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Billet de blog 4 mars 2025

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Gabon: Oligui Nguema, du putsch au suffrage

Le général Brice Clotaire Oligui Nguema, à la tête de la transition gabonaise depuis son pronunciamiento du 30 août 2023, a officialisé sa candidature à la présidentielle du 12 avril 2025.  Cette annonce, survenue le 3 mars dans une atmosphère de liesse orchestrée à Libreville, parachève une stratégie d'accaparement du pouvoir méticuleusement échafaudée depuis dix-huit mois.

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Illustration 1
Libreville, le 3 mars – Oligui Nguema déclare sa candidature à l’élection présidentielle prévue le 12 avril 2025

Une candidature parée des oripeaux du plébiscite

L'officialisation de la candidature d'Oligui Nguema à la présidentielle gabonaise relevait de l'évidence pour quiconque observe avec acuité la scène politique du pays. C'est avec une théâtralité calculée, le jour même de son jubilé quinquagénaire, que le général a dévoilé son ambition de transmuter un pouvoir transitoire en magistrature suprême pérenne. "Après mûre réflexion et en réponse à vos nombreux appels, j'ai décidé d'être candidat à l'élection présidentielle", a-t-il proclamé face à une phalange de partisans rassemblés à Libreville, dans une mise en scène quasi-régalienne, préalablement auréolée d'une parade militaire et d'une célébration œcuménique aux allures d'onction divine.

Pour se conformer aux canons juridiques qu'il a lui-même façonnés, Oligui Nguema devra se mettre en "disponibilité" éphémère de l'armée. Le nouveau code électoral, opportunément amendé fin janvier 2025, octroie désormais aux militaires la prérogative de briguer un mandat électif sous certaines conditions. Les prétendants ont jusqu'au 8 mars pour soumettre leur dossier de candidature, incluant un test linguistique en idiome vernaculaire, un examen médical et une déclaration patrimoniale exhaustive. Cette échéance précipitée amenuise sciemment la fenêtre temporelle dont dispose l'opposition pour s'organiser efficacement, dans ce qui s'apparente à un parcours d'embûches savamment agencé pour décourager toute velléité de contestation sérieuse.

Un pouvoir verrouillé 

Depuis son accession manu militari au pouvoir en août 2023, Oligui Nguema a procédé à une refonte méthodique des institutions gabonaises pour consolider son emprise et orchestrer sa métamorphose de putschiste en président "démocratiquement adoubé". Ces manœuvres institutionnelles jettent un voile d'opacité sur l'authenticité de la présidentielle gabonaise imminente.

Le Collectif Gabon 2025 a récemment fustigé l'altération subreptice du texte constitutionnel entre le référendum de novembre 2024 et sa promulgation officielle. Les modifications sont substantielles et d'une limpidité intentionnelle : suppression de la fonction de Premier ministre, instauration d'un scrutin présidentiel uninominal favorable au candidat jouissant de l'appareil d'État, et élongation du mandat présidentiel à un septennat renouvelable une fois. Un canevas constitutionnel ciselé pour faciliter l'élection et la pérennisation au pouvoir d'Oligui Nguema.

Dans un dessein tentaculaire de mainmise, le président de transition a placé avec circonspection ses affidés aux postes névralgiques : deux tiers du Sénat et de l'Assemblée nationale lui sont inféodés, et l'intégralité des membres de la Cour constitutionnelle lui est vassalisée. Fait révélateur, le nouveau président de la Cour constitutionnelle de transition, Dieudonné Aba'a Owono, entretient des liens consanguins avec Oligui Nguema, pulvérisant toute prétention d'indépendance judiciaire.

Cette réalité évoque inexorablement aux Gabonais le souvenir de Marie-Madeleine Mborantsuo, qui a présidé pendant trente-deux ans l'ancienne Cour constitutionnelle et était également la génitrice de deux descendants d'Omar Bongo Ondimba. L'histoire se réitère, avec une inquiétante similitude. Le dialogue national d'avril 2024, présenté comme un forum inclusif, a ostracisé quelque deux cents formations politiques d'opposition, étouffant toute pluralité dans l'agora publique. Cette parodie consultative a été caractérisée par une sélection arbitraire des contributions citoyennes, instaurant une opacité fustigée même par certains participants intègres préoccupés par le devenir démocratique de la nation.

Illustration 2
Gabon – Le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, artisan de la chute d’Ali Bongo, candidat à la présidentielle du 12 avril 2025.

Une économie exsangue et une corruption endémique

La conjoncture économique du Gabon constitue un écueil titanesque pour Oligui Nguema dans sa quête présidentielle. Le pays traverse une dépression économique sans précédent, marquée par un déficit budgétaire abyssal et un endettement public vertigineux. Nonobstant ce tableau crépusculaire, le Fonds Monétaire International augure une croissance du PIB réel de 2,6% en 2024 et 2,5% en 2025, essentiellement portée par une recrudescence temporaire de l'extraction pétrolière et la revitalisation des secteurs minier et sylvicole.

