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Billet de blog 23 octobre 2025

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Harold Leckat : chronique d'un arbitraire annoncé

Emprisonné pour un contrat de 2020, Harold Leckat incarne la schizophrénie d'un régime qui brandit la moralisation tout en violant massivement les règles qu'il prétend défendre.

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Retour de France, Harold Leckat atterrit à Libreville ce 15 octobre avec la naïveté de croire que la 5ᵉ république gabonaise tenait ses promesses. Quelques pas sur le tarmac et la réalité le rattrape : menottes, Direction générale des recherches, chaise, cinq jours enchaîné. Le patron de Gabon Media Time découvre brutalement que le changement de régime n'a changé qu'une chose : les têtes au sommet. Le système, lui, fonctionne toujours selon les mêmes logiques implacables. Criminaliser pour faire taire. Humilier pour dissuader. Emprisonner pour régner. Le grief ? Un contrat commercial daté de septembre 2020, signé entre son agence Global Media Time et la Caisse des Dépôts et Consignations. Montant : 460 millions de francs CFA sur quatre ans pour des prestations de communication. Du banal, du quotidien dans un pays où institutions publiques et médias privés entretiennent depuis toujours des relations contractuelles. Sauf que cette banalité devient soudain un scandale d'État cinq ans après, sous un pouvoir qui affirme rompre avec les pratiques du passé. L'accusation ? Détournement de deniers publics, escroquerie, violation du Code des marchés publics. Le coupable désigné ? Un seul homme : Harold Leckat. Les responsables de la CDC qui ont négocié, validé, reconduit ce contrat durant quatre années consécutives ? Aucun. Pas même cités. Patricia Manon, directrice générale de la CDC à l'époque, disparaît du dossier comme par enchantement. Justice sélective oblige.

Illustration 1
Gabon, Harold Leckat

Quand, 93 % devient la norme, 0,01 % devient le crime

mai 2025.


Le Conseil des ministres lâche un aveu qui aurait dû provoquer un séisme institutionnel. Henri Claude Oyima, ministre de l'Économie, révèle que 93,25 % des marchés publics en 2025 ont été attribués par gré à gré, sans appel d'offres. Le Code des marchés publics tolère 15 % maximum. Nous sommes à 93 %. Six fois le seuil légal. Une violation systémique, assumée, généralisée. Pas une bavure, une politique. Pas un accident, une méthode.
Le gouvernement s'alarme, appelle à un sursaut, promet des réformes. Mais aucune tête ne roule. Aucun audit n'est déclenché. Aucune sanction n'est annoncée. Les grands discours sur la transparence s'évaporent dans le silence des chancelleries. Pendant que le pouvoir feint l'indignation face à ses propres turpitudes, Harold Leckat moisit en cellule pour un contrat qui pèse 0,01 % des marchés publics gabonais. La disproportion n'est pas un bug du système. Elle est le système. Comment expliquer cette aberration ? Simple.
Son tort n'est pas d'avoir contracté avec la CDC. Son tort est d'avoir enquêté, révélé, dénoncé. Gabon Media Time s'est fait une spécialité : documenter la corruption, décrypter les magouilles, éclairer les zones d'ombre. Dans un régime qui survit grâce à l'opacité, cette obsession de la vérité devient suspecte. Alors, on ressort un vieux contrat. On criminalise une relation commerciale banale. On transforme un différend qui relève du tribunal de commerce en affaire pénale gravissime. Et le tour est joué.

L'aristocratie de l'impunité : qui dort tranquille pendant que Leckat purge ?

L'architecture du pouvoir gabonais post Bongo repose sur un principe simple : la proximité protège, la distance expose. Charles Mba, ancien ministre des Comptes publics, flotte dans les sphères malgré des soupçons de détournement. Mays Mouissi, recyclé de l'Économie à l'Environnement, navigue tranquillement après quinze mois à la tête d'un ministère stratégique. Lucamar Ankama, neveu présidentiel, circule librement malgré des accusations de violences et tortures. Aurélien Mintsa Mi Nguema, frère du chef de l'État, bénéficie d'une omerta institutionnelle sur des présomptions de détournements. Landry Bongo Ondimba et François Owono Messie sabordent Gab'Oil et récoltent une suspension symbolique. Face à cette galerie d'intouchables, les voix critiques paient cash.
Harold Leckat croupit en prison. Gaëtan Ayami subit le harcèlement pour avoir osé exprimer des positions citoyennes dissidentes. La ligne de démarcation est nette : ceux qui approuvent prospèrent, ceux qui contestent périssent. Le népotisme n'a pas disparu avec Ali Bongo, il a simplement changé de bénéficiaires. La différence ? Bongo ne prétendait pas faire la révolution morale. Oligui, si. Cette hypocrisie atteint son paroxysme quand on observe le contraste social. Pendant que le milliard devient l'unité de mesure des contrats occultes, des fillettes se prostituent pour survivre dans les quartiers périphériques. Des familles fouillent les décharges pour extraire de la nourriture avariée. Des parents abandonnent les corps de leurs défunts faute de moyens pour des funérailles dans des morgues. Des malades meurent aux portes des hôpitaux parce qu'ils ne peuvent payer. Deux Gabon : celui des prédateurs repus et celui des damnés abandonnés. Sous Oligui, cet écart s'est creusé. La Transition n'a rien résolu. Elle a aggravé.

