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Billet de blog 19 juillet 2025

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Gabon/CEEAC : Quand la diplomatie révèle les failles du pouvoir

Diplomatie gabonaise, l'insubordination du ministre Onanga expose les failles du système Oligui.

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Gabon/CEEAC - Brice C. Oligui Nguema, Président du Gabon - Michel Régis Onanga M. Ndiaye Ministre des Affaires étrangères du Gabon. © AM

L'épreuve de vérité des nominations à la CEEAC expose les contradictions du régime Oligui

Le conflit ouvert entre le président Brice Oligui Nguema et son ministre des Affaires étrangères Michel Régis Onanga M. Ndiaye concernant le renouvellement des instances dirigeantes de la CEEAC révèle brutalement les dysfonctionnements profonds qui minent l'État gabonais. Sous le vernis des promesses de modernisation, les anciennes pratiques de favoritisme ethnique, de népotisme et d'arrangements privés continuent de prospérer. L'appareil étatique semble incapable de s'affranchir d'un modèle où les considérations tribales, les calculs personnels et l'opportunisme président encore aux destinées nationales.

Une diplomatie aux multiples intérêts

Comment un simple processus de désignation diplomatique peut-il exposer si crûment les lignes de fracture d'un État ? L'épisode des candidatures gabonaises à la CEEAC nous projette au centre d'une tempête institutionnelle qui transcende largement les questions protocolaires pour questionner l'essence même de l'exercice du pouvoir au Gabon.

Juillet 2025 constitue un tournant révélateur : des décennies de pratiques institutionnelles déviantes explosent en pleine lumière. Rarement un dysfonctionnement bureaucratique n'avait aussi clairement mis à nu le fossé béant entre les discours de transformation et les réalités de clientélisme, comme l'a minutieusement documenté ginewsexpress.com dans son enquête du 18 juillet 2025. Cette affaire dévoile les rouages obscurs qui continuent de régir la machine étatique gabonaise. Ce qui saisit ici, c'est la mise en scène d'une défiance ministérielle sans précédent, lancée à la face de l'institution présidentielle.

La stratégie initiale sabotée

Revenons aux faits. Le 2 juillet 2025, le chef de l'État Oligui Nguema lance une offensive diplomatique réfléchie. Six candidatures gabonaises sont officiellement soumises à la CEEAC pour le renouvellement de son organigramme dirigeant. Cette approche diversifiée témoigne d'une conception moderne des relations internationales : multiplier les profils pour optimiser l'influence régionale.

La pertinence de cette stratégie initiale tient à sa logique mathématique. Six candidatures créent mécaniquement davantage d'opportunités qu'une ou deux, tout en embrassant l'intégralité du spectre de compétences recherchées par l'institution régionale. Cette rationalité va pourtant s'écrouler de manière spectaculaire.

L'acte de rébellion

Douze jours séparent l'ambition de son sabotage. Le 14 juillet, sans aval présidentiel, le ministre des Affaires étrangères Régis Onanga Ndiaye expédie une note verbale réductrice. Seuls Eric Parfait Mbaye Nkeze et Marcel Mapangou Moussadji porteront désormais les couleurs gabonaises.

Cette rupture de la chaîne de commandement établit un précédent aux implications majeures. Elle démontre l'existence de pôles de pouvoir indépendants à l'intérieur même de l'exécutif, capables de braver ouvertement les directives présidentielles sur des enjeux internationaux cruciaux. L'audace de cette désobéissance interroge : sur quels appuis politiques s'appuie-t-elle pour oser défier publiquement la Présidence ?

Les réseaux d'influence mis à nu

L'analyse des profils favorisés révèle les véritables motivations de cette restriction drastique. Eric Parfait Mbaye Nkeze accumule les positions conflictuelles. Directeur de cabinet du ministre, il conserve également le statut d'ancien agent comptable de la CEEAC (2018-2023), poste pour lequel aucune décharge financière n'a été accordée. Plus problématique encore : il orchestre le processus de sélection des candidatures tout en figurant au nombre des candidats retenus.

