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Près de deux ans après le coup d'État du 30 août 2023 et trois mois après les élections présidentielles du 12 avril 2025 qui ont confirmé Brice Clotaire Oligui Nguema au pouvoir, le Gabon offre le spectacle désolant d'un pays où l'État de droit demeure lettre morte. Officiellement, c'est "l'État gabonais" qui s'apprête à porter plainte contre la famille Bongo devant les tribunaux français. Dans les faits, chacun sait qu'il s'agit d'une manœuvre personnelle du président Oligui Nguema, qui se dissimule derrière les institutions pour régler ses comptes avec ses anciens "maîtres". Cette instrumentalisation révèle un double aveu d'échec : celui d'un système judiciaire gabonais toujours défaillant et celui d'un pouvoir qui, malgré sa légitimité électorale récente, perpétue les mêmes dérives autoritaires que celles reprochées au régime déchu.
Un système judiciaire en déliquescence
Cette fuite vers les juridictions étrangères, sous le masque d'une action étatique, n'est pas anodine. Elle révèle que malgré les élections d'avril 2025, les institutions gabonaises demeurent dans le même état de délabrement, rongées par l'instrumentalisation politique. Comment un président élu peut-il prétendre incarner le renouveau démocratique tout en contournant sa propre justice dès qu'il s'agit de ses intérêts personnels ?
Oligui Nguema, qui déclarait pourtant lors de sa campagne électorale : « Nous allons restaurer la justice et l'État de droit au Gabon », démontre aujourd'hui par ses actes que cette promesse électorale n'était qu'un slogan vide. En se cachant derrière une plainte officielle de l'État pour utiliser les tribunaux français plutôt que gabonais, il reconnaît implicitement que son propre système judiciaire reste incapable de garantir un procès équitable - même après près de deux ans au pouvoir.
La continuité dans les dérives autoritaires
Depuis son élection en avril 2025, le président Oligui Nguema avait promis de tourner la page de la transition militaire pour ouvrir une nouvelle ère de démocratie et d'État de droit. Mais, les faits démontrent une troublante continuité avec les méthodes reprochées à l'ancien régime : justice sélective, instrumentalisation des institutions, opacité financière et recours à la force.
Les témoignages sur les conditions de détention de la famille Bongo, séquestration, traitements inhumains, spoliation de biens, s'ils s'avéraient exacts, constitueraient des violations graves des droits de l'homme. Ces accusations méritent une enquête indépendante, menée par des organismes internationaux compétents, et non pas d'être balayées d'un revers de main par un pouvoir aux abois.
Oligui Nguema, qui affirmait récemment : « Nous ne tolérerons aucune atteinte à la dignité humaine », semble pourtant bien embarrassé par ces révélations qui ternissent son image de président démocratiquement élu et "réformateur" du Gabon.
L'opacité financière, une constante préoccupante
Au-delà des règlements de comptes judiciaires, c'est la gestion des finances publiques qui continue d'interroger, même après l'élection présidentielle. Les fameux "dons personnels" de sept milliards de francs CFA distribués lors des déplacements présidentiels pendant la transition soulèvent des questions légitimes qui n'ont toujours pas trouvé de réponses. Comment un président peut-il disposer de telles sommes personnelles ? Ces montants proviennent-ils du Trésor public ou d'autres sources ? Le silence persistant du régime sur cette question fondamentale alimente les soupçons de détournement.
L'enrichissement soudain et spectaculaire d'anciens militaires modestes, propulsés dans un luxe ostentatoire depuis le coup d'État et qui se poursuit après les élections, interpelle également. Villas cossues, véhicules de luxe, train de vie princier : d'où vient cette fortune subite ? Le peuple gabonais, lui, continue de vivre dans la précarité tandis que ses dirigeants s'enrichissent dans l'opacité la plus totale - exactement comme sous l'ancien régime.
Une mascarade judiciaire annoncée
Le procès annoncé pour novembre 2025 contre la famille Bongo ressemble davantage à un spectacle populiste qu'à une véritable procédure judiciaire. Organiser un procès en l'absence des accusés, dans un contexte dans lequel l'indépendance de la justice gabonaise est plus que douteuse, relève de la parodie judiciaire.
Comme le reconnaissait lui-même Oligui Nguema dans un moment de sincérité : « La justice gabonaise doit retrouver sa crédibilité ». Mais comment y parvenir en organisant des simulacres de procès et en fuyant vers les tribunaux étrangers dès que les enjeux sont importants ?
L'urgence démocratique
Le Gabon se trouve aujourd'hui dans une situation paradoxale. Malgré l'organisation d'élections en avril 2025 censées marquer le retour à l'ordre constitutionnel, le pays semble enfermé dans les mêmes dérives que celles qui caractérisaient l'ancien régime. La différence réside désormais dans le fait qu'Oligui Nguema dispose d'une légitimité électorale pour perpétuer ces pratiques.
Le Gabon mérite mieux que cette continuité dans les dérives autoritaires. Le peuple gabonais, qui a participé aux élections d'avril 2025 dans l'espoir d'un véritable changement démocratique, ne doit pas se contenter d'un simple changement de visage au sommet de l'État. Il est temps que les véritables défenseurs de l'État de droit se mobilisent pour exiger un changement authentique des pratiques, et non pas cette perpétuation des mêmes méthodes sous une façade démocratique.
L'histoire jugera sévèrement ceux qui, forts d'une légitimité électorale, ont choisi de perpétuer les pires travers de l'ancien système plutôt que d'incarner le renouveau promis. Le Gabon a besoin de leaders véritablement démocrates dans leurs actes, pas seulement dans leurs discours électoraux.
Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME
24 juillet 2025