Le 16 novembre 2024, les citoyens seront appelés aux urnes pour se prononcer sur une nouvelle Constitution, première étape majeure depuis le coup d'État du 30 août 2023 qui a mis fin à 56 années de dynastie Bongo. Cette consultation populaire, présentée comme l'aube d'une nouvelle ère démocratique, soulève pourtant de nombreuses interrogations sur la réelle volonté de transformation du système politique gabonais.
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Un processus constitutionnel à marche forcée
L'empressement avec lequel le nouveau pouvoir impose ce référendum constitutionnel suscite de légitimes inquiétudes. En accordant à peine dix jours aux citoyens pour s'approprier un texte qui engagera l'avenir de leur nation pour des décennies, le régime de transition reproduit les travers qu'il prétendait combattre. Cette précipitation délibérée traduit une volonté manifeste d'éviter tout débat de fond sur les orientations institutionnelles du pays.
La rhétorique de l'urgence, brandissant le spectre de l'instabilité pour justifier cette course effrénée vers les urnes, ne peut masquer une réalité plus troublante : la perpétuation d'une culture politique où les moments historiques sont réduits à de simples formalités administratives. Cette approche expéditive d'une réforme constitutionnelle majeure révèle le peu de considération accordée à l'intelligence collective des Gabonais.
L'oligarchie réinventée
Dans les quartiers privilégiés de Libreville, une nouvelle élite se dessine, héritière des pratiques de l'ancien régime. Les enclaves dorées d'Akanda et de la Sablière continuent d'abriter une aristocratie qui, hier encore, prospérait sous l'ombre tutélaire des "Bongo". Ces zones résidentielles exclusives, véritables forteresses climatisées, contrastent violemment avec la réalité quotidienne des quartiers populaires.
Les "mapanes", ces zones urbaines déshéritées qui s'étendent du quartier derrière la Prison, à Nkembo, Kinguélé ou dans les différents "PK", témoignent de la persistance d'une fracture sociale que la transition n'a pas ébranlée. Cette géographie urbaine impitoyable illustre parfaitement la permanence d'un système où la richesse nationale reste l'apanage d'une infime minorité.
La mystification constitutionnelle
Le texte soumis au référendum révèle, sous son vernis modernisateur, une inquiétante continuité dans la conception du pouvoir. Les dispositions présentées comme des avancées démocratiques majeures dissimulent mal une architecture institutionnelle conçue pour préserver les intérêts d'une nouvelle classe dirigeante.
Les mécanismes de contrôle et d'équilibre des pouvoirs, pompeusement mis en avant, s'avèrent être des leurres sophistiqués. L'analyse détaillée du projet constitutionnel révèle un renforcement subtil des prérogatives présidentielles, tandis que les contre-pouvoirs effectifs se trouvent méthodiquement affaiblis.
Les ambiguïtés d'une réforme
Le projet constitutionnel présente certes quelques avancées notables. L'inscription du 30 août comme fête de libération nationale, la garantie du pluralisme politique, la promotion de l'égal accès des femmes aux mandats électifs ou encore la limitation des mandats présidentiels à deux septennats constituent des progrès indéniables.
Cependant, ces aspects positifs ne peuvent occulter les zones d'ombre persistantes. Les conditions d'éligibilité présidentielle, particulièrement restrictives, semblent taillées sur mesure pour écarter certains candidats potentiels. L'obligation d'être marié à un conjoint gabonais et la limite d'âge fixée à 70 ans, Pour rappel : Après quatre tentatives infructueuses, Abdoulaye Wade, né le 29 mai 1926, était élu pour la première fois président du Sénégal le 19 mars 2000. Il avait largement dépassé les 70 ans. Obligation d’être marié à un(e) Gabonais(e). apparaissent comme des verrous délibérés, rappelant étrangement les pratiques de l'ancien régime.
La diaspora sacrifiée
Le traitement réservé aux Gabonais de l'étranger illustre parfaitement les contradictions du nouveau pouvoir. En imposant une condition de résidence continue de trois ans au Gabon pour toute candidature à la présidence, le texte constitutionnel exclut de fait les 16 093 compatriotes de la diaspora des plus hautes responsabilités nationales.