Cette auto-nomination illustre un mécanisme où les architectes des procédures institutionnelles se transforment en premiers bénéficiaires de leurs propres arbitrages, court-circuitant ainsi tout mécanisme de surveillance démocratique. Ce dysfonctionnement institutionnel trouve une autre expression inquiétante dans la situation actuelle du Ministre d'État Henri-Claude Oyima. Depuis le 5 mai 2025, il concentre les portefeuilles de l'Économie, des Finances, des Participations, de la Dette et de la Vie chère, tout en conservant la présidence-direction générale de BGFI Holding Corporation SA. Par conséquent, les marchés conclus par le ministre Oyima bénéficient directement au PDG de BGFI — soit à lui-même — également actionnaire privé principal de l'institution via sa structure NAHOR Capital. Cette superposition des responsabilités publiques et privées remet sérieusement en question les principes d'éthique, de transparence et d'intérêt général.

Marcel Mapangou Moussadji s'inscrit dans une dynamique comparable. Ses attaches familiales directes avec le directeur par intérim des ressources humaines de la CEEAC métamorphosent ce processus international en arrangement domestique. Ces connexions trahissent une vision patrimoniale des institutions où l'appartenance supplante la compétence et l'excellence.

La logique communautaire

Cette configuration gabonaise illustre parfaitement la manière dont certains réseaux détournent les institutions à des fins privées. L'origine ethnique partagée entre le ministre et ses protégés transforme la diplomatie nationale en service clientéliste communautaire. Cette dérive ethnicise la représentation internationale du pays, amputant sa crédibilité au profit d'une simple manifestation de solidarités tribales plutôt que d'une affirmation d'excellence nationale. Ce phénomène transcende le simple favoritisme pour révéler une conception archaïque de l'État, où les institutions publiques servent à fortifier des cercles privés d'influence.

Les pactes opaques

L'hypothèse d'ententes avec l'exécutif sortant de la CEEAC ajoute une dimension de marchandage politique à cette affaire. Si elle se confirmait, nous assisterions à un troc où la protection d'un bilan controversé conditionnerait des nominations nationales. Cette logique transforme la diplomatie en instrument de négociation, sacrifiant l'intérêt national gabonais pour des compromissions troubles. Les éléments convergent vers une stratégie de protection réciproque entre anciens et futurs gestionnaires, créant un système en vase clos résistant au contrôle démocratique.

L'affaiblissement de l'autorité présidentielle

Cette contestation publique soulève une interrogation capitale : quelle autorité demeure-t-il au Chef de l'État si ses ministres peuvent impunément désobéir sur la scène internationale ?

Le message transmis aux partenaires régionaux s'avère catastrophique. Comment négocier avec un pays dont l'exécutif exprime des positions contradictoires ? Cette dissonance institutionnelle compromet automatiquement la position gabonaise dans l'ensemble des négociations régionales. L'effet de contagion risque d'être substantiel. D'autres ministres pourraient interpréter cette impunité comme une autorisation pour leurs propres initiatives autonomes.

L'échec récurrent

L'histoire se répète amèrement. En 2019 déjà, une gestion défaillante de ce dossier avait exclu le Gabon de la représentation aux postes de commissaires au sein de la CEEAC. Cette récidive démontre l'incapacité structurelle des institutions gabonaises à capitaliser sur leurs échecs antérieurs. Cette amnésie institutionnelle témoigne de la persistance de logiques politiques réfractaires au retour d'expérience et à l'optimisation continue.

Cette crise exige une réaction présidentielle énergique. Tolérer cette insubordination reviendrait à entériner un système bicéphale où chaque ministre pourrait élaborer sa diplomatie ou gestion du pays parallèle. La restauration de l'autorité hiérarchique nécessite des sanctions dissuasives et la réaffirmation nette des prérogatives présidentielles en matière de politique étrangère. L'excellence diplomatique requiert des procédures transparentes, objectives et contrôlables. Les nominations internationales doivent échapper aux logiques communautaires pour se fonder exclusivement sur le mérite et la compétence.

