JOURNALISTE INDEPENDANT, FONDATRICE ET DIRECTRICE DE PUBLICATION DU BLOG DB-NEWS.
Abonné·e de Mediapart
Journée nationale du drapeau d'un régime au pied du mur
En ce 9 août à Libreville, le général-président Oligui Nguema a orchestré une mise en scène grandiose pour anesthésier une jeunesse sacrifiée sur l'autel des intérêts oligarchiques.
Deux ans après avoir pris le pouvoir par la force, le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema transforme la 16e édition de la Journée nationale du drapeau en opération de communication politique d'un rare cynisme. Le thème choisi, « Jeunesse et patriotisme, porter haut les couleurs de la Nation », sonne comme une insulte pour une génération que ce même régime abandonne méthodiquement à la précarité et au désespoir, ne se préoccupant que du sort des héritiers des 56 années de règne Bongo père et fils, ainsi que de ses propres acolytes.
Cette commémoration du 9 août révèle toute l'hypocrisie d'un système qui invoque les « valeurs républicaines » tout en perpétuant les mécanismes d'exclusion et de captation des richesses nationales hérités de l'ère Bongo. Loin d'incarner un quelconque « renouveau patriotique », cette mascarade expose au grand jour la continuité des pratiques prédatrices d'une élite qui change de visage sans modifier ses méthodes.
Une jeunesse instrumentalisée et sacrifiée
Quel mépris pour l'intelligence que de convoquer la jeunesse gabonaise à célébrer un drapeau quand cette même autorité vient de lui couper les bourses d'études ! La suppression des financements pour les études en France, au Canada et aux États-Unis constitue un coup de poignard dans le dos d'une génération déjà étranglée par le chômage de masse. Comment oser parler de « porter haut les couleurs de la Nation » quand on refuse à cette jeunesse les moyens de s'élever ?
Cette décision révèle la véritable nature du projet politique en cours : maintenir coûte que coûte la fracture sociale qui divise le Gabon entre une minorité privilégiée et une majorité condamnée à la survie. Car pendant que les enfants du peuple voient leurs rêves d'émancipation brisés, la progéniture de l'oligarchie continue de bénéficier de tous les passe-droits, des postes garantis dans l'administration et les entreprises publiques, de l'accès privilégié aux formations d'élite.
Cette jeunesse dorée, héritière des réseaux familiaux qui co-gèrent le Gabon depuis l'indépendance, n'a nul besoin de bourses d'État. Elle dispose des moyens privés pour financer ses études à l'étranger avant de revenir occuper les postes de responsabilité que lui réserve son rang social. Une reproduction des élites d'une efficacité redoutable qui fait du « patriotisme » un privilège de classe.
Quant à cette « jeunesse engagée » dont se gargarisent les communicants du régime, elle n'existe que dans les meetings électoraux où on la mobilise comme larbin avant de l'oublier sitôt les urnes fermées. Cette jeunesse des « citoyens ordinaires », qui représente l'écrasante majorité de la population, demeure cette fameuse « 150ᵉ roue du carrosse », spectatrice impuissante de son propre appauvrissement.
Un patriotisme d'État au service des intérêts oligarchiques
L'invocation des « principes d'unité, de solidarité, de cohésion et de paix » relève de la pure propagande quand ces valeurs sont quotidiennement bafouées par les pratiques gouvernementales. Comment parler d'unité nationale quand les inégalités se creusent ? Comment évoquer la solidarité quand les politiques publiques organisent méthodiquement l'exclusion sociale ? Comment célébrer la cohésion quand le régime reproduit les logiques de captation des ressources qui caractérisaient l'ère Bongo ?
Cette « réappropriation symbolique » du drapeau constitue en réalité une opération de blanchiment politique où le régime se pare des couleurs nationales pour masquer ses défaillances. Cette Journée du drapeau devient ainsi l'instrument d'une légitimation par le symbole. Pourtant, malgré sa victoire écrasante aux élections présidentielles anticipées du 12 avril 2025 avec 94,85 % des voix, Oligui Nguema démontre depuis le 3 mai, jour de son investiture, son incapacité à être à la hauteur de ses engagements envers le peuple gabonais.