La dépendance quasi-pathologique aux hydrocarbures demeure cependant l'hydre de l'économie gabonaise. Une authentique diversification économique – promise par tous les régimes successifs mais jamais concrétisée – s'avère inéluctable pour garantir une prospérité pérenne. Dans ce contexte de déliquescence économique, les promesses antinomiques du président – embauches pléthoriques dans un secteur public déjà hypertrophié tout en prétendant galvaniser l'initiative privée – trahissent l'incohérence patente de sa politique économique et un populisme délétère.

La croisade contre la corruption, leitmotiv de la présidentielle gabonaise et antienne des discours d'Oligui Nguema, s'apparente davantage à un simulacre qu'à une entreprise tangible. Deux ministres en exercice, Mays Mouissi et Charles Mba, sont incriminés dans des affaires de prévarication liées à un contrat d'approvisionnement électrique équivoque avec une entreprise turque. Ce contrat, d'une valeur mensuelle pharaonique de 12 milliards de FCFA, n'a été suspendu qu'après l'indignation publique orchestrée par la société civile.

Plus accablant encore, le propre frère d'Oligui Nguema, Aurélien Mintsa Mi Nguema, ex-directeur général du Budget et des finances publiques, a été destitué de ses fonctions le 20 juin 2024, dans ce qui s'apparente à une opération cosmétique, sans que les motifs de cette éviction ne soient divulgués. Toutefois, son train de vie ostentatoire actuel, radicalement différent de celui qu'il menait avant l'avènement du nouveau régime, suscite une légitime circonspection.

D'autres personnalités, telles que Brigitte Anguille Mba, Audrey Christine Chambrier Voua ou Landry Bongo Ondimba, sont également impliquées dans des dossiers de détournement de deniers publics. Ces scandales itératifs, touchant l'entourage immédiat du président, écornent irrémédiablement la crédibilité du régime, alors que le Gabon continue sa descente aux enfers dans les classements internationaux sur la gouvernance et la lutte contre la concussion.

Droits humains bafoués et exacerbation des clivages ethniques

La façade présentable du régime d'Oligui Nguema, celle des grands projets et des promesses économiques mirobolantes, dissimule une réalité plus sombre en matière de droits humains et de libertés fondamentales. Des cas alarmants de sévices et de traitements inhumains ont été recensés, incluant des décès suspects en détention. Plus troublant encore, Oligui Nguema lui-même a évoqué avec désinvolture l'usage de méthodes de torture comme la "mise au pont" ou la "tête sous l'eau", tandis que des pratiques humiliantes comme la tonsure forcée de citoyens sont devenues monnaie courante.

En dépit de ses promesses initiales de faciliter "la presse à faire son travail", la liberté d'expression demeure drastiquement bridée. L'organe de régulation des médias impose des sanctions draconiennes, tandis que les articles 157 et 158 du code pénal, criminalisant les critiques à l'encontre du président, restent en vigueur. Des interpellations de jeunes et d'activistes pour de simples opinions exprimées dans la sphère numérique se multiplient, évoquant sinistrement les pratiques coercitives du régime Bongo que la transition prétendait abolir.

Plus préoccupant encore pour la cohésion nationale, des antagonismes ethniques et des fractures communautaires semblent s'intensifier sous l'égide d'Oligui Nguema. La prépondérance croissante des Fang, l'ethnie du géniteur biologique du Chef de l'État, au sein des institutions publiques suscite des inquiétudes légitimes. Le sénateur Marc Ona Essangui a même prononcé un discours provocateur en langue Ntoumou/Okak (Fang) sans traduction, perçu comme une manifestation délibérée de tribalisme politique.

Les populations non-Fang, qualifiées péjorativement de "Bilopes", éprouvent un sentiment d'ostracisme grandissant. L'assertion "Le pouvoir est à nous !" proférée par Marc Ona résonne comme une proclamation de suprématie ethnique qui menace de fracturer un pays historiquement caractérisé par une relative coexistence pacifique intercommunautaire. Ces tensions tribales constituent une menace tangible pour la stabilité du Gabon et révèlent les contradictions d'un régime qui prétend œuvrer pour "la paix et l'unité nationale" tout en attisant les clivages ethniques.

Un programme pharaonique masquant une vacuité idéologique

Pour séduire l'électorat gabonais, Oligui Nguema déploie un programme démesuré aux allures de chimère politique. Il se présente avec grandiloquence comme un "bâtisseur" résolu à faire "renaître le Gabon de ses cendres". Ses promesses électorales pour la présidentielle gabonaise s'articulent autour d'infrastructures colossales dont la viabilité financière demeure nébuleuse : port en eau profonde de Mayumba, ligne ferroviaire Belinga-Boué-Mayumba, et complexe hydroélectrique de Boué.

