Mieux, il avance des instruments de combat concrets et directement applicables pour éradiquer enfin ce cancer institutionnel.
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Corruption, risques et impunité au Gabon
Sur le plateau de la NOUVELLE CHAÎNE AFRICAINE (CNA), face au journaliste Richard Dogbé, Roland Jules Ndjambe a démontré que la corruption ne constitue nullement un accident conjoncturel. Elle s'est imposée comme un mal systémique dans d'innombrables entreprises et institutions africaines. Selon Transparency International, l'Indice de perception de la corruption (IPC) pour l'Afrique subsaharienne stagne au seuil alarmant de 33 sur 100. Au Gabon, cet indice culmine à 27, affichant une dégradation ininterrompue depuis 2014.
L'écrivain et expert en gestion des risques, conformité et gouvernance, Roland Jules Ndjambe, s'est assigné la mission de « maîtriser les risques et prévenir la corruption », intitulé de son ouvrage. Son constat frappe : « La corruption est un phénomène, un fléau, qui est un petit peu répandu partout, que ce soit en entreprise ou dans les institutions. » Cette analyse d'expérience, bâtie sur plus de quinze ans en entreprise, traduit une réalité : on ne traite pas d'abus sporadiques, mais d'un appareil.
Selon l'auteur, le problème revêt deux faces. Primo, des pratiques privées qui infiltrent la sphère publique. Secundo, l'inexistence d'une volonté politique authentique pour renverser la vapeur. Aussi, lorsqu'il aborde la grande corruption, les pillages massifs, les appels d'offres truqués, il cite comme chiffre probant que la BAD évoque quelque 140 milliards d'euros de pertes annuelles pour le continent, dont 28 milliards arrachés à l'aide publique. Les données s'imposent d'elles-mêmes.
Bref, ce premier constat pose le décor. Devant ce fléau, la rhétorique officielle demeure souvent vaine, dénuée d'impact tangible.
Des outils éprouvés
L'un des atouts du livre de Ndjambe tient à sa double proposition : non seulement un diagnostic, mais des dispositifs concrets. Cartographie des risques, code de conduite, procédures limpides, voire désormais l'exploitation de l'intelligence artificielle. Des instruments qui marchent dans les entreprises privées. Il soutient : « La démarche… c'est d'amener un peu l'expertise privée… à pouvoir la mettre en place, à pouvoir la proposer aux institutions. »
Dans l'entreprise, des fonctions de conformité structurées réussissent à contenir les dérives. Pourquoi cela serait-il intransposable à l'État ? Cependant, le fossé entre la théorie et la pratique publique reste béant. Quand des membres du gouvernement fondent des sociétés par prête-noms et orientent des marchés publics vers leurs propres structures, la « volonté politique » brille par son absence. Ndjambe l'observe : « Si en Occident, on arrive à le faire, pourquoi en Afrique, on ne pourrait pas ? » Il souligne que des associations comme Transparency International mettent leur savoir-faire à disposition des institutions pour consolider leur gouvernance.
Ainsi, la faille réside moins dans les instruments que dans leur déploiement. Sans supervision réelle, sans sanctions concrètes, tout demeure vœu pieux. Le Gabon en offre un exemple type : la loi, les comités, les audits existent, mais leur mise en œuvre reste disparate.
Hypocrisie institutionnelle et doubles discours
La contradiction systémique saute aux yeux. Les autorités clament la guerre contre la corruption, mais préservent les avantages du statu quo. Le cas du Gabon illustre cette duplicité : exiger qu'un Gabonais seul puisse accéder à la présidence, sous prétexte d'intégrité, alors que les dispositifs de reddition de comptes restent fragiles. Ndjambe précise : « C'est beaucoup plus un aspect politique qu'un aspect technique. »
Dans son livre, il martèle la nécessité d'audits stricts, notamment par des cabinets externes, pour assurer la neutralité : « on gagne à utiliser aussi des expertises locales et associées à ces expertises extérieures. »
Puis, il pointe un paradoxe insensé : on impose la déclaration de patrimoine à l'entrée d'un mandat, mais à la sortie, nul ne vérifie ce qui a été amassé durant l'exercice. Il évoque l'exemplarité : « La corruption, c'est pour les uns et pas pour les autres. » Tant que le privilège restera réservé à quelques élus, la fracture citoyenne s'approfondira inexorablement. Donc, l'« engagement » proclamé des États dissimule souvent une détermination à perpétuer les réseaux et les rentes. Rien d'étonnant qu'entre les slogans et les conférences, rien ne bouge réellement.
Prévenir plutôt que réprimer
Plutôt qu'attendre la sanction, intervenir en amont. Le livre de Roland Jules Ndjambe plaide pour une culture d'intégrité instillée dès le plus jeune âge : « former les collaborateurs… qu'ils soient du public ou du privé… que cette notion d'intégrité soit inculquée dès le plus jeune âge… »
La prévention exige la formation, la sensibilisation, puis le durcissement des contrôles de patrimoine, la vérification du bénéficiaire effectif, et bien davantage. Le modèle fonctionne dans le privé. Le défi revient à le transplanter dans le secteur public avec la même exigence. Comme le souligne un travail académique : « une combinaison de grands groupes d'interactions et d'une faible dispersion des salaires contribue à la diminution de la corruption systémique dans les contrats publics. »
Mais l'illustration reste aussi lugubre. Des fonds climatiques colossaux peuvent être siphonnés faute de systèmes solides. « Il est essentiel que toutes les ressources mobilisées… soient à l'abri de la corruption grâce à des systèmes anti-corruption robustes », selon Transparency International.
Ici, le message est cristallin : cesser de croire qu'une conférence ou une loi suffira. Il faut une politique systémique, des institutions indépendantes, des contrôles effectifs et une rupture avec l'impunité. Sinon, la corruption continuera de saccager l'avenir des nations. Avec ce livre et cette démarche, l'auteur établit que la lutte est envisageable, mais que la vraie interrogation subsiste : y aura-t-il la volonté de l'appliquer ?
De la promesse à l'action
Le livre de Roland Jules Ndjambe ne prétend pas être un simple exposé technique. Il constitue un cri d'alarme. Oui, la corruption peut être terrassée : des outils existent, des méthodes ont démontré leur efficacité en entreprise. Mais ce qui fait cruellement défaut, c'est l'application, la transparence et la rupture avec les usages d'hier. Au Gabon comme partout en Afrique et dans le monde, les discours se recyclent, mais les résultats piétinent. Tant que l'engagement demeurera formel, la population continuera d'en payer le prix. L'heure a sonné de basculer dans l'action véritable, pour que la promesse formulée soit enfin honorée. L'écrivain animera une conférence au Gabon le 27 novembre 2025.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME, Journaliste | Gouvernance et lutte contre la corruption en Afrique / Analyse politique et institutionnelle |