Samedi, des centaines de milliers personnes défilaient en France, dans la gravité, face au danger de l’accession de l’extrême-droite au pouvoir, mais aussi dans la joie prudente et mobilisatrice de l’union retrouvée. Dans la foule de nombreuses pancartes, le plus souvent bricolées, rappelaient 1936, le Front Populaire et la figure de Léon Blum.
C’est le moment choisi par Jean-Luc Mélenchon pour lâcher, au détour d’une interview à « 20 minutes » une phrase particulièrement méprisante envers mon arrière-grand-père. « Quand Léon Blum devient chef du gouvernement, il n’est pas au niveau de Manuel Bompard, ni de Mathilde Panot ou de Clémence Guetté, il était critique d’art et dirigeant marxiste du Parti Socialiste ».
Me voilà donc à nouveau contraint de rétablir la vérité historique, sans qu’elle ne devienne ni blessante ni méprisante pour les dirigeant-e-s de LFI cités ici. Pour les besoins de sa démonstration, Jean-Luc Mélenchon feint donc d’être inculte et d’ignorer toute la carrière de Léon Blum. Il oublie qu’avant la Première Guerre mondiale, celui-ci était un juriste, Conseiller d’Etat, et, en même temps l’un des critiques dramatiques les plus renommés de son temps. Il oublie que durant cette guerre, il était le chef de cabinet du socialiste Marcel Sembat, Ministre des Transports. Il oublie, feint d’oublier que dès son engagement dans une vie politique exclusive de toute autre activité, il est élu député, de Paris d’abord, de l’Aude ensuite, sans discontinuer du 30 novembre 1919 au 19 novembre 1941.
Jean-Luc Mélenchon oublie, ou feint d’oublier, que pendant toute cette période Léon Blum est la cible d’attaques violentes de la part, notamment, de ses adversaires d’extrême-droite qui raillent ses origines sociales, son goût des arts et de la culture, son esthétisme… Le procès en incompétence de Léon Blum est fait sans cesse, alors même que ses articles quasi quotidiens dans le Populaire démontre sa maîtrise toujours plus complète des dossiers politiques et économiques de cette période. Ces attaques, dont Jean-Luc Mélenchon reprend en trois mots les caractéristiques, prennent la forme de pamphlets injurieux, de caricatures sordides et culminent dans l’agression physique, par des militants d’Action française en février 1936.
Dans sa brève charge contre Léon Blum, Jean-Luc Mélenchon s’arrête juste à temps. Ses propos ne ressemblent heureusement pas à ceux proférés à la tribune de la Chambre des Députés par Xavier Vallat, « pour la première fois ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif » ou par Charles Maurras pour qui Léon Blum devait être « fusillé mais dans le dos ».
Une courte phrase dans une longue interview. Une courte phrase méprisante, destinée, par une comparaison plus qu’hasardeuse à justifier l’éviction de candidats « frondeurs » de LFI. Une courte phrase au milieu de cette interview qui ne pointe pas, bien au contraire, la différence essentielle entre un macronisme libéral à penchants autoritaires et le régime illibéral prôné par l’extrême-droite et la « bifurcation », pour reprendre ce terme tant utilisé par Jean-Luc Mélenchon lui-même, que représenterait l’arrivée de celle-ci au pouvoir.
Deux semaines nous restent pour éviter cette catastrophe, un espoir ténu se lève ces derniers jours. Espérons que cette courte phrase, parmi d’autres, ne sera pas un facteur de confusion et de démobilisation. Nous n’en avons aucun besoin.
Antoine Malamoud
Arrière-petit-fils de Léon Blum