L'« étendard fédérateur » dont se réclament les autorités masque mal leur incapacité à proposer un projet politique crédible. Car au-delà des effets de manche patriotiques, où sont les réformes structurelles ? Où sont les politiques de redistribution des richesses ? Où sont les mesures concrètes d'insertion de cette jeunesse tant célébrée ? Le déclassement social s'est organisé contre les habitants déguerpis sans ménagement au quartier Plaine Oréty, derrière l'Assemblée nationale, des ambassades de Chine, de Russie, d'Owendo, etc. Qui s'est préoccupé du sort de ces populations et de la jeunesse issue de ces lieux ? Aujourd'hui, nombre d'entre eux sont des sans-domicile-fixe.
Car c'est bien là le scandale de cette transition gabonaise : elle perpétue, sous un vernis de Transition et post-transition, les mêmes mécanismes de prédation qui ont ruiné le pays pendant des décennies. Les mêmes réseaux, les mêmes pratiques, les mêmes bénéficiaires.
La fabrique du consentement par l'émotion nationale
Cette stratégie de mobilisation par les symboles s'inscrit dans une logique classique de diversion. Plutôt que de s'attaquer aux causes structurelles du mal-développement gabonais, le régime préfère agiter les oripeaux du patriotisme pour détourner l'attention des véritables enjeux. Une technique éprouvée qui consiste à substituer l'émotion nationale à l'analyse politique, l'exaltation symbolique à la transformation sociale.
L'accent mis sur « l'éducation civique et patriotique dans les écoles » révèle cette volonté d'embrigadement idéologique d'une jeunesse qu'on refuse par ailleurs d'émanciper économiquement. Former des citoyens dociles plutôt que des esprits critiques, inculquer le respect de l'ordre établi, plutôt que la capacité de le transformer : tel est le véritable programme de cette « formation patriotique ».
Cette instrumentalisation de l'école comme relais du pouvoir constitue un détournement scandaleux de la mission éducative. Au lieu de former des citoyens éclairés capables de questionner les institutions, on cherche à formater des supporters inconditionnels du régime en place. Une perversion de l'éducation civique qui fait de l'école un instrument de reproduction de la domination.
Le « dialogue démocratique entre générations » invoqué par les autorités relève de la pure fiction quand ce dialogue est à sens unique et se limite à l'endoctrinement des plus jeunes par les détenteurs du pouvoir. Un véritable dialogue démocratique supposerait la remise en cause des privilèges, la redistribution des richesses, l'ouverture réelle du jeu politique. Tout ce que refuse obstinément le régime en place de la 5e république gabonaise.
Cette Journée du drapeau 2025 constitue un test révélateur pour la société gabonaise. Soit, elle se laisse bercer par les sirènes du patriotisme d'État et accepte de cautionner la perpétuation des logiques oligarchiques sous de nouveaux habits. Soit, elle trouve la force de résister à cette manipulation et d'exiger une véritable transformation démocratique.
Car derrière les paillettes de cette célébration se joue l'avenir d'un pays qui possède toutes les richesses nécessaires pour assurer la prospérité de sa population, mais qui continue de les voir confisquées par une minorité prédatrice. Le pétrole, les minerais, les forêts du Gabon suffiraient largement à financer un développement inclusif si ces ressources étaient gérées dans l'intérêt général plutôt que pour l'enrichissement personnel des dirigeants et de leur clientèle.
Cette jeunesse gabonaise qu'on invite à « porter haut les couleurs de la Nation » mérite mieux que les miettes qu'on lui concède. Elle mérite un accès égalitaire à l'éducation, des perspectives d'emploi décentes, la possibilité de participer réellement aux décisions qui engagent son avenir. Tout ce que lui refuse systématiquement un régime qui préfère la maintenir dans la dépendance plutôt que de lui donner les moyens de son autonomie.
L'authentique patriotisme ne consiste pas à applaudir aveuglément les maîtres du moment, mais à exiger d'eux qu'ils soient à la hauteur des aspirations populaires. Le vrai respect du drapeau national passe par la construction d'une société juste, égalitaire, démocratique. Tout le contraire de ce que propose aujourd'hui le régime d'Oligui Nguema.
Deux ans après le coup d'État de 2023, le bilan est accablant : les mêmes inégalités, les mêmes exclusions, les mêmes frustrations. Seule change la rhétorique. Cette Journée du drapeau révèle ainsi toute l'imposture d'une « transition » qui ne mène nulle part, sinon vers la reconduction des mêmes élites sous de nouveaux masques.
La valeur d'un drapeau se mesure à la qualité de la société qu'il représente. Celle du Gabon d'aujourd'hui reste à conquérir.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | Journaliste indépendante
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.