amdb (avatar)

amdb

JOURNALISTE INDEPENDANT, FONDATRICE ET DIRECTRICE DE PUBLICATION DU BLOG DB-NEWS.

Abonné·e de Mediapart

1282 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 août 2025

amdb (avatar)

amdb

JOURNALISTE INDEPENDANT, FONDATRICE ET DIRECTRICE DE PUBLICATION DU BLOG DB-NEWS.

Abonné·e de Mediapart

Scandale Nazih : quand la présidence gabonaise finance ses cyber-mercenaires

L'activiste Nazih révèle depuis la Turquie le financement occulte de 4 millions CFA mensuels par l'Élysée gabonais. Trafic de drogue à la DGSS, détentions illégales : la Vᵉ République vacille.

amdb (avatar)

amdb

JOURNALISTE INDEPENDANT, FONDATRICE ET DIRECTRICE DE PUBLICATION DU BLOG DB-NEWS.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Gabon. Scandale Nazhi © am-db

L'exil doré d'un mercenaire numérique

Marwane Nazih, alias "Nazih", règne désormais sur son empire de chaos depuis les rives du Bosphore. Cet activiste gabono-libanais a transformé son exil turc en quartier général de la déstabilisation. Sa fuite précipitée du territoire gabonais, orchestrée avec une facilité déconcertante, trahit des moyens financiers importants et des réseaux d'influence tentaculaires.

Depuis son exil turc, ses révélations explosent comme des grenades sur l'échiquier politique gabonais. "J'ai demandé six milliards au Chef, et ils m'ont proposé une rente mensuelle pour que je me taise", confie-t-il crûment dans un audio saisissant. Cet aveu dévoile un mécanisme de corruption systémique, où le pouvoir achète le silence de ses mercenaires numériques plutôt que d'affronter ses opposants légitimes.

C'est ainsi qu'émerge sur la toile gabonaise ce fameux "Nazih". Créature issue de l'écosystème "Oligui Nguema", il rejoint une armada de cyber-activistes chargés d'étouffer toute critique du régime né du putsch. Cette stratégie s'intensifie depuis le 3 mai 2025, date d'investiture du président élu lors du scrutin présidentiel du 12 avril 2025.

Aussi, ce provocateur professionnel a métamorphosé les réseaux sociaux en tribunal populaire permanent. TikTok, Facebook, YouTube : toutes les plateformes servent de caisse de résonance à ses accusations explosives. Des magistrats respectés comme Paulette Akolly aux figures politiques comme Alain Claude Bilié Bi Nzé, personne n'échappe à son arsenal de diffamation numérique.

La corruption au cœur du palais présidentiel

L'affaire atteint désormais des sommets inquiétants avec les accusations portées contre la Direction Générale des Services Spéciaux. Cette structure stratégique, logée au cœur du palais présidentiel, fait l'objet de révélations explosives de la part de son ancien collaborateur. Les liens entre Nazih et cette institution sensible auraient été tissés sur conseil d'Arthur Lemami, directeur de cabinet présidentiel. Ironie du sort : celui qui se présentait comme un informateur de confiance se retourne aujourd'hui contre ses anciens commanditaires, les accusant de dérives criminelles majeures depuis son exil turc.

"La DGSS s'est muée en réseau de vente de drogue, aussi bien à Libreville qu'à Port-Gentil. Ce ne sont plus des agents de sécurité, mais des dealers en uniforme", martèle Nazih depuis son refuge turc. Ces allégations font l'effet d'un séisme institutionnel. Comment expliquer qu'une structure opérant sous les fenêtres du président puisse échapper à tout contrôle ?

Pourtant, les révélations les plus choquantes concernent l'existence présumée de centres de détention clandestins. Lors d'un échange avec le journaliste Jonas Moulenda, l'activiste franchit une ligne rouge : "J'ai découvert dans les locaux de la DGSS deux Maliens détenus dans une chambre, hors de tout cadre juridique depuis sept mois." Il évoque également la séquestration d'un individu qu'il connaissait, gardé dans ces mêmes locaux pendant deux années entières.

L'impuissance de la justice 

Alors, le système judiciaire gabonais se retrouve pris en otage par cette stratégie de déstabilisation systématique. Les magistrats visés naviguent dans un piège infernal : réagir alimente la polémique, rester silencieux équivaut à cautionner l'impunité. Cette paralysie révèle l'inadaptation criante des outils juridiques face aux nouveaux défis de la désinformation transnationale.

