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Billet de blog 26 février 2025

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Médias et droits des femmes : La résistance face au retour de bâton conservateur

Face à une offensive conservatrice mondiale intensifiée depuis la réélection de Donald Trump, le CESE a exploré le rôle crucial des médias dans la défense des droits des femmes et la préservation de la démocratie.

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Médias et Droits des Femmes – Anne Marie DWORACZEK-BENDOME - CESE, 25 février 2025

L'ampleur d'un "backlash" mondial contre les droits des femmes

Le 25 février 2025, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), par l'intermédiaire de sa Délégation aux droits des Femmes et à l'égalité, a organisé une séance plénière consacrée aux "Droits des femmes, médias et démocratie". Cette rencontre, organisée à quelques jours du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, a mis en lumière un phénomène inquiétant : l'existence d'une offensive conservatrice mondiale ciblant spécifiquement les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.

Depuis la réélection de Donald Trump aux États-Unis, cette dynamique régressive s'est intensifiée de façon préoccupante. Lors de cette séance, la présidente de la délégation aux droits des femmes a alerté sur "une érosion méthodique des acquis féministes" orchestrée par des mouvements conservateurs organisés à l'échelle transnationale.

Ce recul touche des domaines essentiels comme les droits reproductifs, l'autonomie économique des femmes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ainsi que la représentation politique. Une stratégie particulièrement pernicieuse de ces mouvements réactionnaires consiste à s'approprier le langage des droits et des libertés pour mieux les subvertir, développant une rhétorique anti-genre sophistiquée sous couvert de protection des valeurs traditionnelles.

Ce phénomène ne se limite pas à quelques pays isolés. Des États-Unis à la Hongrie, de la Pologne au Brésil, les exemples de régression se multiplient, affectant concrètement la vie quotidienne de millions de femmes. Cette offensive s'inscrit dans un contexte global de fragilisation démocratique, marqué par la montée des populismes autoritaires, une polarisation croissante du débat public et l'affaiblissement des contre-pouvoirs institutionnels.

Les médias : entre complicité involontaire et rempart démocratique

Dans ce contexte, les médias occupent une position paradoxale et déterminante. Comme l'a souligné Salomé Saqué, journaliste à Blast, lors de son intervention au CESE : "Les médias peuvent être simultanément le problème et la solution. Nous pouvons involontairement servir de caisse de résonance aux discours les plus réactionnaires tout en étant, potentiellement, le dernier bastion de résistance face à leur normalisation."

Plusieurs mécanismes contribuent à cette ambivalence. D'un côté, la logique d'audience et la recherche de la polémique conduisent certains médias à surexposer les discours les plus clivants, participant ainsi à leur normalisation dans l'espace public. De l'autre, la concentration croissante des médias entre les mains de quelques groupes industriels ou financiers compromet leur indépendance éditoriale.

L'historien des médias Alexis Lévrier a notamment pointé "l'empire médiatique de Vincent Bolloré" comme "exemple paradigmatique de cette convergence entre puissance économique et projet idéologique conservateur". Cette concentration a des effets tangibles sur le traitement médiatique des questions de genre : invisibilisation de certaines thématiques féministes, surreprésentation des points de vue conservateurs et décontextualisation des luttes pour l'égalité.

Le paysage médiatique français, traditionnellement pluraliste, subit actuellement une transformation profonde qui affecte directement la couverture des enjeux liés aux droits des femmes. Le cadrage dominant tend à présenter les revendications féministes comme des demandes sectorielles ou identitaires, occultant leur dimension universelle et leur caractère fondamentalement démocratique.

Face à cette situation, un journalisme de résistance émerge, porté par des médias indépendants et des initiatives éditoriales innovantes qui s'efforcent de déconstruire les stéréotypes de genre et de donner une visibilité aux questions féministes.

Illustration 2
Droits des femmes, médias et démocratie – ®CESE
La corrélation entre recul des droits des femmes et atteintes à la liberté de la presse

La présidente de la Fédération internationale des journalistes, Dominique Pradalié, a souligné lors de cette séance plénière la relation symbiotique entre journalisme et démocratie : "Partout où la démocratie recule, les journalistes sont les premières cibles. Et réciproquement, l'affaiblissement du journalisme indépendant précède invariablement l'érosion des institutions démocratiques."

