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Billet de blog 16 mai 2025

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Henri Claude Oyima et Nahor Capital : L'État confisqué

La consécration d'Henri Claude Oyima comme grand argentier du Gabon dévoile l'ultime étape d'une stratégie d’infiltration : la capture de l'État par un banquier qui refuse d'abandonner son empire privé BGFIBank et sa machine à cash Nahor Capital.

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Illustration 1
Oligui Nguema, Henri Claude Oyima et Nahor Capital © AM-Dworaczek-BENDOME

Le coup d'État silencieux du 5 mai 2025

Le 5 mai 2025 marque l'aboutissement d'un putsch financier parfaitement orchestré. Sans chars ni soldats, Henri Claude Oyima a pris d'assaut les institutions républicaines gabonaises. Affublé du titre démesurément large de Ministre d'État à l'Économie, aux Finances, à la Dette, aux Participations et à la Vie Chère, il règne désormais sur un empire ministériel taillé à sa mesure. Une république entière réduite au statut de filiale.

Le scandale ne réside pas dans sa nomination mais dans l'architecture qu'elle consacre. Pendant que les Gabonais scrutent la façade institutionnelle, c'est dans les soubassements que se joue la véritable prise de pouvoir. L'homme qui tient désormais les cordons de la bourse publique n'a jamais lâché les rênes de Nahor Capital, sa holding personnelle qui demeure le premier actionnaire privé de BGFI Holding Corporation SA, devançant même l'influence résiduelle des Bongo via Delta Synergie. L'État a été annexé par un intérêt particulier.

Dix-neuf mois de transition militaire devaient purger le pays de ses démons. Le président Oligui Nguema, adoubé par 94,85% des suffrages le 12 avril 2025, avait fait miroiter l'aube d'une gouvernance assainie, transparente, émancipée des logiques prédatrices. Cette nomination sidérante n'est pas une simple entorse à ces promesses, elle en est la négation absolue, consacrant l'assujettissement de l'intérêt général aux appétits d'un seul.

L'équation est mathématiquement insoluble : comment l'homme qui contrôle BGFI Holding Corporation SA et siège au sommet de l'appareil économique privé peut-il arbitrer impartialement les orientations financières nationales  ? Comment le propriétaire bancaire peut-il réguler équitablement le secteur qu'il domine  ? Ce n'est plus un conflit d'intérêts – c'est leur fusion pure et simple, revendiquée sans vergogne comme le nouveau modèle de gouvernance.

Pire encore, Oyima n'a pas rejoint l'État, il l'a soumis à ses conditions. "C'est lui qui décide quand il partira, ce qu'il gardera, ce qu'il lâchera". Ses parts dans Nahor Capital sont même sanctuarisées par une "clause de non-discussion", concept juridiquement vide, mais politiquement éloquent. La République ne dicte plus ses lois au citoyen, c'est le citoyen qui impose ses conditions à la République. Henri Claude Oyima se présente comme un sauveur condescendant accordant sa grâce au pays. Cette outrecuidance transpire dans chacune de ses apparitions publiques depuis sa nomination, où l'arrogance le dispute au mépris institutionnel.

Nahor Capital : L'arme de prédation massive

Nahor Capital émerge le 7 juillet 2009, exactement vingt-neuf jours après l'extinction officielle d'Omar Bongo le 8 juin 2009. Ce timing chirurgical révèle une opportunité saisie dans la béance successorale. Cette structure, aujourd'hui décrite comme le véhicule d'investissement familial des Oyima, est en réalité l'instrument d'une captation méthodique. Créée par Henri-Claude Oyima, elle constitue le cheval de Troie familial, contrôlant officiellement 27 % du capital de BGFI Holding Corporation SA, assurant ainsi aux Oyima une domination stratégique tout en orchestrant la perpétuation dynastique. Cette coïncidence calendaire entre la genèse de Nahor Capital et la disparition d'Omar Bongo soulève une interrogation lancinante : Oyima n'aurait-il pas exploité la confusion post-mortem pour s'approprier frauduleusement des actifs jusque-là contrôlés par son mentor, détournant commissions, actifs fantômes ou avoirs non réclamés ? Son expertise reconnue en ingénierie financière aurait trouvé là un laboratoire idéal.

L'architecture actionnariale révèle le mécanisme d'emprise. Nahor Capital, propriété exclusive d'Henri-Claude Oyima, s'est arrogé une position dominante dans BGFI Holding Corporation SA. Les rapports officiels attestent que cette entité contrôle 27 % du capital, la plaçant au sommet de l'actionnariat privé. Cette connexion capitalistique consolide la mainmise d'Oyima sur le groupe et exacerbe le conflit d'intérêts systémique avec ses nouvelles prérogatives étatiques.