Sa fuite précipitée vers la Turquie révèle l'inefficacité criante des services de sécurité gabonais. Quelle crédibilité peut revendiquer un État qui engage un mercenaire numérique uniquement motivé par l'enrichissement personnel ? - Ce charlatan, qui réclame aujourd'hui davantage de subsides en menaçant directement le président, illustre parfaitement l'aberration d'un système qui négocie avec ses propres créatures. Cette contradiction institutionnelle frôle l'absurdité : comment tolérer qu'un opportuniste sans scrupules dicte ses conditions au sommet de l'État ? 

Une bombe à retardement 

Hélas, l'origine gabono-libanaise de Nazih transforme cette affaire personnelle en poudrière communautaire. Cette identité caméléon – tantôt fièrement gabonais, tantôt rejetant cette nationalité – menace l'équilibre fragile entre communautés dans un pays encore convalescent de 56 années de gestion autoritaire.

Dès lors, la diaspora libanaise, historiquement intégrée, mais toujours en équilibre précaire dans le tissu économique gabonais, se retrouve stigmatisée par les provocations de ce renégat. Le communiqué solennel publié le 30 juillet 2025 par la communauté libanaise du Gabon marque une rupture définitive avec cet "activiste controversé", mais cette prise de distance tardive suffira-t-elle à préserver des décennies de cohabitation ?

D'ailleurs, cette instrumentalisation cynique des clivages révèle une stratégie délibérée de polarisation sociale. "Je défends le Chef corps et âme, mais je veux lui ouvrir les yeux sur ce qui se passe réellement dans son entourage", ose-t-il déclarer depuis son exil. Cette posture, oscillant entre flagornerie et trahison, illustre une manipulation d'une perversité consommée.

Illustration 2
Affaire de l’activiste Nazhi – 30 juillet 2025 – Communiqué de la communauté libanaise du Gabon.

L'heure de vérité pour Oligui Nguema

Désormais, le président Brice Clotaire Oligui Nguema se trouve confronté au test décisif de sa légitimité. Élu avec 95 % des suffrages sur un programme de rupture et de moralisation, il ne peut plus ignorer les zones d'ombre révélées par son ancien protégé devenu transfuge.

Le scandale Nazih dévoile la double morale troublante du pouvoir d'Oligui Nguema. Quel crédit accorder à un gouvernement qui proclame l'assainissement des mœurs politiques tout en versant 4 millions de francs CFA chaque mois pour alimenter des opérations de calomnie ? Cette hypocrisie mine la crédibilité du régime auprès des citoyens et ternit son image sur la scène internationale.

Par conséquent, le président se trouve face à un choix binaire : endosser ouvertement le soutien financier aux cyber-mercenaires avec toutes les répercussions que cela implique, ou déclencher une enquête exhaustive pour identifier et punir les coupables. Cette posture floue offre à un fugitif la possibilité de poursuivre ses manœuvres depuis l'étranger, réduisant l'État gabonais à un simple divertissement"

Le naufrage d'une République en construction

Alors, l'affaire Nazih cristallise tous les défis de la Cinquième République gabonaise naissante. Un État qui laisse ses anciens alliés organiser sa déstabilisation depuis l'étranger révèle une faiblesse structurelle préoccupante. Cette impuissance face à un individu qui a préféré la fuite plutôt que d'affronter la justice de son pays illustre parfaitement les limites du nouveau régime.

Bien que cette crise ne détermine pas à elle seule l'avenir démocratique gabonais, l'affaire Nazih constitue un test décisif pour le régime. Elle doit inciter le président à nettoyer les services suspectés de dérives criminelles. Une telle purge rassurerait tant les citoyens que les partenaires internationaux. En revanche, laisser l'impunité régner prouverait que le changement promis après le putsch du 30 août 2023 n'était qu'un leurre.

Ainsi, Oligui Nguema fait face à un dilemme existentiel : saura-t-il faire rentrer dans le rang son ancien protégé ou le laissera-t-il mener sa campagne de sabotage depuis son refuge turc ? Le peuple gabonais, qui a accordé sa confiance massive au nouveau régime après le putsch d'août 2023, attend désormais des actes concrets, pas des discours creux. L'heure de vérité a sonné pour une République qui se cherche encore.

Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME - Journaliste indépendante. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.