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Billet de blog 22 octobre 2025

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RDC - BRAQUAGE RAW BANK : L'affaire Honorine Porsche

Le braquage amateur d'Honorine Porsche à la Rawbank de Kinshasa, le 16 octobre 2025, avait basculé dans l'horreur. Au lieu d'une arrestation, les militaires l'avaient soumise à une torture publique, filmée et diffusée.

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Le 16 octobre 2025, Honorine Porsche entre dans l'agence Rawbank du rond-point Victoire à Kinshasa. Elle porte une arme factice et une mallette. Les images de surveillance la montrent seule, tentant un braquage amateur. Ce fait divers bascule immédiatement dans l'horreur quand les militaires des Forces armées interviennent. Ce qui suit n'est pas une arrestation. C'est une torture publique filmée et diffusée.

Illustration 1
RDC. Honorine Porsche

La mise à nu d'un système barbare

Les vidéos authentifiées montrent la réalité : Honorine Porsche, 37 ans, gît nue au sol, encerclée par des militaires qui la piétinent, l'insultent et filment son humiliation. L'un ordonne à l'autre de lui écarter les cuisses. Elle est traînée nue jusqu'au commissariat, le corps couvert d'égratignures. Ces images virales embrasent instantanément la toile congolaise. Le scandale expose la brutalité ordinaire d'un système sécuritaire hors de contrôle. Pour des millions de Congolais, Honorine Porsche incarne le visage meurtri d'une justice qui torture avant de juger.

Un responsable du cabinet du vice-Premier ministre de l'Intérieur, Jacquemain Shabani, a confirmé par la suite que : « Les agresseurs avaient été identifiés comme des éléments de la 14ᵉ région militaires, arrêtés et en instance de jugement. Leur commandant de bataillon suspendu. » Ces mots bureaucratiques ne masquent rien. Des soldats de l'armée régulière ont violé une femme, filmé leur crime et diffusé les images. Voilà la réalité de l'État congolais en 2025.

Qui est Honorine Porsche ?

Avant de devenir le symbole d'un scandale d'État, Honorine Porsche, née Honorine Massamba Mukuna, vivait en Allemagne depuis trente ans. Partie de Kinshasa à sept ans pour rejoindre des parents adoptifs à Francfort, elle a grandi dans un environnement stable et travaillé dans le commerce de produits de beauté ethnique. Ses proches la décrivent comme une femme cultivée, diplômée et pieuse, revenue récemment au Congo pour relancer une activité commerciale et soutenir un projet caritatif lié à la santé féminine.

Cette trajectoire confère à son affaire une dimension tragique : celle d'une diaspora qui retrouve sa terre d'origine et se brise sur la réalité brutale du terrain. « Je n'étais pas venue pour faire du mal à mon pays », aurait-elle déclaré lors de sa première audition. Cette phrase résonne comme un écho douloureux dans une capitale sous le choc. Pour les Congolais d'Allemagne, Honorine Porsche symbolise la diaspora qui « revient rêver d'un Congo possible, mais se brise sur la réalité brute du terrain ». Elle aurait pu être leur sœur, leur mère ou leur fille. C'est ce qui rend cette affaire insupportable.

Des réactions officielles qui sonnent creux

L'explosion émotionnelle du peuple et la pression internationale ont secoué la classe politique, jusque-là amorphe.

Le 19 octobre, le ministre de la Justice, Guillaume Ngefa, a rapidement réagi, condamnant sur X les « actes intolérables commis par des personnes en uniforme » et annonçant la saisine de l'auditorat militaire. Il promettait : « Je veillerai personnellement à ce que la justice s'applique en toute indépendance, mais sans compromis. » Une langue de bois familière.

De son côté, le Président Félix Tshisekedi a condamné publiquement les violences et a soutenu l'ouverture d'une enquête militaire. Le ministre des Droits humains, Samuel Mbemba Kabuya, a dénoncé un « traitement inhumain et dégradant », insistant sur le fait que de telles pratiques ternissaient « l'image de la République sur le plan international ». C'est donc l'image qui préoccupait, et non la dignité d'une femme torturée par l'armée.

