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La transmutation spectaculaire
La récente accession d'Oligui Nguema au fauteuil présidentiel parachève une prestidigitation politique d'un cynisme consommé. Cet ancien commandant de la garde républicaine, artisan du coup d'État du 30 août 2023, s'est métamorphosé en « président démocratiquement adoubé » par un artifice constitutionnel qui ne leurre guère les observateurs avertis.
« Le pouvoir n'a jamais été mon objectif ultime, mais un instrument pour redresser le Gabon », affirmait-il lors de son investiture, contredisant ostensiblement la méticulosité avec laquelle il a orchestré son ascension politique.
Contrairement à son image soigneusement façonnée d'« officier réformateur », Oligui Nguema s'est révélé être un tacticien implacable. Sa manœuvre initiale, aussi prévisible que consternante, fut de réhabiliter les fossiles politiques de l'ère Omar Bongo sous le prétexte fallacieux de « réconciliation nationale », distribuant des sinécures lucratives financées par l'erarium public à ces vétérans corrompus. Quelle ironie mordante de constater la résurgence de ces mêmes individus qui ont précipité le pays vers l'abîme pendant quatorze ans sous Ali Bongo !
Une mascarade électorale aux chiffres pharaoniques
Le score soviétique obtenu par Oligui Nguema – précisément 90,35 % des suffrages selon les résultats officiels – ressuscite l'arithmétique électorale caractéristique de la dynastie déchue. Cette proportion écrasante questionne inexorablement la sincérité du scrutin dans un pays qui aspirait ostensiblement à davantage de pluralisme politique.
Une anomalie mathématique sibylline renforce la perplexité des analystes : l'addition des votes attribués à chaque candidat totalise 95,18 %, laissant inexplicablement 4,82 % de suffrages non comptabilisés. Cette incongruité numérique, qui aurait dû provoquer un tollé d'indignation, est demeurée quasi ignorée.
« J'accepte ma défaite, mais cela ne signifie nullement que j'accrédite la véracité des résultats proclamés », a déclaré Alain-Claude Bilié-By-Nze, arrivé deuxième avec un maigre 3,02 % des voix. « La Cour constitutionnelle est présidée par un parent du vainqueur – comment espérer un arbitrage impartial dans ces conditions ? », a-t-il ajouté, dans une posture qui, tout en reconnaissant sa déconfiture, jette un voile d'opprobre sur la légitimité du scrutin.
L'épreuve du pouvoir effectif
Accéder à la magistrature suprême constitue une étape, gouverner efficacement en représente une autre, infiniment plus ardue. « Le maçon se juge à l'édifice qu'il érige », rappelle un adage populaire. Si l'on considère les dix-neuf mois durant lesquels Oligui Nguema a dirigé la Transition, le bilan apparaît singulièrement indigent.
« Nous avons promis une rupture avec les pratiques délétères du passé, mais les changements s'inscrivent nécessairement dans la durée », se justifiait-il récemment lors d'une conférence de presse, esquivant ainsi toute autocritique substantielle.
Le nouveau président hérite d'un pays confronté à des défis protéiformes. Malgré sa prospérité pétrolière et un PIB par habitant parmi les plus élevés d'Afrique centrale, le Gabon souffre d'inégalités abyssales, avec plus du tiers de sa population subsistant sous le seuil de pauvreté.
La diversification économique constitue l'enjeu primordial du septennat qui s'ouvre. Excessivement tributaire des hydrocarbures, le pays doit impérativement développer d'autres secteurs pour créer des emplois pérennes et réduire sa vulnérabilité aux fluctuations des cours du pétrole.
Une complaisance internationale déconcertante
Paradoxalement, l'intronisation d'Oligui Nguema a été célébrée avec un empressement stupéfiant par plusieurs chancelleries occidentales et africaines. La France, ancienne puissance coloniale et partenaire économique prépondérant, a congratulé le nouveau président dès l'annonce des résultats préliminaires.
Cette reconnaissance internationale expéditive contraste ostensiblement avec les réserves émises lors du putsch d'août 2023. Les conglomérats pétroliers implantés au Gabon ont pareillement manifesté leur contentement face à cette transition ordonnée, privilégiant manifestement la stabilité de leurs investissements aux principes démocratiques.
Entre mimétisme autoritaire et velléités réformatrices
Le régime Nguema présente d'inquiétantes similitudes avec celui qu'il a renversé, suggérant davantage une permutation des élites dirigeantes qu'une métamorphose profonde du système politique gabonais. La personnalisation exacerbée du pouvoir et la concentration des décisions autour d'un cercle restreint de fidèles évoquent furieusement les pratiques de la dynastie déchue.
« Notre gouvernance diffère fondamentalement de celle qui prévalait sous les Bongo », affirmait pourtant le président récemment élu lors de son premier discours officiel. « Nous incarnons une nouvelle vision pour le Gabon, axée sur la transparence et le développement inclusif », proclamait-il avec emphase, contredisant la réalité observable.
Néanmoins, certaines ruptures méritent d'être soulignées. Le nouveau président a orchestré des gestes symboliques de distanciation avec l'ancien régime, notamment la restitution ostensible de quelques biens publics détournés par le clan Bongo et la rénovation de certaines infrastructures dans la capitale, contribuant significativement à sa popularité dans certaines couches défavorisées.
L'hypothèque démocratique
À l'heure où le Gabon d'Oligui Nguema se tient à la croisée des chemins, l'observateur lucide ne peut qu'appréhender l'avenir avec circonspection. Le scrutin présidentiel du 12 avril, loin d'apaiser les inquiétudes, les a exacerbées par son dénouement prévisible. Le résultat écrasant obtenu par l'ancien chef de la junte militaire s'apparente davantage à une orchestration méticuleuse qu'à une compétition équitable.
« Les Gabonais ont échangé un autocrate en costume contre un despote en uniforme », confie, sous couvert d'anonymat, un éminent politologue local. « La façade change, mais l'édifice demeure identique dans ses fondations », ajoute-t-il, synthétisant ainsi l'essence de cette transition illusoire.
La gangrène de la corruption poursuit inexorablement son œuvre délétère au sein des institutions étatiques. Les dirigeants, imprégnés d'un machiavélisme consommé, perpétuent avec une méthodique constance une gouvernance déficiente, transformant les citoyens de cette contrée aux richesses naturelles prolifiques en perpétuels quémandeurs de services élémentaires.
Si la dynastie Bongo a formellement cédé sa place après un demi-siècle de règne ininterrompu, les mécanismes du pouvoir exhibent une troublante analogie avec le système déchu. Cette métamorphose superficielle s'inscrit dans un phénomène plus vaste qui afflige le continent : la substitution de régimes autocratiques civils par des gouvernances militaires qui, nonobstant leur rhétorique réformatrice, reproduisent invariablement les mécanismes d'appropriation des ressources nationales.
Seule la vigilance d'une société civile opiniâtre pourrait ériger un rempart contre ce pouvoir aux promesses évanescentes. Le peuple gabonais, las des trahisons successives, attend désormais du président Oligui Nguema qu'il démontre une cohérence tangible entre ses engagements solennels et ses actes concrets.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | Journaliste indépendante | 15 avril 2025