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Statut de parti présidentiel
À quelques semaines des élections législatives et locales des 27 septembre et 11 octobre 2025, le Gabon assiste à un spectacle politique surréaliste. Deux formations politiques – le Parti Démocratique Gabonais (PDG) de l'ancien régime et l'Union Démocratique des Bâtisseurs (UDB) créée par Oligui Nguema après sa victoire du 12 avril – se livrent une bataille acharnée pour revendiquer un même trophée : le statut de parti présidentiel légitime.
Cette guerre des héritiers politiques révèle une vérité dérangeante sur l'état de la démocratie gabonaise. Pendant que ces deux formations orchestrent leur duel pour s'approprier la paternité politique du président, les véritables enjeux du pays – chômage endémique, infrastructures défaillantes, corruption systémique – disparaissent des radars du débat public. Une duplicité qui interroge sur les priorités réelles d'une classe politique plus préoccupée par ses intérêts partisans que par l'avenir du Gabon.
Deux ans après le coup d'État du 30 août 2023 qui a renversé la dynastie Bongo, cette querelle de succession politique illustre la persistance de vieux réflexes dans un pays qui aspire pourtant au changement. L'analyse de cette bataille fratricide révèle les ressorts profonds d'un système politique encore prisonnier de ses habitudes clientélistes.
PDG versus UDB : revendications croisées
Le Parti Démocratique Gabonais ne décolère pas. Formation historique qui a rallié massivement Oligui Nguema lors de la campagne présidentielle, le PDG revendique aujourd'hui avec véhémence son statut de parti ayant "fait" le président. Ses dirigeants martèlent leur antériorité et leur rôle décisif dans la mobilisation électorale d'avril 2025.
« Sans notre machine électorale et notre base militante, jamais cette victoire n'aurait été possible », assène un responsable du PDG. « Nous avons mis nos réseaux, nos moyens et notre crédibilité au service du candidat Oligui Nguema. » Cette revendication s'appuie sur une réalité tangible : le ralliement formel du PDG a effectivement apporté une assise électorale considérable au futur président.
Face à ces prétentions, l'Union Démocratique des Bâtisseurs riposte avec la même vigueur. Créée le 5 juillet 2025 par Oligui Nguema lui-même, l'UDB se présente comme l'incarnation naturelle de la volonté présidentielle et le véhicule légitime de son action politique pour les sept années à venir. Ses partisans soulignent que seule une nouvelle formation peut porter l'ambition de rupture promise par le président.
Cette surenchère révèle un malentendu fondamental : les deux formations confondent soutien électoral et légitimité politique. Le PDG revendique l'antériorité de son engagement, l'UDB brandit la postériorité de sa création présidentielle. Aucune ne semble s'interroger sur la pertinence de ses propositions face aux défis concrets du pays.
L'illusion du parti présidentiel unique
La bataille pour le statut de "parti présidentiel" masque une réalité plus triviale : ni le PDG ni l'UDB ne peuvent légitimement revendiquer ce titre. Oligui Nguema a été élu en tant que candidat indépendant, soutenu par une large coalition incluant l'Union des Bâtisseurs, plateforme ouverte à tous les partis et associations désireux de l'accompagner.
« Cette guerre de légitimité est un faux débat », observe un analyste politique. « Le président a été élu grâce à un rassemblement transversal, pas par un parti unique. » Cette évidence juridique et politique n'empêche pas les deux formations de s'enfermer dans une logique d'appropriation exclusive du capital présidentiel.
L'UDB argue de sa création post-électorale pour se poser en héritière naturelle de la volonté présidentielle. Le PDG invoque son soutien historique et sa contribution décisive à la victoire. Ces argumentaires traduisent une même obsession : contrôler l'appareil de soutien au président pour bénéficier des retombées politiques et économiques de cette proximité.
Cette compétition pour l'étiquette "présidentielle" révèle la persistance d'une conception patrimoniale du pouvoir. Dans cette logique, être le parti du président ne signifie pas porter un projet politique cohérent, mais s'assurer l'accès privilégié aux ressources et aux nominations. Une dérive qui transforme le débat démocratique en marchandage d'influences.
