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Billet de blog 23 juin 2014

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Il ne tient qu'aux députés PS de s'opposer à la politique présidentielle : pour une cohabitation au sein de la majorité

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La Ve République reste fondamentalement un régime parlementaire, malgré l'élection du président au suffrage universel direct (depuis 1962 et non depuis 1958, il est parfois bon de le rappeler). Les périodes de cohabitation qu’a connues le régime sont là pour le montrer. Cependant, depuis la révision constitutionnelle sur le quinquennat et l'inversion du calendrier des élections (présidentielles et législatives), et plus encore depuis la présidence de M. Sarkozy, s’est imposée une lecture et une pratique présidentialistes de la constitution. Le Parlement ne joue plus aucun rôle dans la détermination de la politique à mener. L’ensemble des pouvoirs paraît inexorablement, et de manière plus inquiétante encore, légitimement sinon juridiquement, concentré dans les mains du président. Les parlementaires, qui subissent de plein fouet une diminution de leur pouvoir, semblent malheureusement eux-mêmes adhérer pleinement à cette lecture présidentialiste de la constitution et acceptent l'abaissement de leur légitimité, la plus forte pourtant dans la théorie de la démocratie parlementaire, face à la légitimité concurrente du président.

La situation actuelle, qui voit un président, dont la popularité n’a jamais été aussi basse, renier mot à mot le programme sur lequel il a été élu, et mésestimer avec morgue tout en faisant un usage tyrannique de la discipline partisane, les interrogations et les doutes d’un nombre qui va chaque jour croissant de députés du groupe majoritaire (PS), pourrait pourtant être l’occasion de redonner à l'actuelle constitution la dimension parlementaire qu'elle semble avoir perdue depuis quelques années. Il suffirait, pour cela, que les députés de la majorité qui contestent les choix politiques du président (et du gouvernement, celui-ci ayant été nommé par celui-là), reconnaissent qu'ils ont la possibilité, dans la situation actuelle, et de manière parfaitement légitime et légale, de déplacer le centre du pouvoir de la présidence aux chambres, plus précisément à l’Assemblée nationale.

L’une des particularités de la Ve République est de donner à celui qui exercera dans les faits le gouvernement du pays une légitimité démocratique distincte de celle dont bénéficie l’Assemblée nationale. L’actuelle situation peut en cela sembler insoluble pour les députés de la majorité, qui voient celui qui gouverne effectivement au nom de leur parti, le président, les mener à leur perte. Comment ceux-ci pourraient-ils en effet évincer de l’exercice du pouvoir M. Hollande, alors que celui-ci a été élu démocratiquement pour cinq ans ? Le président, pour gouverner, s'appuie sur la légitimité démocratique qu'il a acquise lors de son élection au suffrage universel direct. La majorité que détient son parti à l'Assemblée nationale n'est conçue que comme le support nécessaire à son action, les députés ayant été élus après l’élection du président et sur un programme identique au sien. Pendant ces cinq années, il est donc nécessairement le chef de la majorité parlementaire. A moins que des élections législatives aient lieu au cours du mandat présidentiel et qu'elles amènent une majorité opposée à celle du président à l'Assemblée nationale (période de cohabitation). Dans ce cas, le président perd le rôle de chef de la majorité parlementaire et le pouvoir de décider de la politique de la nation. Ce pouvoir, formellement dévolu au premier ministre dans la Ve République, revient au chef de la nouvelle majorité parlementaire. On justifie alors le transfert des pouvoirs du président au premier ministre issu de la nouvelle majorité de la manière suivante : les élections législatives, postérieures à l’élection présidentielle, expriment la manifestation la plus récente de la volonté du souverain, le peuple. Des élections législatives anticipées n'étant pas à l'odre du jour, rien ne s'oppose, a priori, à ce que l’actuel président continue de déterminer lui-même les orientations politiques du gouvernement jusqu'à la fin de la législature.