Les pourcentages dansent, l'emprise demeure. Des informations récentes évoquent une dilution à 9,25 % de la participation de Nahor Capital, supposément due à des reconfigurations actionnariales. Pourtant, les communications institutionnelles et les interventions médiatiques d'Oyima continuent d'afficher le chiffre historique de 27 %, référence quasi liturgique dans toutes les publications officielles. Michel Metz dirige formellement Nahor Capital, avec Glendora Oyima comme gardienne du temple patrimonial.

La manne financière illustre l'ampleur du détournement légal. Lors de l'assemblée générale du 9 mai 2025, M. Oyima et ses ayants droit, propriétaires de 150 000 actions, ont engrangé un dividende astronomique de 12 500 F CFA par action pour l'exercice 2024.

Le "commis" devenu propriétaire : Genèse d'une appropriation

Né le 4 décembre 1956 à Franceville (Haut-Ogooué), Henri Claude Oyima n'est issu ni de lignée aristocratique ni de dynastie commerçante. Sa trajectoire, indissociable de celle d'Omar Bongo Ondimba, commence réellement avec l'avènement de ce dernier. Partageant racines géographiques et appartenance ethnique minoritaire avec le président, Oyima profite du système de bourses présidentielles pour étudier à l'étranger. Son ascension s'amorce alors, propulsée par les mécanismes tribaux orchestrés par Bongo pour verrouiller son emprise politico-économique.

C'est cette proximité privilégiée qui lui ouvre les portes de la Banque gabonaise et internationale (BGFI), non comme propriétaire ou actionnaire, mais comme simple exécutant. Sa métamorphose défie l'entendement : il s'impose rapidement comme l'éminence grise financière d'Omar Bongo, régisseur des flux monétaires d'une institution aux pratiques controversées. Catapulté directeur général en 1985 puis administrateur-directeur général dès 1986, il accomplit un tour de force stupéfiant : ce "salarié" apparemment indéboulonnable pendant près de quatre décennies réussit, sous le regard des héritiers légitimes Bongo, à édifier son empire personnel et à s'imposer comme le maître d'œuvre privé d'un groupe aujourd'hui tentaculaire, implanté dans douze pays africains. Une transmutation financière qui soulève autant d'interrogations que de consternation.

BGFIBank : La banque qui gouvernait un pays

Véritable coffre-fort du système, BGFI Holding Corporation SA a constitué l'ossature de la stratégie d'accaparement économique déployée sous l'ère Bongo. La fusion entre les sphères du pouvoir et la gouvernance bancaire a métamorphosé cette institution en véritable ministère parallèle des Finances du Gabon. La nébuleuse Delta Synergie a colonisé méthodiquement tous les secteurs stratégiques nationaux avec BGFIBank comme quartier général financier et chambre d'enregistrement patrimoniale.

Delta Synergie, bras armé financier de la lignée Bongo, conservait encore 9,91 % du capital de BGFIBank en 2024. Cette participation, en apparence modeste, garantissait une influence déterminante sur les orientations stratégiques, tant par l'éclatement calculé de l'actionnariat que par l'aura historique familiale. D'autres entités satellites, notamment la Compagnie du Komo, complétaient ce dispositif d'influence. Ce maillage complexe offrait à la famille Bongo un contrôle indirect, mais implacable, institutionnalisant la confusion délibérée entre trésor public et fortune dynastique.

Août 2023 : Le coup d'État militaire trahi par la finance

BGFIBank n'a jamais été une simple institution financière. Sous ses atours corporatifs se dissimulait la machine économique des Bongo et l'instrument de leur mainmise sur tous les secteurs productifs. Par l'entremise de Delta Synergie et sa galaxie de sociétés-écrans, la famille présidentielle instrumentalisait cette banque pour asservir l'économie nationale à ses intérêts. Cette mécanique inexorable n'a connu qu'une brève interruption avec le séisme politique d'août 2023.

Les nouvelles autorités militaires, déterminées à démanteler l'architecture kleptocratique, ont tenté de briser les verrouillages financiers. Mais elles ont gravement sous-estimé les capacités d'adaptation et de régénération des piliers du système. Parmi ces irréductibles, Henri-Claude Oyima, PDG de BGFI Holding Corporation SA, incarnation même de la confusion entre intérêt national et enrichissement privé.

Les relations entre Oyima et Brice Clotaire Oligui Nguema, aujourd'hui président, ont d'emblée pris la forme d'un affrontement larvé : défiance systématique, manœuvres souterraines et guerres d'influence permanentes mais invisibles. Chacun masquait ses véritables intentions, tout en planifiant l'échiquier suivant.