Cette mise à l'écart délibérée d'une partie significative de la population, souvent qualifiée et porteuse d'expériences enrichissantes, révèle une volonté manifeste de maintenir le pouvoir entre les mains d'une élite locale. Pendant que d'autres pays africains s'ouvrent aux compétences de leur diaspora, le Gabon choisit le repli sur soi, perpétuant une tradition d'entre-soi politique. Pendant que les experts constitutionnels, drapés dans leur suffisance, verrouillent l'accès au pouvoir, la Gambie, elle, avait osé l'impensable : Adama Barrow, un ancien vigile de supermarché devenu agent immobilier à Londres, avait accédé à la présidence de son pays en 2016. Voilà un parcours qui fait frémir l'aristocratie locale ! Un ex-vigile aux commandes de l'État - quel affront pour les élites, allergiques à toute idée de renouveau et de méritocratie véritable.
Une démocratie sous tutelle
La sophistication du dispositif constitutionnel proposé ne peut masquer sa nature profondément conservatrice. Les pouvoirs exceptionnels accordés au président, l'encadrement insuffisant des ordonnances présidentielles, la composition problématique de la Cour constitutionnelle sont autant d'indices d'une démocratisation en trompe-l'œil.
La présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature par le chef de l'État illustre parfaitement cette confusion persistante des pouvoirs. Sous couvert de modernisation institutionnelle, le projet constitutionnel perpétue les mécanismes de concentration du pouvoir qui ont caractérisé l'ère Bongo.
Le mépris comme mode de gouvernance
L'attitude des promoteurs du texte constitutionnel révèle un mépris à peine voilé pour l'intelligence citoyenne. Les experts autoproclamés, confortablement installés dans leurs certitudes, persistent à considérer la population comme incapable de comprendre les enjeux constitutionnels. Cette posture intellectuellement arrogante traduit une volonté délibérée de maintenir le peuple dans une position subalterne.
La mystification atteint son paroxysme lorsque ces nouveaux gardiens du temple constitutionnel, dont certains servaient hier encore l'ancien régime avec zèle, prétendent détenir le monopole de l'interprétation du texte fondamental. Cette confiscation du débat démocratique révèle la permanence d'une culture politique où l'oligarchie s'arroge le droit exclusif de penser l'avenir institutionnel du pays.
L'urgence d'une prise de conscience
Face à cette tentative manifeste de perpétuation d'un système politique vertical et autoritaire, l'éveil de la conscience citoyenne devient un impératif catégorique. Le référendum constitutionnel du 16 novembre 2024 ne peut se réduire à un simple exercice de validation populaire sous contrainte.
Ce moment historique exige au contraire une mobilisation lucide et déterminée du peuple gabonais. L'adoption d'une nouvelle Constitution ne saurait être l'affaire exclusive d'une élite autoproclamée. Elle doit incarner l'expression authentique des aspirations démocratiques d'une nation enfin reconnue dans sa maturité politique.
La transition à l'épreuve de la réalité
Le spectacle offert par la préparation de ce référendum constitutionnel illustre parfaitement les limites de la transition gabonaise. Les nouveaux acteurs du pouvoir, tout en proclamant leur volonté de rupture avec l'ancien système, en reproduisent méthodiquement les travers. La précipitation dans l'organisation du scrutin, le verrouillage du débat public, le mépris affiché pour l'intelligence citoyenne dessinent les contours d'une démocratie sous tutelle.
La perpétuation des pratiques autoritaires sous le vernis d'une modernisation institutionnelle révèle l'ampleur du défi démocratique qui attend le Gabon. Le pays se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins : accepter une énième manipulation constitutionnelle ou oser enfin une véritable refondation démocratique.
Le choix qui s'offre aux Gabonais le 16 novembre prochain dépasse largement le cadre d'une simple consultation référendaire. Il engage l'avenir même de la nation gabonaise et sa capacité à rompre définitivement avec des décennies de pouvoir personnel. L'heure est venue pour les citoyens de rejeter cette forme pernicieuse de paternalisme politique et d'exiger un véritable débat national sur l'avenir institutionnel du pays.
@DworaczekBendom