À l’heure où les États-Unis reconnaissent officiellement que «la junte militaire Birmane a commis depuis des années un véritable génocide contre la minorité Rohingyas» et alors que l’ONU décrète que le 15 mars sera la « journée mondiale de lutte contre l’islamophobie » nous peinons à ne pas nous sentir en exil dans un pays qui pourtant est aussi le nôtre et qui s’adresse à une composante de sa population comme si elle représentait une verrue qu’il ne veut ni voir, ni considérer, ni comprendre.
C’est surprenant combien, nous musulmans, nous nous sommes nous-mêmes habitués à entendre des choses désagréables et blessantes sur notre religion, nos origines, notre culture, nos supposées mœurs, intégrant peu à peu comme une torture nécessaire l’idée que notre condition devait se soumettre à ce traitement et ce passage obligé vers une meilleure «assimilation».
Lire dans le texte et entendre dans la bouche des nouveaux censeurs le peu d’estime qu’il nous faut avoir de ce que nous sommes et de ce que nous représentons. Accepter l’humiliation d’être identifié comme un fléau potentiel, comme un danger qu’il faudrait circonscrire, pour que puisse s’exprimer et se faire entendre la sacro-sainte liberté de parole chère à ces nombreux juges de la pensées qui pullules dans les hémicycles et les rédactions.
Rares sont encore ceux qui osent faire entendre une voix dissonante susceptible de nuancer quelque peu toutes les sentences qui s’abattent presque quotidiennement sur ce que d’aucuns appellent le « monde musulman ». Cette enclave immonde qui sclérose l’esprit, où on voile les femmes pour mieux les contraindre, où la liberté n’est qu’un leurre réservé aux hommes, et où la vie ici-bas n’est qu’un temps de purgatoire qu’il faut rejoindre avec allégresse.
Une mise en scène de l’information et une multitude de stéréotypes assénés et livrés comme des vérités affranchies de tout contrôle, de toutes vérifications, une oppression ciblée, simplement pour faire entendre le bruit sourd et répété d’une perception que les préjugés trahissent en permanence.
Pourtant, parce qu’il est possible de considérer autrement les choses et les êtres, il me semble que les français restent majoritairement dubitatif et circonspect devant autant de dénigrements, autant de coups portés à des millions de français musulmans qu’il faut extraire de notre communauté nationale, le temps de justifier et de qualifier cette dégradation médiatique et politique. L’expression d’une société en perdition qui s’inquièterait de son déclin et de sa possible transformation.
Réalité cruelle pour l’ensemble de nos concitoyens d’être contraint de se réveiller chaque matin en se demandant si la France est toujours la France, et si le monde, dans l’enchevêtrement des guerres qui envahissent notre planète et l’engrenage du changement climatique, ne nous invite-t-il pas à reconsidérer l’humanité qui est la nôtre.
Aux questions d’identité, de souveraineté, de prébendes, ne faut-il pas s’interroger plus largement sur les enjeux communs qui feront que demain nos enfants auront moins à se soucier de la couleur de peau ou de la religion de leurs co-religionnaires républicains que de leurs apports en terme de connaissances et de savoir-être ?
À la lumière de l’histoire universelle, nous devrions comprendre combien les peuples se ressemblent et partagent les mêmes aspirations essentielles d’adhérer à une vie qui se prolonge et qu’il faut envisager dans la paix et la fraternité. Toutes les autres considérations ne subsistent que pour le court terme et pour offrir à l’opportunisme insatiable d’une petite minorité la jouissance éphémère d’un pouvoir qui ne dure jamais.
Il reste que les masses populaires sont totalement dépendantes de ces minorités agissantes qui n’opèrent que pour renforcer les options qui sont les leurs et faire grossir des richesses qui n’en finissent plus de s’entasser.
En face d’un tel pouvoir, le citoyen doit se prémunir et faire preuve d’une grande lucidité en s’informant et en veillant à chercher ce qui correspond davantage à la vérité. Par le passé, nous ne disposions pas des réseaux sociaux et du flot d’informations qu’ils véhiculent, mais nous avions des penseurs, des philosophes, des intellectuels, qui n’hésitaient pas à s’engager pour les nobles causes, en cherchant toujours à orienter les peuples vers l’intérêt commun.