Les institutions fantômes : contrôler sans contrôle

Où sont les garde-fous ? La Direction générale des marchés publics créée en mars 2020 avec fanfare pour moraliser la commande publique ? Aux abonnés absents. La Cour des comptes censée auditer les dépenses publiques ? Muette. Le Contrôle budgétaire équipé d'un logiciel automatique pour bloquer les dépassements de seuils en gré à gré ? Désactivé. Par qui ? Sur ordre de qui ? Silence radio. Ces structures existent sur papier, votent des budgets, occupent des bureaux, émargent des salaires. Mais leur fonction réelle est nulle. Elles ne freinent rien, ne révèlent rien, ne sanctionnent rien. Elles légitiment. Leur passivité face à la gabegie n'est pas de l'incompétence. C'est de la complicité organisée. Les réformes institutionnelles tant vantées ne sont que des écrans de fumée. Le vernis de la modernité recouvre la même machine clientéliste. Pendant que les organes de contrôle dorment, un journaliste paie pour un contrat commercial vieux de cinq ans.

Le piège se referme : quand les médias deviennent otages de leurs propres contrats

L'affaire Leckat instaure une jurisprudence terrifiante. Elle établit qu'un média peut voir son patron jeté en prison pour des relations d'affaires initialement légales. Elle prouve que la frontière entre droit commercial et droit pénal s'efface dès qu'il s'agit de museler une voix critique. Elle signale à tous les directeurs de publication : vos contrats avec l'État sont des bombes à retardement. Un jour, quelqu'un appuiera sur le bouton.
Gabon Media Time n'est pas le seul média à contracter avec des entités publiques. Tous le font. Publicités institutionnelles, campagnes de communication, partenariats divers : l'argent public irrigue largement l'écosystème médiatique gabonais. Mais seul GMT se retrouve dans le viseur. Pourquoi ? Parce que GMT dérange. Parce que GMT enquête au lieu d'encenser. Parce que GMT documente au lieu de divertir. Le message est limpide : enquêtez sur nous, nous criminaliserons vos affaires. L'effet domino est prévisible. Quel média osera encore fouiller les comptes publics sachant que ses propres contrats peuvent servir de matière à représailles ?
Quel journaliste continuera à déterrer les scandales en sachant que son indépendance peut conduire à la détention préventive ? L'autocensure s'installera sans décret, sans instruction officielle. Elle naîtra de la peur, se nourrira de l'exemple Leckat, se généralisera par contagion. Mission accomplie pour le pouvoir. Et pendant ce temps, le Gabon grimpe de quinze places au classement de Reporters Sans Frontières. De la 56e à la 41e position mondiale. Une progression célébrée, des délégations reçues, des congratulations échangées.
Pendant qu'Harold Leckat passait cinq jours menotté à une chaise sans hygiène ni soins. Le contraste entre l'image vendue à l'international et la réalité vécue par les journalistes sur le terrain révèle toute la sophistication du système : on peut améliorer les statistiques tout en dégradant les conditions réelles. On peut dépénaliser le délit de presse tout en criminalisant les relations commerciales. On peut parler de liberté tout en pratiquant l'intimidation.