Sur le volet social, il s'engage à pérenniser le projet "1 gabonais 1 taxi", à maintenir les bourses dans l'enseignement secondaire, et à implémenter des initiatives en faveur des personnes en situation de handicap et des jeunes issus des quartiers défavorisés. Ces mesures sont présentées comme génératrices de milliers d'emplois, dans un pays où le chômage frappe implacablement la jeunesse, sans toutefois expliciter les mécanismes de financement de ces promesses somptuaires.

En matière de gouvernance, Oligui Nguema réitère les engagements de tous ses prédécesseurs : transparence et lutte contre la corruption. Il capitalise habilement sur quelques réalisations emblématiques de la période transitionnelle, arguant que si certains projets ont été initiés en dix-huit mois, des prouesses pourraient être accomplies durant un septennat présidentiel. Cette rhétorique du "bâtisseur" dissimule difficilement l'absence de vision structurelle pour diversifier l'économie.

Un scrutin verrouillé par des stratagèmes financiers et juridiques

La caution pour briguer la magistrature suprême gabonaise le 12 avril 2025 s'élève désormais à 30 millions de francs CFA, une majoration substantielle par rapport aux 20 millions antérieurement exigés. Cette surenchère constitue un obstacle pécuniaire considérable qui restreint de facto l'accessibilité à la fonction présidentielle, privilégiant les candidats fortunés ou bénéficiant du soutien de réseaux financiers influents.

Les restrictions légales sur le financement des campagnes électorales se présentent comme des garde-fous démocratiques : seules les personnes physiques de nationalité gabonaise peuvent contribuer aux campagnes, les donations d'entreprises ou d'États étrangers sont proscrites, et les dépenses sont plafonnées à 10 milliards de francs CFA. Mais ces dispositions, d'apparence équitables, avantagent indéniablement Oligui Nguema qui, en tant que président de la transition, dispose ipso facto des ressources et de l'appareil logistique étatique.

Face à une opposition fragmentée et économiquement asphyxiée, Oligui Nguema part avec une longueur d'avance considérable. Albert Ondo Ossa, candidat de l'opposition lors de l'élection de 2023 qui s'était autoproclamé président élu, est disqualifié d'office par la nouvelle constitution en raison de son âge excédant 70 ans, tout comme Pierre Claver Maganga Moussavou. D'anciennes figures du landerneau national comme Bilie-By-Nze ou Jean Remy Yama, pourraient se présenter sans constituer une menace crédible.

Cette absence d'opposition structurée n'est pas fortuite mais résulte d'une stratégie délibérée d'anémie des contre-pouvoirs. La candidature d'Oligui Nguema jouit par ailleurs du soutien explicite de son homologue équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, dans ce qui s'apparente à une solidarité entre autocrates militaires, soulevant de graves interrogations sur l'autonomie du processus électoral gabonais.

La confiscation programmée 

L'annonce de la candidature de Brice Clotaire Oligui Nguema à la présidentielle gabonaise du 12 avril 2025 constitue l'aboutissement prévisible d'une entreprise initiée dès le coup d'État d'août 2023. Contrairement à ses promesses liminaires de restituer le pouvoir aux civils et d'incarner un simple "gardien de la transition", le général a orchestré avec préméditation son maintien à la tête de l'État en manipulant la Constitution, le code électoral et en installant des affidés aux postes stratégiques des institutions.

Face à une opposition désorganisée, vieillissante ou disqualifiée par des critères taillés sur mesure, et à une société civile devenue thuriféraire, Oligui Nguema s'achemine vers une victoire électorale qui semble acquise d'avance. Les défis économiques structurels, la persistance de la prévarication jusque dans son entourage immédiat, la détérioration des droits humains et l'exacerbation des tensions ethniques constitueront néanmoins des bombes à retardement pour un régime qui confond plébiscite et absence d'opposition structurée.

Quant à la communauté internationale, plus préoccupée par la stabilité régionale que par la qualité démocratique des régimes africains, elle observe avec une circonspection polie cette présidentielle gabonaise qui s'annonce comme la simple légitimation électorale d'un pouvoir prétorial. L'issue du scrutin du 12 avril 2025, dont peu remettent en question le dénouement favorable à Oligui Nguema, risque de consacrer pour les sept prochaines années la perpétuation d'un système politique gabonais où les protagonistes changent mais où les pratiques de gouvernance autocratique perdurent, au détriment des aspirations démocratiques d'un peuple qui espérait davantage du renversement de la dynastie Bongo.

4 mars 2025 | Analyse et décryptage | Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME, journaliste indépendante

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