Les données présentées lors de cette rencontre sont éloquentes : au cours des cinq dernières années, 75 % des pays ayant connu un recul significatif des droits des femmes ont simultanément enregistré une dégradation substantielle de la liberté de la presse. Cette corrélation statistique démontre que les régressions démocratiques affectent prioritairement les groupes minoritaires ou minorisés, dont les femmes constituent paradoxalement la majorité numérique.

Plusieurs facteurs aggravent cette situation. D'abord, la précarisation croissante du métier de journaliste représente une menace directe pour la qualité du débat démocratique, compromettant la capacité à maintenir un journalisme d'investigation rigoureux sur les questions de genre.

En parallèle, l'émergence des réseaux sociaux a profondément reconfiguré l'écosystème informationnel, créant des opportunités inédites de mobilisation féministe tout en amplifiant les discours misogynes et les campagnes de harcèlement ciblant prioritairement les femmes journalistes. Ces plateformes numériques sont devenues un terrain d'affrontement idéologique où la violence verbale à l'encontre des femmes s'est normalisée.

Face à ces défis complexes, les participants à la séance plénière ont unanimement souligné l'urgence d'une réflexion collective pour préserver l'indépendance journalistique et renforcer son rôle de contre-pouvoir.

L'éducation aux médias comme outil d'émancipation

L'éducation aux médias apparaît comme l'un des leviers les plus prometteurs pour contrer l'offensive conservatrice et promouvoir l'égalité de genre. Cette approche pédagogique, qui dépasse largement le cadre scolaire traditionnel, vise à développer l'esprit critique face aux contenus médiatiques.

Cette démarche constitue "un antidote puissant contre l'intériorisation des stéréotypes de genre et la normalisation des discours sexistes", selon les intervenants du CESE. Des études empiriques confirment que la capacité à décrypter les mécanismes de construction médiatique renforce significativement la résistance cognitive aux discours discriminatoires.

Le développement d'outils pédagogiques innovants comme les serious games ou les plateformes collaboratives d'analyse médiatique ouvre des perspectives prometteuses pour sensibiliser différents publics, particulièrement les jeunes générations. Ces initiatives visent à la fois à développer la vigilance face aux représentations stéréotypées et à encourager l'appropriation des outils médiatiques par les groupes traditionnellement marginalisés dans la production d'information.

Les experts présents lors de cette session ont également insisté sur l'importance d'une approche intersectionnelle de l'éducation aux médias, qui prenne en compte la diversité des expériences féminines selon les critères de classe, d'origine, d'orientation sexuelle ou de handicap.

Pour une alliance stratégique face à la menace conservatrice

Face à l'ampleur des défis identifiés, seule une mobilisation collective coordonnée semble capable de contrer efficacement l'offensive conservatrice mondiale. Cette conviction a structuré les échanges conclusifs de la séance plénière du CESE.

La nécessité de construire des alliances stratégiques entre médias indépendants, organisations féministes, institutions publiques et citoyens engagés a été soulignée comme la réponse la plus adaptée à la nature transversale des menaces actuelles.

Plusieurs pistes d'action concrètes ont émergé des discussions :

La création d'observatoires indépendants du traitement médiatique des questions de genre, capables de produire des analyses quantitatives et qualitatives rigoureuses

L'élaboration de chartes éditoriales explicitement engagées pour l'égalité, assorties de mécanismes d'évaluation transparents

Le développement de programmes de mentorat et de formations spécifiques pour les femmes journalistes, particulièrement celles issues de minorités ou confrontées à des discriminations multiples

L'intensification des campagnes de sensibilisation utilisant des formats innovants pour contrer la banalisation des discours sexistes

L'internationalisation des solidarités féministes à travers des réseaux transnationaux d'alerte et de mobilisation

À l'approche du 8 mars 2025, cette séance plénière du CESE sonne comme un rappel de l'urgente nécessité d'une vigilance collective face aux menaces qui pèsent sur les droits des femmes et sur la démocratie elle-même. Malgré leurs contradictions et leurs fragilités, les médias indépendants demeurent un rempart essentiel qu'il est crucial de préserver et de renforcer dans ce combat pour l'égalité.

Anne Marie DWORACZEK-BENDOME | Journaliste indépendant | 26 février 2025

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