Aujourd’hui, ceux qui prétendent informer et éclairer les imaginaires, s’improvisent en conseiller militaire, invitent à la guerre, à la chasse aux sorcières, et à identifier les cultures ou les races susceptibles d’être « supérieures » aux autres. Ils instituent le jugement de valeur comme une règle et un repère qu’il faut utiliser pour reconnaitre le vrai du faux, et chasser l’imposteur de la référence française et occidentale. Ils sont promus, financés, comme le sont leurs idées, et on comprend aisément le sens de cette omniprésence à la télévision, à la radio, et dans les médias en général, de ces ambassadeurs du chaos qui ne peuvent que se soumettre à une idéologie funeste qui leur permet d’apparaitre comme des éclaireurs.
Autrefois, le danger était Juif, communiste, judéo-bolchevik, italien comme durant les années d’après-guerre, aujourd’hui il est musulman, et bientôt il sera probablement chinois.
À chaque fois il convient de diaboliser ceux qu’il faut marginaliser et contenir en les présentant comme un péril potentiel pour la démocratie. Là aussi, la «liberté d’expression» sert les desseins de ceux qui l’organisent, et de préférence dans un sens où la propagande permet d’accabler les uns pour promouvoir les autres. Dans ce jeu de dupe, personne ne sort gagnant du fait qu’il convient d’opposer toujours les hommes, les cultures, les continents, en cherchant la fracture pour gagner l’adhésion de tous ceux qui ne savent pas s’informer, de tous ceux qui ne lisent pas et qui s’en tiennent à l’information «officielle».
Malheureusement, chez-nous comme ailleurs, des lobbies puissants et influents orientent l’opinion publique dans le sens de la défense d’intérêts qui ne sont pas spécialement ceux de la majorité des peuples. Et pour cela, ils n’hésitent pas à rendre responsables de tous les maux que rencontre notre société une partie de ces populations, parce qu’ils sont ouvriers, parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils sont trop âgés ou plus simplement parce qu’ils sont musulmans.
Au moment de sa libération, et à l’occasion de multiples conférences, Nelson Mandela très lucide, avait régulièrement proclamé son amitié pour le leader Libyen Mouammar Kadhafi et aussi le leader cubain Fidel Castro. Les remerciant pour leur soutien indéfectible à l’ANC durant plusieurs décennies, et en rappelant à l’occident sa longue compromission avec les promoteurs de l’Apartheid.
Cet exemple, comme beaucoup d’autres, illustre formidablement la manière dont nos médias sont capables d’orienter et de livrer sciemment une information erronée sur l’histoire et les événements. Je pourrais offrir, à travers cette tribune, des centaines d’exemples comme celui-ci, qui montre combien notre « information officiell e», comme notre histoire « officielle » d’ailleurs, doit être systématiquement vérifiée, et restent infesté de mensonges et d’arrangements opportuns avec les faits et la réalité.
Toutes les guerres au nom des « droits de l’homme » de ces dernières décennies, réservées aux seuls pays musulmans (Irak, Afghanistan, Tchétchénie, Libye, Syrie, Mali, Yémen, etc.) que nous avons menés en commençant par les détruire, et en cherchant à les « renvoyer à l’âge de pierre » comme l’avait avoué le secrétaire d’état américain James Baker au moment de l’invasion de l’Irak, sont les marques d’un mépris lointain venus du fond des siècles.
Nul besoin de réfléchir trop longtemps pour comprendre que ces guerres de civilisation où devaient s’exporter les fondements de la démocratie à la sauce occidentale étaient en réalité des croisades contemporaines que notre chère «liberté d’expression» n’a jamais souhaité qualifier.
Aussi, les français, comme les occidentaux en général, qui voient leur parvenir quotidiennement une forme de désinformation allègrement distillée par des organes rompues à cet exercice, doivent aujourd’hui plus qu’hier ce prémunir contre ces manipulations qui nous invitent aux préjugés, au racisme et à la détestation de tous ceux qui ne souhaitent pas adhérer et se convertir à cette promotion systémique de la haine.
De nos jours, il convient de haïr et de veiller à apparaître comme un homme ou une femme qui a le goût et le « courage » de la détestation (de préférence de l’immigré africain ou de l’arabo-musulman bien-sûr). Cela vous assure et vous garantit une visibilité médiatiques quasi quotidienne, ou au moins hebdomadaire, et vous promeut comme aucun autre sujet ne serait susceptible de le faire.
Depuis que des sociopathes sortis de nulle part ont assassiné des français (et aussi des musulmans) sur notre sol, nous nous sommes désinhibé et pouvons impunément accabler l’islam et les musulmans de tous les maux… C’est notre « liberté d’expression » chérie qui l’autorise, et cela nous permet aussi d’entretenir l’idée que nous sommes libres d’aimer ou de haïr, mais en ces temps difficiles nous préférons encore être libres de haïr et de dénigrer…
Amar DIB - Écrivain