse se montrerait frileuse lorsqu’il s’agit de parler de la « réussite » (à nuancer, j’expliquerai pourquoi dans un prochain billet) d’un modèle différent du modèle libéral.

Pourtant, la Bolivie, possède bien des caractéristiques susceptibles d’intéresser les citoyens français. Evo Morales est une figure emblématique de la gauche latino-américaine. Premier président indigène et paysan de Bolivie, il a engagé  son pays dans un processus de transformation sociale inédit qui propose de refonder la Bolivie sur de nouvelles bases et d’en finir avec le « colonialisme interne » - le pouvoir étant jusqu’à son arrivée à la tête de l’Etat tenu par une élite blanche-créole, quand la population est composée de plus de 60% d’indigènes[2].

Elu en 2005, puis en 2009 avec 64% des voix, puis enfin réélu une troisième fois dimanche 12 octobre avec 61% des voix, son succès électoral mériterait donc que l’on s’y attarde. 

Alors quels sont les motifs invoqués par les rédactions pour ne pas traiter ce sujet ? Voici quelques réponses.

La correspondante régionale du Monde, C. Barbier, basée à Lima depuis 10 ans,  s’était déplacée à La Paz pour couvrir les élections. On lui a commandé deux papiers d’angle pré-électoraux mais pour ce qui est de l’analyse le jour J. du processus électoral, le journal a préféré reprendre une dépêche AFP et lui a fait comprendre qu’elle pouvait rentrer à Lima. La raison : la dépêche AFP suffit pour traiter ce genre d’évènements. Pourtant, au regard des critiques dans le pays autour du bon déroulement des élections, il aurait été utile et souhaitable qu’un journaliste de terrain puisse enquêter sur le système électoral en question.

Pour ma part, travaillant dans l’audiovisuel et notamment pour France 3, j’ai d’abord proposé un reportage à la chaine publique, puis ensuite à Arte, chaine qui fait pourtant la part belle à l’international.  Concernant la première, je n’ai eu aucune réponse, témoignant l’enthousiasme suscité par la Bolivie. La seconde, quant à elle, m’a fait savoir que la Bolivie n’était pas la priorité - le monde étant en ce moment bousculé par des actualités autrement plus brûlantes.

Enfin, je me suis tournée vers des chaînes d’information en continu, pensant trouver un peu plus de disponibilité et de flexibilité dans les conducteurs des journaux d'informations. Mais là encore, la réponse fut négative. La raison invoquée fut la suivante : « Il y a trop d’actu en France » en ce week-end du 12 octobre et « la politique bolivienne ne passionne pas les foules ». J’ai donc par curiosité cherché ce que voulait dire «  grosse actualité » nationale. Il s’agissait d’un fait divers: les inondations dans le sud de la France. Je ne remets pas en question le fait qu’il faille en parler (un minimum) mais diffuser en boucle la même information toute une journée et ne pas pouvoir consacrer une minute trente de temps d’antenne à parler d’un pays où les bouleversements sociaux sont si importants me laisse perplexe.

Travaillant dans le milieu des medias, je ne devrais pourtant pas m’en étonner. Malgré tout, je suis toujours surprise du paradoxe du "tout info" qui nous laisse penser qu’aujourd’hui nous sommes plus informés qu’hier - et qui plus est en temps réel - alors qu’en réalité, s'informer sur ces chaines revient à voir le monde avec des œillères.

Aussi, les choix éditoriaux ne reposent pas toujours sur une logique bien définie mais sur des décisions personnelles de rédacteurs en chef tenus par des contraintes budgétaires et qui pensent pour le téléspectateur, écartant d’un revers de main des sujets qui selon eux « n’intéressent pas les Français ».


[1] http://www.acrimed.org/article4473.html

[2] Selon le recensement de 2001, la population bolivienne se déclare à 62% indigène. Toutefois en 2012, date du dernier recensement, les Boliviens ne sont plus que 41% à s’identifier comme appartenant à un groupe indigène. Des résultats qui ont créé la polémique. Les questions posées pour effectuer le recensement auraient été contradictoires et les réponses sujettes à interprétation.  

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