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Immongault lâche le morceau : les élections du 27 septembre ont été truquées
Il aura fallu cinq jours de colère sur les réseaux sociaux, de dénonciations publiques et de témoignages accablants pour qu'Hermann Immongault, ministre de l'Intérieur et patron de la CNOCER, admette enfin ce que tout le monde savait : les élections législatives et locales du 27 septembre ont été massivement fraudées. Sa circulaire adressée aux commissions électorales locales, révélée par Gabon Media Time, est un aveu à peine déguisé. Et un camouflet pour tous ceux qui niaient l'évidence.
Électeurs trimballant plusieurs procurations, carnets de vote circulant de main en main entre des inconnus, violations flagrantes des articles 146 à 148 du Code électoral : le ministre dresse un tableau accablant. Pas de langue de bois, pas d'euphémisme. La fraude était là, organisée, systémique. Reste à savoir si cet aveu tardif suffira à sauver ce qui peut encore l'être de la crédibilité du scrutin.
Un aveu qui engage... ou qui enfonce ?
En reconnaissant publiquement ces dérives, Immongault place désormais les institutions gabonaises dos au mur. La justice, la Cour constitutionnelle, les tribunaux administratifs : tous sont sommés de réagir. Impossible de jouer les ignorants. Le ministre vient de leur offrir sur un plateau le dossier qu'ils ne peuvent plus balayer sous le tapis.
Mais cet aveu ressemble aussi à une décharge de responsabilité. Comme si, en pointant du doigt les "manœuvres frauduleuses", le pouvoir cherchait à se dédouaner en rejetant la faute sur des exécutants anonymes, des agents locaux, des petites mains. Sauf que la fraude à cette échelle ne s'improvise pas dans un coin de bureau de vote. Elle se planifie, se coordonne, s'organise. Qui a laissé faire ? Qui a fermé les yeux ? Et surtout : qui en a profité ?
Des sanctions prévues... mais appliquées ?
Le Code électoral gabonais, récemment réformé, ne manque pas de mordant sur le papier. Articles 334 et 335 : jusqu'à cinq ans de prison et un million de francs CFA d'amende pour les fraudeurs. Article 343 : interdiction de vote et d'éligibilité pendant 5 à 10 ans. De quoi écarter durablement de la scène politique les tricheurs patentés. Mais entre l'arsenal législatif et son application effective, il y a un gouffre que le Gabon connaît bien.
Car au pays des "Bongo" – et maintenant de la Vᵉ République qui se cherche encore – les lois existent, les sanctions aussi, mais l'impunité demeure la règle. Combien de procès ont réellement abouti après les scrutins controversés du passé ? Combien de responsables politiques ont été inquiétés ? La question n'est pas de savoir si le droit gabonais est sévère, mais si les juges oseront enfin l'appliquer.
La Cour constitutionnelle dans le rôle de sa vie
D'ici au 8 octobre, la Cour constitutionnelle, dirigée par Dieudonné Aba'a Owono, doit trancher les recours électoraux. Ce sera son grand oral. Soit, elle valide des scrutins entachés de fraudes avérées et signe son acte de soumission, soit elle invalide les élections truquées et marque enfin une rupture historique avec les vieux démons de la justice aux ordres.
Sous Marie-Madeleine Mborantsuo, la Cour était devenue le bras judiciaire du pouvoir, avalisant les pires bidouillages électoraux. Aujourd'hui, l'institution a une chance de se racheter. Mais elle n'a plus droit à l'erreur. Les Gabonais ne pardonneront pas une nouvelle trahison. Et la communauté internationale observe, stylo à la main.
Si la Cour valide ces scrutins pourris, elle ne fera pas que cautionner la fraude : elle condamnera la démocratie gabonaise à rester ce qu'elle a toujours été. Un simulacre.
La procuration, arme de fraude massive
Le scandale des procurations n'est pas une spécialité gabonaise. De Marseille à Yaoundé, de Washington à Libreville, le vote par procuration s'est révélé être une faille béante dans les démocraties mal surveillées. En France, lors des municipales de 2020 à Marseille, un véritable "atelier de faussaires" fonctionnait au cœur d'une mairie, avec des élus complices fabriquant des procurations en série. Au Cameroun, la loi prévoit jusqu'à 20 ans de prison pour ce type de falsification. Aux États-Unis, des centaines de condamnations ont sanctionné des manipulations de bulletins par correspondance.
Partout, le même constat : mal encadré, le vote par procuration devient l'outil idéal pour détourner la volonté populaire. Et au Gabon, visiblement, on n'a pas résisté à la tentation.
La Vᵉ République à l'heure de vérité
La nouvelle République gabonaise promettait la rupture, la transparence, la fin des magouilles. Mais la première grande échéance électorale depuis la réforme constitutionnelle vire au fiasco. L'aveu d'Immongault révèle que les vieilles pratiques n'ont pas disparu avec le changement de régime. Elles ont juste changé de costume.
Comme l'a déclaré un juriste cité par Gabon Media Time : « Si les institutions n'appliquent pas ces sanctions, elles se rendront complices de la dérive qu'elles prétendent combattre. » Le message est limpide. La balle est dans le camp de la justice, du gouvernement, de la Cour constitutionnelle. S'ils ne réagissent pas avec fermeté, la Vᵉ République rejoindra les précédentes dans le musée des occasions manquées.
Les Gabonais attendent des actes, pas des circulaires. Ils veulent voir des fraudeurs devant les tribunaux, des élections annulées, des scrutins organisés dans la transparence. Sinon, l'aveu d'Immongault ne sera qu'une opération de communication de plus, un écran de fumée pour étouffer la colère avant de reprendre le business. Le Gabon est à la croisée des chemins. Le monde regarde. Et l'Histoire prend des notes.