Le défi des États africains contemporains consiste dans l'harmonisation entre structures modernes et dynamiques sociales traditionnelles. Cette réconciliation ne peut plus transiter par la capture des premières par les secondes. Cette affaire gabonaise constitue un laboratoire révélateur des tensions qui traversent l'ensemble de la région. Elle expose les mécanismes par lesquels les élites traditionnelles s'approprient les institutions modernes pour perpétuer leurs logiques ancestrales. Cette instrumentalisation compromet la crédibilité démocratique des États concernés et nuit à leur attractivité économique internationale.

Le test de modernisation

Cette séquence diplomatique gabonaise révèle l'ampleur des dysfonctionnements institutionnels qui persistent dans le Gabon post-transition. Les faits parlent d'eux-mêmes : six candidatures présidentielles comprimées en deux sélections ministérielles controversées.

Eric Parfait Mbaye Nkeze dirige un processus dont il devient bénéficiaire, sans justificatif comptable sur sa gestion antérieure. Marcel Mapangou Moussadji voit ses attaches familiales avec l'administration CEEAC entacher l'objectivité de sa nomination. Cette configuration expose le Gabon à un discrédit diplomatique persistant.

L'impact systémique est important. Cette démonstration publique d'insubordination ministérielle constitue un précédent alarmant, remettant en question l'autorité présidentielle et la cohésion de l'action gouvernementale. Désormais, les partenaires régionaux perçoivent un État incapable d'articuler une voix unique sur la scène diplomatique, ce qui affaiblit structurellement sa crédibilité et compromet ses futures négociations.

À titre d'illustration, le contentieux relatif aux îles Mbanié, Cocotiers et Conga – concernant la délimitation des frontières terrestre et maritime entre le Gabon et la Guinée équatoriale – a été tranché par la plus haute juridiction des Nations unies. Dans sa décision rendue le lundi 19 mai, celle-ci enjoint le Gabon à entamer des négociations avec la Guinée équatoriale. Or, dans un contexte de diplomatie cacophonique, le risque est considérable que le Gabon aborde ce processus dans une position fragilisée, et en ressorte une fois de plus lésé.

L'ethnicisation assumée de ces choix diplomatiques illustre parfaitement les mécanismes de captation institutionnelle qui gangrenent l'administration gabonaise. Les réseaux communautaires instrumentalisent les structures modernes pour perpétuer des logiques traditionnelles de redistribution et de patronage. Les conséquences s'étendent au-delà et questionnent frontalement la capacité de la République gabonaise à transcender ses divisions internes pour construire une administration efficace au service de l'intérêt commun.

L'attente d'une rupture véritable

L'impact rationnel est considérable. L'enjeu transcende largement la seule efficacité diplomatique : c'est la légitimité même du coup d'État du 30 août 2023 qui se trouve mise à l'épreuve. Ce renversement avait pour justification la gouvernance chaotique et fragmentée d'un pouvoir à plusieurs têtes, sous Ali Bongo, et dont les dérives menaçaient la stabilité du pays. Or, les pratiques observées aujourd'hui contredisent cette promesse de rupture — une promesse applaudie à l'époque par les Gabonais et soutenue par la communauté internationale. Le pays semble encore captif des vestiges du passé.

L'enjeu transcende désormais la seule situation actuelle. Tant que les élites persistent à privilégier leurs intérêts particuliers sur l'intérêt général, comment espérer édifier des institutions à la fois crédibles et efficaces ? Après Henri Claude Oyima, puis Michel Régis Onanga M. Ndiaye, qui sera le prochain proche collaborateur du président Oligui à s'octroyer unilatéralement le pouvoir de décisions engageant non seulement la diplomatie, mais l'avenir même du pays ?

Deux trajectoires se dessinent : soit le président Oligui Nguema incarne authentiquement la rupture annoncée en exigeant de ses ministres et collaborateurs l'abandon des logiques clientélistes ; soit il cautionne, de facto — comme semblent l'illustrer les cas récents — la perpétuation d'un système dont les dérives sapent les fondements de toute ambition de réforme, de développement durable et de rayonnement international du Gabon.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | 19 JUILLET 2025

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