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Billet de blog 5 mai 2022

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La Mélanchonie

Cette Mélanchonie qui inquiète et qui dérange

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle, le 10 mars dernier, la candidature de Jean-Luc Mélenchon avait rassemblé pas loin de huit millions de suffrages. Un résultat inattendu, très supérieur aux prévisions annoncées par les sondeurs, qui aujourd’hui inquiète et terrorise tous ceux qui craignent que la «France d’en bas» puisse se rassembler autour d’un nom, d’un mouvement et de cette nouvelle dynamique. Les électeurs de la France Insoumise sont-ils des «islamo-gauchistes», des «révolutionnaires», un «danger» pour la démocratie ? Évidemment non ! Ils sont contre toute attente l’expression d’une France qui souffre, qui désespère et qui ne supporte plus d’être traité de «mauvais français», de «racailles», «d’assistés», «d’islamistes», de «français de papier», ou encore «d’esclaves»…  

Depuis cette élection et la proclamation de Jean-Luc Mélenchon de vouloir être le prochain premier ministre d’Emmanuel Macron, la terreur et la désillusion ont changé de camp. Elles s’expriment quotidiennement dans les tribunes de journaux, se fait entendre sur les plateaux de télé et s’exonère de toute précaution pour présenter les militants LFI comme des ennemis de la démocratie et de la bonne conscience.  François Hollande lui-même (essayons de ne pas en rire), Manuel Vals (le chômeur ambulant), et les éléphants du feu parti socialiste se mobilisent et se font entendre pour contenir autant que possible cette émergence populaire, en multipliant les prises de paroles sur le «risque» et le «danger» Mélenchon. Ces critiques, émanant de «la gauche caviar» qui s’est de nombreuses fois compromise et qui a tout trahie, amusent énormément les nombreux observateurs comme moi, qui depuis trop longtemps constatent et contemplent les dérives de ce PS désincarné et moribond. 

Ne partageant pas spécialement les idées de la France Insoumise, je reste toutefois surpris et circonspect de constater l’hypocrisie qui prévaut aujourd’hui pour qualifier et dénigrer un mouvement qui cristallise le mal-être des français, leur désespérance, et leurs souhaits de voir leur quotidien évoluer favorablement. Cette France qui ne supporte plus les discours technocratiques d’une élite méprisante, incapable d’inspirer l’espoir, et qui ne cesse de professer sur la «rigueur», les «sacrifices nécessaires» et le «danger de l’immigration». Une élite d’autant plus encline à aborder la question de «l’austérité» que celle-ci ne s’applique jamais à elle. Elle dispose, quoi qu’il arrive,  de privilèges multiples, de chauffeurs pour les conduire, d’appartements de fonction pour les accueillir, d’indemnités et de salaires conséquents, pour être installé durablement dans un confort qui l’éloigne toujours davantage du peuple et de ses aspirations.

Jean-Luc Mélenchon, lui, propose la retraite à 60 ans, la baisse du prix des carburants de 25%, l’augmentation sérieuse des bas salaires avec notamment un smic à 1400 euros net, de bloquer les prix des produits de première nécessité, de rendre le vote obligatoire, d’instaurer la proportionnelle pour que chaque français se sente représenté, d’ouvrir plus de 500 000 places de crèches, de titulariser les contractuels de la fonction publique, d’augmenter l’aide juridictionnelle, de lutter véritablement contre les discriminations, etc. En fait, il s’adresse à la souffrance de tous ces français qui se sentent oubliés et qui désespèrent depuis toujours d’être entendu par les partis politiques traditionnels. Alors, probablement qu’une partie de ces mesures ne sont pas réalisables ou finançables, mais au moins elles inspirent et mobilisent les plus défavorisés de nos concitoyens. Elles leur permettent de croire en la générosité de notre République et en la possibilité que celles-ci puissent enfin améliorer leur quotidien.    

Pour moi, qui appartiens idéologiquement depuis au moins trente ans au centre droit, je suis dans l’obligation de reconnaitre que cette forme de «générosité chrétienne» qui lui appartenait autrefois, est aujourd’hui majoritairement incarnée par les tribuns comme Jean-Luc Mélenchon. Je regrette profondément que la démocratie chrétienne ou que la sociale démocratie ne soit plus en capacité d’assumer les aspirations de ce peuple en déshérence, qui se sent abandonné et déconsidéré. Le problème aujourd’hui ce ne sont pas les propositions de Jean-Luc Mélenchon ou ce qu’il représente, mais plutôt les nombreuses défaillances de ce centre droit et du socialisme gangréner par l’opportunisme dévorant et les compromissions multiples. Ces mouvements sont devenus des coquilles vides, incapable de faire entendre leurs voix et les valeurs qui les portaient par le passé, et dont François Bayrou personnifie idéalement ce renoncement et cette désertion.

Le centre droit était autrefois la conscience de la droite française, sont socle idéologique et aussi son repère sur les questions éthiques, humanistes, sur ce que doit être une politique familiale, sur la générosité qui doit accompagner chaque mesure, chaque disposition de la loi, et sur la tolérance qui doit prévaloir dans toutes les circonstances (ce qui est nullement antinomique avec la fermeté policière). La droite traditionnelle quant à elle, tend à se désagréger inéluctablement, et se confond dans l’idéologie mortifère proposée par l’extrême droite. Elle reste incapable d’exister autrement qu’aux travers des thématiques imposées et dictées par Éric Zemmour et le rassemblement national : «l’islamisme», «le séparatisme», «l’immigration», «le grand remplacement»… Quelle crédibilité pour un parti de gouvernement qui passe son temps à dénigrer et à critiquer la religion de plus d’un milliard de pratiquants ? À l’évidence le gaullisme version Les Républicains s’est totalement fourvoyé, et les 4% de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle devraient davantage faire réfléchir ses dirigeants sur les discours qu’ils portent que sur l’inaptitude de leur candidate.  Les LR d’aujourd’hui ne nous disent plus rien de sérieux sur l’économie, le chômage, la solidarité nationale, la coopération, la francophonie ou le rayonnement de la France à travers le monde, rien, nada, niente, nothing !... Ils sont aphones ou inaudibles sur de nombreux sujets, de nombreuses questions essentielles qui préoccupent les français et les font s’éloigner de la politique.

La nature ayant horreur du vide, ne cherchons pas dans le profil des cadres et des militants de la France Insoumise, les raisons d’une possible inquiétude, mais assumons objectivement les contradictions et les manquements qui ont conduit à désabusés les français. Des fautes caractérisées par les politiques publiques menées depuis au moins vingt ans et qui n’ont fait qu’appauvrir et désespérer une majorité de nos concitoyens...

Amar DIB

Écrivain               

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