Enfin, la ministre du Genre, Micheline Ombae Kalama, a exprimé dans un communiqué du 19 octobre sa « profonde indignation face à ces actes barbares et inhumains », rappelant que « quelle que soit la faute reprochée, nul ne saurait être privé du respect dû à sa personne ». Cependant, le mal était déjà fait.

Une justice militaire sans crédibilité

L'intervention de l'auditorat militaire constitue un geste inédit. C'est la première fois depuis 2019 qu'une procédure judiciaire serait engagée contre des membres des forces armées pour tortures filmées. Le conditionnel s'impose. Les précédentes affaires similaires ont toujours fini dans le silence. Le scepticisme domine pour une raison simple : la justice militaire congolaise protège les militaires, pas les victimes.

La journaliste Susie Bakajika pose les mots justes : « Elle a subi des attouchements sexuels, que j'appelle par leur vrai nom : un viol. Le tout filmé, par des militaires venus "en renfort" à la police, pourtant censée diriger et encadrer ce genre d'opération. » Elle établit un parallèle glaçant avec le 17 octobre 1999, jour où quatorze femmes avaient été enterrées vivantes à Mwenga, dans le Sud-Kivu, après avoir été violées et torturées par le groupe armé RCD soutenu par le Rwanda. « Vingt-six ans plus tard, une autre femme, humiliée et violée, ramène le pays à son propre miroir. »

Cette comparaison résonne dans la conscience collective : l'affaire Honorine Porsche révèle la continuité d'une violence structurelle contre les femmes, transformée en spectacle public par ceux-là mêmes censés protéger les citoyens. La violence sexuelle comme outil de domination n'a jamais cessé en RDC, quel que soit le camp. Elle s'est même institutionnalisée. Cette réalité est le combat de Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, gynécologue et militant des droits. Président et fondateur de l'hôpital et de la fondation Panzi à Bukavu, il soigne inlassablement les victimes des exactions de tous les côtés.

Le corps féminin comme terrain de guerre

Au cœur de cette tragédie, le corps féminin devient l'espace symbolique du pouvoir. En exposant la nudité d'Honorine Porsche, les militaires ont produit une scène d'humiliation qui dépasse la question judiciaire : elle touche à l'imaginaire du pouvoir viril et de la domination masculine institutionnalisée. Cette mise en scène n'est pas accidentelle. C'est un message adressé à toutes les femmes congolaises : votre corps ne vous appartient pas face à l'autorité militaire.

L'affaire Honorine Porsche, par son retentissement et sa charge émotionnelle, pose une question essentielle : comment concilier autorité et humanité dans un État de droit ? La réponse est simple : on ne peut pas. Pas dans un système où l'armée viole, filme et diffuse ses crimes en toute impunité. Pas dans un État où la justice militaire juge ses propres crimes. Pas dans un pays où les femmes restent des cibles privilégiées de la violence institutionnelle.

Cette affaire convoque la mémoire collective autour d'un enjeu fondamental : ce scandale deviendra-t-il un tournant vers la réforme, ou un épisode de plus oublié sous le tapis du cynisme politique ? L'histoire congolaise penche pour la seconde option. Les condamnations officielles s'accumulent. Les enquêtes sont annoncées. Les procédures sont engagées. Et puis plus rien. L'impunité reprend ses droits.

Le test de la crédibilité

En attendant le verdict de l'auditorat militaire, la société congolaise garde les yeux fixés sur Kinshasa. Une ville où la justice, souvent muette, semble aujourd'hui convoquée à parler haut et à rendre compte de ses méthodes. Mais personne n'est dupe. Si ces militaires ne seront pas condamnés lourdement, si leur hiérarchie n'est pas sanctionnée, si les institutions ne sont pas réformées en profondeur, alors cette affaire rejoindra la longue liste des scandales sans suite.

Honorine Porsche a été violée par l'État congolais. Pas par des criminels isolés, mais par des représentants en uniforme de la République. Cette réalité devrait provoquer une révolution institutionnelle. Elle provoquera probablement quelques sanctions symboliques, puis le silence. C'est cette certitude qui rend l'affaire encore plus révoltante. Le système sait qu'il peut torturer, violer et humilier en toute impunité. Il l'a toujours fait. Il continuera.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME – 22 octobre 2025

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