L'offensive initiale est venue du palais présidentiel. Pierre Duro, conseiller spécial présidentiel, a été mandaté pour disséquer BGFI Holding Corporation SA. Cette radiographie visait à cartographier les circuits financiers occultes ayant alimenté l'hypertrophie du groupe. Cette investigation minutieuse a mis en lumière l'emprise tentaculaire d'Oyima sur l'architecture du groupe et dévoilé des connexions dissimulées, notamment avec la structure pivot Nahor Capital.

Le 20 mars 2024, le pouvoir annonçait l'autopsie financière complète de Delta Synergie, cette pieuvre économique qui servait de paravent aux intérêts Bongo. Moins d'un mois plus tard, Pascaline Mferri Bongo, détentrice de 20% du capital, déclenchait un séisme en promettant de "révéler l'intégralité de la vérité" sur les manœuvres souterraines de la holding familiale. Soutenue par son frère Ali Bongo, possédant également 20% des parts, elle détenait potentiellement des informations dévastatrices. Sa parole pouvait reconfigurer radicalement les investigations, mais reste subordonnée à ses propres calculs de survie économique et politique.

Le 5 décembre 2024, nouveau coup de théâtre : Pascaline Bongo sollicite un moratoire concernant le transfert à l'État des 9,91% détenus par Delta Synergie dans BGFI Bank. Ce répit calculé lui permet de consulter les autres actionnaires, parfaitement conscients que les dividendes bancaires représentent un tiers des revenus de Delta Synergie. En contrepartie, le gouvernement propose l'effacement des ardoises fiscales et douanières de la Société gabonaise de services (SGS). Un refus déclencherait un audit forensique impitoyable, menaçant directement la pérennité de la holding.

Le 5 mai 2025 : L'État capitule

C'est dans ce climat toxique, où patrimoines privés et souveraineté nationale s'affrontent frontalement, que la confrontation entre Oligui Nguema et Oyima culmine. Surgit alors un renversement stupéfiant : l'intronisation d'Henri-Claude Oyima au cœur même du gouvernement. Contre toute logique apparente, il accepte le portefeuille ministériel, aussi prestigieux soit-il, comme si cette fonction amplifiait plutôt que limitait son pouvoir réel.

Car si Oyima abandonne formellement la direction de BGFI Holding, il demeure l'éminence grise incontestée. Actionnaire majoritaire privé avec ses 150 000 actions stratégiques dans Nahor Capital, il personnifie l'antithèse absolue de la séparation des pouvoirs : législateur public et bénéficiaire privé. Double identité, double dividende.

Oligui Nguema proclame avec emphase : "Je décide, j'oriente, je supervise." Mais la réalité crue s’impose : le Gabon fonctionne sous un régime de souveraineté partagée. Un président légitimé par les urnes, un ministre légitimé par ses réseaux, ses capitaux et les structures économiques qu'il continue d'orchestrer dans l'ombre. Cette schizophrénie institutionnelle maintient le pays captif entre démocratie de façade et ploutocratie réelle. "On ne saute pas d'un avion en plein vol. Il faut amorcer un atterrissage progressif, maîtrisé."

La démocratie bradée au prix du marché

Dans cette partie d'échecs truquée, ce n'est pas seulement l'esprit des institutions qui est violé. C'est la nation gabonaise tout entière qui subit l'humiliation d'une souveraineté conditionnelle où les ressources nationales demeurent l'otage d'une oligarchie. Évoquant Jacques Chirac qui déclarait à propos de Nicolas Sarkozy : "Je décide, il exécute", la formule gabonaise s'inverse tragiquement : "Henri Claude Oyima ordonne, Oligui Nguema obtempère". Pour conquérir à l'usure son ministre surpuissant et, surtout, les 150 000 actions cruciales de Nahor Capital, le premier président de la 5e République gabonaise paraît disposé à toutes les compromissions, pourvu qu'il s'approprie finalement les commandes de BGFI.
L'abdication de sa dignité présidentielle constitue la rançon de cette obsession. Une première capitulation a déjà été actée : Henri Claude Oyima, symboliquement va quitter son siège bancaire. La deuxième phase interviendra très certainement avec l'abandon théorique de ses autres positions de pouvoir. En qualité de grand argentier national, il ne peut légitimement pas conserver ses participations dans Nahor Capital, c'est précisément sur ce champ de bataille financier que se joue désormais l'authentique lutte pour l'indépendance économique du Gabon.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | Journaliste | 16 mai 2025

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