Vrais problèmes, faux débats politiques
Pendant que PDG et UDB orchestrent leur querelle de paternité politique, le Gabon fait face à des défis autrement plus urgents. Le taux de chômage important des jeunes, les infrastructures routières et énergétiques accusent des décennies de retard, et la diversification économique promise depuis l'indépendance reste un vœu pieux.
« Les Gabonais attendent des solutions concrètes, pas des disputes de clocher », déplore un leader de la société civile. « Nous avons besoin de débats sur l'emploi, l'éducation, la santé. Cette bataille d'ego nous fait perdre un temps précieux. » Cette frustration traduit un décalage croissant entre les préoccupations citoyennes et les obsessions partisanes.
L'agenda électoral des législatives devrait logiquement porter sur les priorités nationales : réforme de l'État, lutte contre la corruption, modernisation de l'économie. Au lieu de cela, les formations politiques consacrent l'essentiel de leur énergie à définir qui représente le mieux le président. Une dérive qui transforme les élections en plébiscite personnel plutôt qu'en choix programmatique.
Cette focalisation sur la proximité présidentielle révèle l'immaturité du système partisan gabonais. Les partis fonctionnent davantage comme des machines à capter les faveurs du pouvoir que comme des instruments de proposition politique. Résultat : les électeurs assistent à un débat déconnecté de leurs préoccupations quotidiennes, alimentant le désenchantement démocratique.
Clientélisme déguisé en loyauté politique
L'analyse des motivations profondes de cette bataille révèle des ressorts moins nobles que les déclarations publiques ne le laissent entendre. Pour les deux formations, contrôler l'étiquette "parti présidentiel" signifie surtout accéder aux prébendes du pouvoir : postes ministériels, nominations dans les entreprises publiques, marchés publics.
« Chacun veut sa part du gâteau, du gibier ou de la tête de silure, c'est selon », résume cyniquement un ancien ministre. « Derrière les grands discours sur la loyauté au président, il y a surtout des calculs d'intérêts très terre-à-terre. » Cette logique clientéliste explique l'acharnement des deux camps à revendiquer la proximité présidentielle, gage d'accès aux ressources de l'État.
Le PDG mise sur son antériorité et sa base militante pour négocier sa part d'influence dans le futur dispositif gouvernemental. L'UDB joue la carte de la création présidentielle pour s'imposer comme l'interlocuteur privilégié du chef de l'État. Dans les deux cas, l'objectif reste identique : maximiser les retombées politiques et économiques de la victoire d'Oligui Nguema.
Cette instrumentalisation de la fidélité présidentielle perpétue les travers de l'ancien système. Loin de porter un projet de transformation du pays, les formations politiques reproduisent les mécanismes de captation des ressources qui ont caractérisé les décennies Bongo. Un cercle vicieux qui entretient la défiance citoyenne envers la classe politique
Défis ignorés, opportunités gâchées
Cette guerre fratricide entre PDG et UDB fait plus qu'illustrer les dérives du système partisan gabonais : elle révèle l'incapacité collective de la classe politique à se hisser à la hauteur des enjeux nationaux. Pendant que ces formations s'écharpent sur des questions de préséance, les vrais défis du pays s'accumulent sans réponse politique structurée.
La transition post-Bongo offrait pourtant une opportunité historique de refonder le débat politique autour de projets de société alternatifs. Cette chance semble aujourd'hui gâchée par le retour des vieux démons : personnalisation du pouvoir, clientélisme déguisé, confusion entre intérêt partisan et intérêt national.
« Nous assistons à un gâchis démocratique », s'alarme un constitutionnaliste. « Au lieu de construire un pluralisme politique mature, nous reproduisons les travers du passé sous de nouveaux habits. » Ce constat sévère interroge sur la capacité du système politique gabonais à accompagner les mutations que le pays appelle de ses vœux.
L'issue de cette bataille entre PDG et UDB importera finalement peu au regard des enjeux véritables. Que l'une ou l'autre formation s'impose comme "parti présidentiel" ne changera rien aux défis structurels du Gabon. Seule une révolution des mentalités politiques – privilégiant l'intérêt général sur les calculs partisans – pourra permettre au pays de sortir de cette spirale stérile et de construire enfin l'avenir démocratique qu'il mérite.