Dans un régime strictement parlementaire (Royaume-Uni), l’actuel problème de la majorité ne se poserait pas dans les mêmes termes. La distinction entre le président et le premier ministre n’existe pas. Le pouvoir gouvernemental est entièrement exercé par le premier ministre. Face à l’impopularité d’un premier ministre comparable à celle que rencontre M. Hollande, la situation aurait été rapidement réglée. Les députés de la majorité auraient démis le premier ministre. Ils ne l'auraient pas renversé en votant une motion de censure. Ils auraient plus simplement retiré au premier ministre le titre de chef du parti majoritaire et nommé un nouveau chef, qui aurait rempli la fonction de premier ministre jusqu'à la fin de la législature. L’exercice du pouvoir peut ainsi changer de main sans changement de majorité à la chambre et sans aucune mise en jeu de la responsabilité gouvernementale. C'est de cette manière que Tony Blair a été éclipsé du pouvoir. Il a été mis hors jeu par les députés de sa majorité qui craignaient, à juste titre, de perdre leurs sièges lors des futures élections à la Chambre des communes.

Cette solution n’étant pas à la portée des députés de la majorité, il faut chercher ailleurs. Car une solution existe. Les députés de la majorité, qui chaque jour constatent un peu plus le désastre que constitue la politique menée par le président pour leur parti, ne sont pas condamnés à subir la présence néfaste de M. Hollande jusqu’à la fin de la législature. Cette solution exige cependant une certaine forme de courage chez les dissidents de la majorité. Il ne fait d’ailleurs guère de doute qu’en adoptant une position forte contre le président et son gouvernement, les premiers opposants rallieront à leur cause bon nombre de députés socialistes qui hésitent encore à prendre ouvertement position contre la politique présidentielle.

En pratique, tant que les députés soutiennent le président, celui-ci peut mener la politique qu'il entend mener, en nommant le premier ministre qui lui sied, et, éventuellement, en le démettant de ses fonctions pour le remplacer par un autre (ce qu’on l’a vu faire il y a peu). Mais admettons que les députés de la majorité cessent de soutenir le président... Que pourrait-il faire ? En vérité, il pourrait user de nombreux "outils" que lui offre la Ve République et qui lui permettent de faire passer en force les lois de son programme. Cela s’est déjà vu. Mais pourra-t-il gouverner longtemps comme cela ? Pourra-t-il gouverner longtemps contre la volonté d’une partie significative de sa propre majorité, surtout si l’opposition continue de croître au sein de sa propre majorité ? Cela est peu probable. D’une part, parce que les outils dont il dispose, notamment l’article 49, alinéa 3, ne peuvent plus, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (dite de modernisation des institutions, laquelle avait, entre autres, pour objet de renforcer les pouvoirs du parlement face à ceux du président et du gouvernement ; en vain…), être utilisés de manière systématique et durable. D’autre part, parce que l’usage constant et répété de ces outils n’aura d’autre effet que d’attiser l’opposition dans les rangs de la majorité.

Face à une opposition durable et décidée de sa propre majorité, une alternative s’offre au président : ou bien il décide de dissoudre l'assemblée ou bien il décide de tenir compte de l'avis de la partie de sa majorité récalcitrante et nomme un premier ministre et forme un gouvernement en conséquence.

Ceux qui soutiennent que M. Hollande, face à une opposition croissante de sa propre majorité, n’hésitera pas un seul instant à dissoudre l'Assemblée nationale en raison de l'opposition d'une partie de sa majorité ne sont pas sérieux. Dans l'état actuel des choses, dissoudre l'assemblée reviendrait à donner les clés de l'assemblée à l'opposition. M. Hollande serait ainsi le premier président de la Ve République à dissoudre une assemblée contre son propre camp tout en sachant sans doute possible que les élections législatives qui auront lieu lui seront totalement défavorables. Rien n’est impossible mais la menace de la dissolution ne semble pas parfaitement crédible. De même que les menaces de radiation du PS à l'encontre de certains députés... Ces deux menaces en disent d'ailleurs long sur l'état des rapports de force au PS et sur le pouvoir effectif de ceux qui prétendent exercer le pouvoir légitime (le président, son gouvernement et leurs relais dans les assemblées).

