FRANCE – ALGERIE
Lettre à Abdelmadjid TEBBOUNE
Monsieur le Président,
Il y a un peu plus de 24h vous avez rappelé votre ambassadeur à Paris, Monsieur Said Moussi, et confirmé par cette décision, « l’effet immédiat » de la rupture diplomatique entre l’Algérie et la France. Une mesure qui vient en réponse à l’adhésion officielle de l’état français, par la voix de son président, Emmanuel Macron, au plan proposé par le Maroc sur l’autonomie du Sahara occidental. Depuis cette proclamation, beaucoup s’interrogent sur le sens qu’il faut lui donner et la juste interprétation qu’il faut en faire.
De la Diplomatie…
D’abord, Monsieur le Président, d’ici, en France, nous comprenons que cette décision française vient s’inscrire dans un contexte international plus général et plus global, qui dépasse de très loin la seule cause Sahraoui. Depuis le début de la guerre en Ukraine, et avec ses conséquences désastreuses pour l’économie mondiale, les États-Unis et l’Europe, ont mobilisé leur diplomatie pour défendre leurs intérêts d’une manière légitime, ferme et agressive, afin d’envisager à l’échelle de la planète de faire rallier les partenariats les plus opérants à leur cause, et surtout d’annihiler les velléités de résistance de tous les pays susceptibles de contrecarrer cette hégémonie occidentale ancienne, et aujourd’hui vacillante.
Dans ce contexte, les chancelleries de ces pays disposent de stratégies et de directives précises pour mettre en œuvre les politiques qui leur permettront de maintenir cette domination économique, financière et militaire à travers le monde. En face de ces forces agissantes, se trouve une forme de non-alignement de nombreuses nations, comme la Russie, la Chine, le Brésil, l’Algérie, l’Afrique du sud, l’Iran, ou plusieurs autres pays du continent africain et de l’Amérique latine. Avec l’émergence récente des Brics, formant une coalition de ces principaux pays, on comprend que nous sommes entrés dans une nouvelle ère d’opposition où chacun va devoir rassembler ses alliés.
Cette période difficile et inquiètante, durant laquelle les conflits se multiplient (Ukraine-Russie, Palestine-Israël, États-Unis-Iran, etc.), doit conduire l’Algérie, comme durant toute son histoire, à promouvoir une diplomatie efficiente, éclairée, et portée par les meilleurs de ses diplomates. Elle doit, par ailleurs, comme l’ont toujours fait de nombreux pays sur le sol français (Maroc, Turquie, Israël, etc.) utiliser tous les circuits dont elle dispose à l’étranger pour comprendre les enjeux à venir, défendre ses intérêts, et faire entendre sa voix dans le concert des nations.
De l’exploitation des diasporas…
Comme des millions d’Algériens, et de Franco-Algériens vivant en France, je fais partie de tous ceux qui observent l’évolution des relations entre l’Algérie et la France, avec une appréhension incurable, qui confine parfois à la paranoïa. Nous paraissons être les éternels otages d’une diplomatie pas toujours très inspirée, d’une histoire qui nous échappe, et d’un bilatéralisme aléatoire et conjoncturel, qui nous renvoie régulièrement à des considérations suspicieuses de part et d’autre. Particulièrement durant ces périodes de crise, où nous ne nous sentons jamais assez algériens, jamais assez français, dépourvu de la possibilité de pouvoir investir l’un ou l’autre de ces deux pays. Chacun s’arrogeant le droit de nous déconsidérer, ici, comme là-bas, et d’émettre des doutes sur notre capacité d’influence ou d’implication.
Pourtant, le Maroc, comme la Turquie ou l’état d’Israël, n’ont, eux, aucun complexe pour considérer, solliciter ou exploiter leur diaspora en France et en Europe, et leur confier le soin d’apporter un soutien inconditionnel aux pays d’origine. Une femme politique comme Rachida Dati, actuelle Ministre de la Culture d’Emmanuel Macron, n’a-t-elle pas apporté publiquement et régulièrement son soutien indéfectible au plan marocain concernant l’autonomie du Sahara occidental ? Elle a même réussi à impliquer son parti Les Républicains dans cette reconnaissance avec la déclaration récente de monsieur Eric Ciotti son président. Les Turcs, avec le mouvement transnational Milli Gorus, composé de nombreux élus politiques en France, en Allemagne et en Belgique, soutient inconditionnellement Erdogan et sa politique. Le Crif et ses membres n’apportent-t-il pas régulièrement leur soutien indéfectible à l’état d’Israël, quelles que soient les circonstances ? Seule l’Algérie, qui compte parmi les immigrés, la composante la plus importante en France, s’applique à ne jamais considérer cette diaspora orpheline…
Le cas Said Moussi
Concernant la situation de l’ambassadeur d’Algérie en France, qui a été rappelé, les choses étaient prévisibles. Déjà, lors de sa désignation, beaucoup d’observateurs avertis, à Paris et à Alger, s’étaient interrogés sur cette surprenante promotion, compte-tenu du parcours de ce diplomate que rien ne prédisposait à occuper un tel poste. Une interrogation rapidement comblée par les révélations du recteur de la grande mosquée de Paris, Hafiz Shemsdine, qui se vantera à plusieurs reprises d’être à l’origine de la nomination de Said Moussi, comme il se vantera d’avoir été l’instigateur de l’éviction de son prédécesseur Antar Daoud…
À peine installé, l’ambassadeur Said Moussi convoquera tous les consuls algériens opérant en France afin de les rencontrer et d’établir les bases de leur future collaboration. Une réunion au cours de laquelle, la télévision algérienne qui filme l’événement, nous permet de constater que le recteur de la grande mosquée de Paris trône à la droite de Said Moussi. Que fait-il là ? Il n’est pas diplomate ! Qui l’a invité ? Qui a souhaité sa présence à cette rencontre? Des questions auxquelles il sera facile par la suite de trouver des réponses, puisque la mosquée de Paris deviendra un lieu où seront conviés chaque semaine des ambassadeurs de différents pays, où des diners et des débats seront organisés autour des thèmes comme : «le sport en Algérie», «investir en Algérie», «les colonies de vacances en Algérie», «les cures thermales en Algérie», etc. Il me semble qu’il s’agit là des prérogatives d’une ambassade et non de celles d’une mosquée…
Par conséquent, on comprend mieux pourquoi cette situation incompréhensible a conduit l’ambassadeur d’Algérie Said Moussi à s’effacer, et à progressivement disparaitre devant l’activisme irraisonné du recteur de la grande mosquée de Paris. Ainsi, les autorités françaises, comme les représentations diplomatiques de nombreux pays à Paris, furent les spectateurs pantois de ce fonctionnement surréaliste. Depuis au moins deux ans, cette confusion des genres ne permet ni à la classe politique française, ni aux autorités étrangères présentes sur le sol français, de comprendre qui est le bon interlocuteur en France pour l’Algérie, et de disposer d’une lecture claire de ce qu’est la voix de l’Algérie à Paris… Ces trop nombreux disfonctionnements, ces incohérences, ces maladresses et ces confusions multiples, qui n’ont que trop duré, ont probablement, aussi, parmi d’autres considérations géopolitiques, conduit à alimenter le choix de la France dans ce dossier.
Amar DIB
Écrivain et Juge-Médiateur-International