Les résistances : quand la solidarité devient un acte de courage

Face à l'arbitraire, les contre pouvoirs se mobilisent. L'Organisation Patronale des Médias, la Confédération Syndicale des Travailleurs, le Syndicat des professionnels de la communication, la Plateforme des Médias Indépendants, Reporters Sans Frontières, l'Union de la Presse Francophone : tous dénoncent une cabale politico judiciaire. Le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale exige la libération immédiate du journaliste. Ces organisations rappellent une évidence juridique : en droit gabonais comme dans tout l'espace OHADA, un désaccord commercial relève du civil, jamais du pénal.
Le juge pénal n'intervient qu'en présence d'infractions caractérisées : corruption, concussion, favoritisme. Or, Harold Leckat n'est ni ordonnateur ni comptable public. Il gère une société privée. Si corruption il y avait, les agents de la CDC qui ont signé devraient également être poursuivis. Ils ne le sont pas. Alain Claude Bilie By Nze, ancien Premier ministre reconverti en opposant, pointe l'incohérence magistrale : si les autorités étaient sincères dans leur combat pour la transparence, elles appliqueraient les mêmes critères à toutes les entreprises ayant obtenu des contrats sans appel d'offres. Or, elles ne poursuivent qu'Harold Leckat. Pourquoi lui ? Parce qu'il dérange. Le reste n'est que mise en scène judiciaire.
Le secret de l'instruction devient un bouclier commode pour masquer la vacuité du dossier. Aucune preuve de prestations fictives n'a été rendue publique. Aucun élément de surfacturation n'a été documenté. Aucune démonstration d'escroquerie n'a été produite. On accuse, on embastille, on torture, mais on ne prouve rien. Le procureur Bruno Obiang Mve affirme que cette affaire ne relève pas du délit de presse mais d'infractions de droit commun. Subterfuge sémantique. Le droit commun devient l'alibi pour contourner la dépénalisation du délit de presse actée en 2018. On change les étiquettes, on garde la répression.

La Transition trahie : quand la rupture promise accouche d'une continuité masquée

Août 2023 : coup d'État, fin du règne Bongo, promesses de refondation. Oligui Nguema annonce une rupture historique. Transparence, redevabilité, restauration de la confiance publique, moralisation de la vie politique. Le peuple y croit. L'espoir renaît. Vingt mois plus tard, le bilan est accablant. 93% de marchés publics illégaux. Une justice qui protège les proches du pouvoir et criminalise ses critiques. Des institutions de contrôle réduites au silence. Une répression médiatique qui utilise le droit commercial comme arme politique. Un népotisme qui a simplement changé de bénéficiaires.
Un écart social qui se creuse entre une élite prédatrice et une masse paupérisée. La Transition n'était qu'un changement de décor pour la pérennisation du même spectacle. Dans un État où les voleurs dorment tranquilles pendant que les lanceurs d'alerte dorment en prison, peut on encore parler de justice ? Dans un régime où la parenté garantit l'impunité pendant que l'indépendance garantit les poursuites, peut on encore croire à la rupture ? Le peuple gabonais doit trancher. Accepte t il cette République confisquée ou exige t il sa refondation morale ? En 2023, Oligui déclarait : « La presse, c'est le quatrième pouvoir, nous allons vous rendre vos lettres de noblesse. Faites votre travail, faites le bien. » Le discours promet la liberté, les actes restaurent la peur. Le cas Leckat n'est pas un accident. C'est un choix politique. Celui d'un pouvoir qui, incapable de tenir ses promesses, criminalise ceux qui le rappellent à ses engagements.

Journalistes gabonais : l'heure du choix

L'affaire Leckat interroge aussi brutalement les professionnels de l'information. Combien se taisent pendant que leur confrère croupit ? Combien pratiquent l'omerta pendant qu'un des leurs subit la torture d'État ? Combien pactisent avec le régime tout en feignant l'objectivité journalistique ? Cette schizophrénie professionnelle n'est pas sans conséquence. Chaque silence renforce l'arbitraire. Chaque article complaisant légitime l'injustice. Chaque plume vendue au pouvoir trahit le peuple qui attend l'information, pas la propagande.
Albert Camus écrivait : « Le métier d'écrivain n'est pas de justifier le mensonge, mais de le dénoncer. » Cette maxime définit le journalisme authentique. On ne peut servir simultanément deux maîtres antagonistes. On ne peut prétendre informer le peuple tout en servant les intérêts de ceux qui le trompent. On ne peut pleurer publiquement sur le sort d'un confrère emprisonné tout en célébrant le régime qui l'a jeté au cachot. Cette duplicité morale détruit la crédibilité de toute la profession.
Les Gabonais ne sont pas dupes. Ils distinguent les plumes libres des plumes asservies. Ils identifient les médias qui enquêtent et ceux qui divertissent. Ils repèrent ceux qui révèlent et ceux qui dissimulent. L'heure du choix approche pour chaque journaliste gabonais. Non pas entre Bongo et Oligui, entre PDG et UDB, entre telle faction et telle autre. Mais entre vérité et mensonge, courage et lâcheté, peuple et puissants. Harold Leckat a choisi. Il assume le prix de son choix. Combien sont prêts à faire de même ? Car dans un pays où dire la vérité conduit en prison, se taire équivaut à cautionner le système. Et cautionner le système, c'est trahir ceux qui comptent sur vous pour les éclairer. Le silence n'est plus une option neutre. Il devient une complicité active.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME, journaliste indépendante – 23 octobre 2025

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