Forts de la faiblesse qu’expriment ces menaces, il ne tient qu'aux députés PS qui s'opposent à la politique menée par le gouvernement de comprendre que le pouvoir peut basculer dans leurs mains. Ce pouvoir est en effet à leur portée. Pour le conquérir, il leur suffit de s'allier avec les Verts et le Front de gauche pour former une véritable force d'opposition au sein de la majorité et déplacer le centre du pouvoir au sein des différentes composantes de la majorité. Une fois cette alliance formée, les députés nouvellement unis doivent avoir le courage de brandir eux-mêmes la menace de la dissolution contre la politique menée par le président et son premier ministre. Ils doivent envisager sérieusement la possibilité de contraindre le président à dissoudre la chambre. Ils doivent envisager cette possibilité comme la seule issue possible au refus du président de changer sa politique, son premier ministre et son gouvernement. Autrement dit, ils doivent renverser le rapport de forces en brandissant eux-mêmes la menace de la dissolution contre le président. Si le président refuse une "cohabitation au sein de la majorité", c'est-à-dire de nommer un premier ministre et un gouvernement qui prennent en compte "l'ensemble des composantes de la majorité" (et non pas une seule de ces composantes, qui correspond à la petite partie des députés PS qui soutiennent encore la politique gouvernementale, c’est-à-dire présidentielle), alors ils doivent accepter de voter une motion de censure contre le gouvernement avec le soutien de l'opposition. Dans ce cas, il est possible que M. Hollande décide de dissoudre la chambre. Et dans ce cas, l'actuelle opposition, la droite, remportera les élections. Les députés de la majorité qui auront provoqué ces élections anticipées n'auront cependant rien à se reprocher. Le résultat électoral ne sera rien d’autre que l'expression de la volonté actuelle du souverain. Et aucun député de la majorité aujourd'hui ne peut prétendre espérer un résultat différent en 2017 si la politique menée par F. Hollande est poursuivie.

On pourra opposer que rien ne justifie, du point de vue de la légitimité démocratique, qu’une partie de l’actuelle majorité se rebelle contre le président. Les députés n’ont été élus que comme soutien du président, sur son programme politique. Ils ne détiendraient donc aucune légitimité propre distincte de celle du président. En cela, en période de fait majoritaire (le président et une majorité des députés à l’Assemblée nationale sont du même parti politique), les députés seraient indissolublement liés au président, leur légitimité politique serait assujettie à celle du président. Ils n’auraient aucun titre vis-à-vis de leurs électeurs (les mêmes, peu ou prou, que ceux du président) pour empêcher celui-ci de gouverner. Cet argument tombe cependant de lui-même à partir du moment où le président a cessé d’une manière parfaitement claire et assumée d’appliquer le programme politique sur lequel il a été élu. Dans ce cas, les députés recouvrent leur légitimité propre. Loin de les cantonner à l’inaction face aux agissements du président, leur responsabilité politique leur enjoint de mettre tout en œuvre pour appliquer le programme sur lequel ils ont été élus.

Les députés PS, ces "soi-disant" députés PS (http://www.mediapart.fr/journal/france/170614/avant-l-epreuve-du-budget-manuel-valls-tente-de-cadenasser-la-majorite), sont donc parfaitement fondés à agir pour infléchir la politique menée actuellement en France en contraignant le président à changer de premier ministre et de gouvernement. Ils sont donc fondés à retirer au président son pouvoir, comme celui-ci le perd en période de cohabitation. Le pouvoir de décider et de mettre en œuvre la politique de la nation incombera alors au nouveau gouvernement, qui sera issu, non plus du président, mais des différentes composantes de la majorité (c’est-à-dire, comme en période de cohabitation, de la chambre), lesquelles devront toutes être prises en compte. Le pouvoir basculera ainsi du président à la chambre. On retrouvera alors une pratique parlementariste de la Ve République.

Les députés PS qui s'opposent à la politique menée par M. Hollande et son premier ministre devraient dès à présent entamer des discussions sérieuses avec les députés Verts et Front de gauche pour décider d'une nouvelle politique et d'un nouveau gouvernement, avec, à sa tête un premier ministre. Il ne tient qu'à eux d'affirmer leur légitimité contre celle du président. Le temps presse car la politique menée par un président et un gouvernement soi-disant socialistes détruit un peu plus chaque jour chez les citoyens l'idée qu'une véritable politique de gauche puisse être menée en France et décrédibilise tous ceux qui, sincèrement, proposent des projets politiques autres que ceux dictés par l’orthodoxie libérale.

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